Miser sur les accélérateurs et les incubateurs pour faire vivre les start-up françaises

Par Lola BRETON

Cinquante-huit millions. C’est, à quelques centaines de milliers de dollars près, le montant des capitaux propres d’Anduril Industries, très jeune start-up américaine. Née en 2017 du cerveau de Palmer Luckey, fondateur d’Oculus – technologie de réalité virtuelle – et fervent supporter de Donald Trump, Anduril bénéficie d’un soutien non négligeable de la part du Pentagone. Ici, pas question de se plonger dans un monde virtuel, l’IA se pose en défenseuse de la nation américaine. Lattice, l’outil développé pour le département de la défense dans le cadre du projet Maven, permettrait de visualiser les terrains d’actions militaires en 3D. Si l’on en croit les tests effectués à la frontière américano-mexicaine en juin 2018, lors desquels 55 clandestins auraient été arrêtés, la technologie Anduril pourrait donner un avantage considérable à l’armée sur les terrains d’opération, et un poids unique à la start-up de Palmer Luckey. Un exemple de success story auquel les start-up françaises n’osent pas rêver.

Compter sur le savoir-faire et les idées françaises

La performance financière et stratégique d’Anduril laisse pantoises nos start-up françaises qui développent des technologies de défense. Chez GENERATE, l’accélérateur d’innovation du GICAT, les dix premières start-ups intégrées ont réussi à lever huit millions d’euros en deux ans. Un beau résultat pour la France. « Nous savons que nous n’aurons jamais les mêmes budgets [qu’aux Etats-Unis] », confie François Mattens, responsable du programme GENERATE et Directeur des affaires publiques et de l’innovation du GICAT. Cela semble tout de même convenir aux sociétés françaises : « Les start-up ne veulent pas être étrangères ! Elles sont prêtes à ne pas forcément lever des sommes énormes si elles restent sur le territoire ».

Pour François Mattens, impossible non plus de compter sur une impulsion européenne envers l’innovation et la croissance des start-up. « L’Union européenne dispose de sommes d’argent très importantes, mais c’est sur le stade politique que le financement des start-up reste très compliqué à définir. » Même en trouvant un accord politique au niveau européen, « la gestion de la temporalité complètement différente » entre les procédures de Bruxelles et la réalité vitale des start-up rendrait le processus compliqué. Mais si la possibilité américaine n’en est pas une et la dimension stratégique du sujet l’empêche d’être mobilisé par l’Europe, d’autres dispositifs doivent être mis en place pour permettre aux entrepreneurs français de mener à bien leurs idées. Les accélérateurs et incubateurs de start-up semblent être une approche convaincante pour développer le terreau français de l’innovation.

Culture du risque et incubateurs : la recette miracle ?

Même s’il reste encore du chemin à parcourir, la culture du risque s’implante petit à petit dans les entreprises. Les grands groupes sont plus enclins qu’auparavant à chercher l’innovation et à l’encourager. Souvent, cette démarche passe par la création d’incubateurs de start-up, ou de laboratoires d’innovation au sein des grandes sociétés. Depuis trois ans, Dassault Systèmes bénéficie donc du dynamisme du 3D Experience Lab, grâce auquel l’entreprise peut travailler avec des start-up du monde entier proposant des technologies de rupture. « On a toujours innové avec de grands clients industriels. L’innovation est aujourd’hui possible avec un écosystème beaucoup plus large », souligne Frédéric Vacher, directeur de l’innovation chez Dassault Systèmes.

Aller chercher l’innovation partout où elle naît, c’est l’objectif de GENERATE. L’accélérateur d’innovation propose d’accompagner les start-up civiles « pour les amener vers la défense, rappelle François Mattens. Certaines start-ups ou technologies du civil fonctionnent et ont un intérêt opérationnel ». Après un petit ajustement pour les transposer dans le domaine de la défense, elles peuvent donc prétendre à se faire appeler « start-up de défense », ce qui leur ouvre un nouveau marché. Cette stratégie semble très bien fonctionner. Aleph Networks, start-up issue de la première promotion de GENERATE et lauréate du trophée innovation du GICAT en 2018, en est l’exemple. Détectée « au stade zéro », la société spécialisée dans l’indexage et l’analyse des contenus du dark et deep web a aujourd’hui « dépassé le stade de la start-up et est maintenant une PME – avec un vrai savoir-faire pour lutter contre le financement du terrorisme ou la pédopornographie, par exemple. Elle intègre donc officiellement le GICAT », révèle François Mattens.

