L’importance de la vidéoprotection pour construire les villes de demain

Par Lola BRETON

Après la « tolérance zéro » et l’instauration du logiciel Compstat dans les années 1990, la police de New York est passée au niveau supérieur pour épingler la délinquance et rendre la ville plus sûre. Il ne s’agit plus simplement de traquer les comportements déviants dans des quartiers spécifiques de la métropole, mais d’établir des liens entre les affaires new-yorkaises pour réduire la liste de suspects et trouver, plus rapidement, les coupables. La liste est établie par un outil entièrement imaginé par les équipes de la NYPD : Patternizr ; une intelligence artificielle destinée à faire de la ville américaine une championne en termes de résolution d’affaires et de sécurité.

Construire une sécurité globale dans les villes

« Il faut travailler en temps réel et non en temps différé ». Pour Dominique Legrand, président de l’association nationale de vidéoprotection (AN2V), comme pour les forces de l’ordre de New York, cela semble être le principe de base de la sécurité en ville. Pour construire les smart & safe cities de demain, que Dominique Legrand appelle « territoires de confiance », la France doit s’emparer des outils à sa disposition. En matière de vidéoprotection, l’AN2V a établi le procédé « 1, 2, 3, 4 : détection, transmission, analyse et intervention ». A chaque étape de la chaîne correspond un acteur de la sécurité. « C’est le maillon faible qui détermine le niveau de qualité de l’intervention », indique le président de l’AN2V.

En 2013, le Club Prévention-Sécurité de la Gazette des communes avait recensé le nombre de caméras de vidéoprotection par habitant dans les 60 plus grandes villes de France. Nice, première du classement, comptait alors une caméra pour 450 habitants. Aujourd’hui, le ratio serait d’une pour 145 Niçois. Avec les attentats de 2015, et malgré l’absence de chiffres officiels, on peut supposer que les autres collectivités locales ont, elles aussi, investi dans l’installation de parcs de caméras. La France maitrise donc bien les technologies de vidéoprotection, l’un des six plans clés de l’avènement de la smart & safe city pour l’AN2V. Sur les plans stratégique, financier, et éthique, rien à dire non plus pour Dominique Legrand. En revanche, comme « on a tendance à travailler ce sur quoi on est déjà bons », les aspects juridiques et organisationnels tendent à stagner.

La rapport Fauvergue/Thourot sur la sécurité globale rendu en septembre 2018 est peut-être un pas décisif vers une amélioration de la loi et des pratiques de coopération entre acteurs de la sécurité. Avec ses 78 propositions, le rapport laisse miroiter une possibilité de changement de paradigme. Le président de l’AN2V se réjouit notamment de la prise en compte des bassins de vie comme cadre de référence, en incluant les zones rurales – car « la sécurité ne concerne pas seulement les grandes métropoles » – ainsi que de la volonté de mettre la sécurité au cœur de la vie citoyenne et de la capacité d’action donnée aux polices municipales. Bientôt, les maires pourront installer des dispositifs de lecture automatique de plaques d’immatriculations dans les caméras de leur commune.

Chambéry : la bonne élève des smart & safe cities

S’il est une commune où la sécurité assurée par la vidéoprotection est devenue une priorité, c’est bien Chambéry. Depuis 2014, la préfecture de Savoie « est passée d’un système passif à un système semi-actif avec des opérateurs présents six jours sur sept qui peuvent prendre la main sur les 63 caméras du parc », explique Djamel Keriche, chef de service du Centre de Supervision Urbain (CSU) de la ville. « Le CSU est devenu un maillon essentiel en l’espace d’un an ». Il est vrai que la Coupe du monde de football et la mobilisation des « gilets jaunes » en 2018 a permis à la structure de faire très vite ses preuves.

Pour être efficace, le centre a dû former ses opérateurs pour qu’ils apprennent à travailler en collaboration avec les autres acteurs de la sécurité. Après une immersion dans la culture policière, les opérateurs n’ont aujourd’hui aucun mal à faire le lien entre leur travail d’analyse des images de vidéosurveillance et le recours aux forces de police pour intervention. La ville de près de 60 000 habitants a vu le nombre de réquisitions judiciaires des images de vidéosurveillance multiplié par douze entre 2013 et 2018.

L’enjeu majeur de la reconnaissance faciale

Et si les dispositifs de reconnaissance faciale s’étendaient dans tous les grands bassins de vie ? Les images de vidéosurveillance deviendraient alors la clé de voûte de la plus plupart des affaires d’atteintes aux biens et aux personnes. Pour Dominique Legrand, la démocratisation de cette technologie est « inéluctable ». « Cela existe déjà sur les smartphones, mais en France nous sommes réellement en retard sur tous ces sujets. L’échéance pour développer la reconnaissance faciale, ce sont les JO 2024. On ne pourra pas s’en passer alors, car la menace sera au plus haut ». Il estime que « les citoyens sont prêts ». En 2013, une étude du CREDOC (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie) présentait, en effet, les Français plutôt favorables pour une utilisation de leurs données biométriques dans un cadre institutionnel et sécuritaire.1 Depuis, et alors que la technologie s’est massivement développée, aucune étude ne s’est repenchée sur la question.

En revanche, la CNIL alerte toujours sur « les enjeux de protection des données et les risques d’atteintes aux libertés individuelles que de tels dispositifs sont susceptibles d’induire ». Ainsi, lors de l’expérimentation de la reconnaissance faciale lors du Carnaval de Nice, la commission a préféré prendre quelque peu ses distances, même si elle en analysera les résultats.

A New York non plus la biométrie ne fait pas l’unanimité. En apprenant l’utilisation de Patternizr, la New York Civil Liberties Union s’est indignée. Elle craint le biais inhérent à l’intelligence artificielle programmée par les hommes, qui pourrait mener à une surpénalisation de certaines communautés. L’enjeu majeur de la reconnaissance faciale pour les années à venir se trouve donc là. Il s’agit de gagner la confiance des citoyens.

1  « Les Français se montrent réservés sur l’usage de la biométrie dans la vie quotidienne », Collection des rapports du CREDOC, Sandra Hoibian, mai 2013