Viser une croissance durable pour éviter une crise mondiale

Par Mélanie Bénard-crozat

Sécurité et développement économique durable vont de paire. En témoigne le renouvellement du paradigme de la communauté internationale quant à la façon dont le développement, et les coopérations qui s’y attachent, doivent se concevoir, avec l’adoption sous l’égide des Nations unies de l’agenda 2030 pour le développement durable. Des enjeux de développement majeurs qui doivent pouvoir s’appuyer sur une croissance durable qui se ne fera pas sans une dette soutenable.

C’est tout l’objet des discussions qui se tiennent aujourd’hui dans la capitale française dans le cadre du Forum de Paris, une conférence de haut niveau sur le financement soutenable de la croissance et du développement, organisée avec le soutien de la Présidence japonaise du G20. 

Près de quarante ministres, gouverneurs de Banque centrale, hauts responsables d’organisations internationales, d’institutions financières, représentants de la société civile ou du secteur privé, se sont donc réunis à Paris marquant ainsi « la prise de conscience par l’ensemble de la communauté internationale des risques majeurs que représente un endettement excessif, et en particulier celui des pays en développement. » souligne Bruno Le Maire, Ministre de l’Economie et des Finances. Un endettement en forte augmentation, source de préoccupation croissante pour la communauté internationale. 

Augmentation de l’endettement 

De nombreux pays en développement ont en effet d’importants besoins de financement, notamment pour leurs projets d’infrastructures. Le défi est donc d’assurer que ces financements sont octroyés dans de bonnes conditions. « Cela signifie, d’une part, des financements qui soutiennent le développement et la croissance, sans pour autant conduire à une dette publique excessive ; et d’autre part, des règles du jeu équitables, afin que les entreprises qui le souhaitent puissent investir sur un pied d’égalité, et que les investissements génèrent de la croissance. » souligne Bruno Le Maire. Des enjeux considérables tant il s’agit d’atteindre les objectifs de développement durable d’ici 2030, avec des investissements de plusieurs centaines de milliards d’euros.

Mais ces conditions ne sont aujourd’hui, pas remplies. La question se pose donc des moyens de garantir un financement soutenable du développement. 

Un frein au développement et une menace mondiale

Il est tout d’abord nécessaire de développer une compréhension commune des enjeux soulevés par les vulnérabilités croissantes de la dette et de formuler des recommandations en faveur d’un financement soutenable du développement. 

Et il y a urgence. Le contexte économique mondial se dégrade et la croissance mondiale ralentit. Un ralentissement économique mondial qui tend à l’accroissement du risque de guerre commerciale, une guerre mondiale commerciale animée par les tensions entre la Chine et les Etats-Unis. La préoccupation française et européenne principale de Bruno Le Maire qui souligne « Nos principes de ce point de vue-là sont clairs : il faut respecter les règles multilatérales, il faut éviter toute augmentation de tarifs qui se fera toujours au détriment de la croissance, et il faut garantir la réciprocité dans les échanges commerciaux mondiaux. » 

Ce ralentissement économique est également marqué par le niveau historique de l’endettement mondial qu’il s’agisse des pays développés comme la France (la dette est passée de 64 % à plus de 98 % de la richesse nationale en 10 ans) comme dans les pays en voie de développement où l’endettement a explosé. La part de ces derniers en situation de surendettement a doublé en 5 ans .« Un poison » selon le ministre de l’Economie qui « freine le développement des pays, limite la croissance économique mondiale, et à terme, peut menacer la stabilité internationale. »

De lourdes conséquences économiques et politiques 

Les conséquences de ce surendettement sont évidemment économiques car, dans la plupart des cas, le surendettement amène des coupes sauvages dans les dépenses notamment d’infrastructures. La construction des infrastructures est abandonnée, les lignes ferroviaires qui devaient être construites sont interrompues, en somme « les projets promis aux populations ne voient pas le jour et ce sont donc elles qui sont les premières victimes du surendettement, qui conduit à l’abandon des infrastructures, et nourrit également l’exaspération politique des populations concernées. » ajoute le Ministre. Les entreprises sont également les victimes d’un système dépourvu d’une concurrence saine et équitable. 

Les conséquences sont enfin politiques. « Quand il y a surendettement, cela peut conduire à l’asservissement d’un certain nombre d’États, de gouvernements, qui ne sont plus en mesure de rembourser leurs dettes. Cet asservissement peut amener certains États, quand ils ne sont plus à même de rembourser leurs échanges de financement, à céder le contrôle d’infrastructures critiques ou de leurs ressources primaires. C’est donc la souveraineté des États qui est en jeu avec le surendettement des pays en développement. » clame le Ministre.