Pour aller plus loin encore, il faudra peut-être s’assurer d’un travail en étroite coopération entre grands groupes, start-up et acteurs publics. Au sein de la Société d’Accélération du Transfert de Technologies (SATT) de Paris Saclay, Sébastien Magnaval, chargé du développement des relations industrie-recherche, annonce : « Notre travail, c’est de dé-risquer ». En faisant maturer les idées innovantes et en s’assurant de leur faisabilité, le SATT permet aux industriels, parfois encore frileux, d’investir pour l’avenir sur le territoire de Saclay, où le secteur de défense est bien implanté. « Pour permettre à l’écosystème industriel de défense de capter et protéger davantage les start-up tricolores, une réflexion est à mener sur la création d’un fonds d’investissement, en complément de Definvest – doté davantage de moyens toutefois. » . Avec l’implication de ces multiples acteurs, une dynamique prometteuse semble être en marche pour l’innovation française.

Olea innovation, la nouvelle pépite de GENERATE

La nouvelle génération de start-up innovantes dans la défense est d’ores et déjà trouvée. En mars dernier, GENERATE a choisi d’intégrer cinq nouvelles sociétés à son programme. Parmi elles, Olea Innovation « a une technologie qui est plutôt mature, souligne François Mattens. « L’idée aujourd’hui c’est de les aider à se faire connaître dans le milieu ». Après bientôt six ans d’existence, les sept employés de la start-up française proposent aujourd’hui trois produits susceptibles d’intéresser les acteurs régaliens des secteurs de la sécurité et de la défense, ainsi que le secteur privé.

« L’avantage des start-up, c’est de pouvoir travailler sur des concepts complètement décalés par rapport à ce qui existe déjà sur le marché » estimeun des dirigeants de la société, Yves Bertrand. Olea Innovation a développé une mousse incapacitante projetable de manière directive ou dispersive jusqu’à 12 mètres. Il est possible d’y ajouter des traceurs, mais aussi de l’utiliser dans des sas de sécurité en application industrielle. Sans effet secondaire, contrairement aux technologies lacrymogènes existantes, cette technologie brevetée a fait l’objet d’étude de l’Ineris et « ne présente aucun danger pour la santé et l’environnement » ; caractéristique non négligeable pour les opérations de maintien de l’ordre, mais aussi pour les entreprises qui souhaiteraient sécuriser leurs sites, infrastructures ou biens. La mousse se déploie très rapidement dans l’espace – il suffit de quatre minutes pour remplir 200 m3 – et peut également capturer des « particules sales » ou des gaz et ainsi éviter des dégâts importants sur les sites sensibles, par exemple.  

Olea Innovation propose également une mousse anti-explosif qui atténue l’effet de souffle généré par les explosions de colis piégés – et réduit donc considérablement les lésions liées aux ondes de choc –tout en assurant le ralentissement des projectiles. Enfin, elle travaille à de nouveaux concepts de protections balistiques transparentes sur la base de matériaux « complètement nouveaux ».

Bien qu’elle soit déjà partenaire de l’institut Saint-Louis et d’ENSTA Bretagne, la start-up « cherche des partenaires industriels » explique son dirigeant. « On souhaite que nos produits soient intégrés dans des ensembles supérieurs. Pour cela on a besoin de connaître les besoins exacts des industriels et des opérationnels ». C’est en ce sens qu’intégrer GENERATE présente une grande opportunité de développement. Après avoir été deux fois lauréat du Concours mondial de l’Innovation, Yves Bertrand l’assure : « la prochaine étape, c’est d’intégrer nos produits, faire des essais avec des opérationnels et vendre ! ».