Des déclarations non sans rappeler les affaires des « Routes de la Soie » et du port en eau profonde de Hambantota, au Sri Lanka, dont les Chinois, compte tenu du défaut de paiement du Sri Lanka, ont obtenu en échange de l’effacement de la dette, du contrôle complet et exclusif de l’infrastructure pour 99 ans… dans une zone éminemment stratégique… 

Une affaire loin d’être isolée, à l’image de l’opacité des montages d’une dette cachée de l’ordre de 30 % du PIB soit 2.2 milliards de dollars pour l’achat de matériels militaires sur financement de banques Suisse et Russe… Cette dette contractée par des entreprises publiques, dissimulée au FMI par les autorités mozambicaines, aura participé à la suspension de l’aide internationale au pays qui se trouve en grande difficulté.

En matière de stratégie de développement intégré, le G5 Sahel, par exemple, dispose d’un Programme d’investissement prioritaire (PIP) élaboré pour répondre aux priorités de développement, notamment en matière de gouvernance, de sécurité, de résilience économique et d’infrastructures. Le coût de sa première phase de mise en œuvre (2018-2020) est estimé à 14,8 milliards de dollars. Ce programme bénéficie de l’appui de plusieurs partenaires internationaux dont les Nations Unies, l’Union Africaine, l’Union Européenne ainsi que de nombreux pays.

5 clés pour réussir

Premier principe : celui de l’équité. Les règles d’investissement dans les infrastructures doivent être les mêmes pour tous et mises en oeuvre par tous…

Deuxième principe : celui de la responsabilité. Une responsabilité portée par tous, gouvernements des pays en voie de développement, gouvernements des pays développés, créanciers publics et privés, qui doivent agir en conséquence. Les prochaines étapes des « Directives opérationnelles pour un financement durable » élaborées par les pays du G20 en 2017 seront notamment discutées en juin lors du G20 à Fukuoka ainsi que le travail conduit sur un ensemble de « Principes pour un investissement dans les infrastructures de qualité ».

Troisième principe : la transparence. Le meilleur outil pour lutter contre la corruption et les projets d’infrastructure de mauvaise qualité. Là encore, les gouvernements doivent être exemplaires. La Chine, tout particulièrement visée, a reconnu la semaine dernière, « que nous devrions avoir plus de transparence et une tolérance zéro face à la corruption. » Un pas « dans la bonne direction » selon Bruno Le Maire pour qui ce « pas positif devrait amener la Chine à mettre en œuvre les principes du G20. » Le reflet donc, pour le ministre français, d’une prise de conscience mondiale des risques de surendettement et d’une faible transparence dans le financement du développement des pays émergents et en développement.

Quatrième principe : la qualité. Les créanciers et les entreprises qui réalisent des projets d’infrastructure dans les pays en développement et émergents doivent s’engager « à respecter les principes de qualité pour qui concerne les matériaux utilisés, les clauses de corruption et les pratiques de financement durable. Ces critères permettront d’établir une concurrence loyale entre les entreprises qui profitera aux populations locales. » souligne le Ministre. 

Enfin, the last but not least la coopération internationale. Celle-ci s’illustre notamment au coeur du Club de Paris qui entend renforcer le nombre de créanciers autour de la table, et élargir son adhésion aux pays émergents, qui sont de plus en plus de principaux créanciers souverains. Avec Israël en 2014, le Brésil et la Corée en 2016, c’est aujourd’hui l’Afrique du Sud et sans surprise la Chine, qui travaillent régulièrement avec le Club en qualité de participants Ad Hoc (ce qui diffère du statut de membres) de même que l’Inde.

Next step

Les grands principes évoqués qui ont alimenté les débats de la journée, devront donc maintenant conduire à prendre des décisions pour financer durablement le développement mondial. Et Bruno Le Maire de rappeler que « le temps presse. Nous devons prendre des décisions au cours des prochaines semaines lors des sommets du G7 et du G20 et y donner suite. Il est temps de prendre des décisions en matière de financement et de développement durables. »

Rendez-vous est pris les 8 et 9 juin prochains pour la réunion des ministres des Finances et des gouverneurs des banques centrales du G20 qui se tiendra à Fukuoka pour connaitre les décisions tant attendues !