Grands évènements sportifs et JO 2024 : les enjeux de la sécurité privée

Les Jeux olympiques et Paralympiques de Paris 2024 accueilleront 17 000 athlètes et 12 millions de visiteurs sur une centaine de sites. Cet événement, hors norme, nécessite des moyens humains et matériels considérables, notamment concernant le dispositif de sécurité à déployer. En effet, face à une menace terroriste toujours prégnante, les enjeux sécuritaires constituent un réel défi. C’est la raison pour laquelle une coopération renforcée entre les acteurs de la sécurité publique et de la sécurité privée est devenue prioritaire.

Par Virginie Cadieu

Favoriser une meilleure coopération

Voici un an, Gérard Collomb, alors ministre de l’Intérieur, annonçait sa volonté de confier aux sociétés de sécurité privée certaines missions exercées par la police et la gendarmerie, dans le cadre d’un partenariat renforcé. Il demandait alors aux Députés Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot de réfléchir à une redéfinition de la répartition des tâches entre les 250.000 policiers et gendarmes, les 21.000 policiers municipaux et les 160.000 agents de sécurité privée. Six mois plus tard, les Députés remettaient au Premier ministre leur rapport intitulé « D’un continuum de sécurité vers une sécurité globale ». Depuis lors, l’Etat et les représentants des entreprises de sécurité privée mènent de nombreuses actions pour faciliter les échanges et nourrir cette coopération.

Le 11 février 2019, une convention de coopération opérationnelle est signée entre Laurent Nuñez, Secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’intérieur et les présidents de l’Union des entreprises de sécurité privées (USP) et du Syndicat national des entreprises de sécurité privée (SNES). Partenariat soutenu par le président du Club des directeurs de sécurité et de sûreté (CDSE), Stéphane Volant.

« Cette convention, évoquée dès janvier 2017, lors d’un entretien entre monsieur Gérard Colomb, alors ministre de l’Intérieur, et les responsables des organisations professionnelles de la sécurité privée, est l’aboutissement d’un long travail d’élaboration et de maturation, ayant nécessité la collaboration de nombreux acteurs », déclare Philip Alloncle, Délégué aux coopérations de Sécurité, au sein du ministère de l’Intérieur. « Après avoir associé l’USP et le SNES qui avaient notamment pour mission de fédérer et collecter des informations, ce qui a pris un certain temps, il a fallu mobiliser l’ensemble des services du ministère, à savoir la DGPN, la DGGN, la Préfecture de police de Paris. Néanmoins, nous avons tout mis en œuvre pour finaliser cet engagement au printemps dernier. Quand bien même les agendas et l’actualité en ont décidé autrement, repoussant la signature au 11 février dernier, je puis vous assurer que je suis, aujourd’hui, pleinement satisfait du résultat obtenu. Ainsi, 66 départements seront prochainement dotés d’un référent de sécurité privée », ajoute alors le Préfet. Ces référents, préalablement choisis par les organisations professionnelles, ont pour principal engagement, en acceptant cette mission, d’accroître l’échange et la communication d’informations régulières entre les forces de l’ordre et les entreprises de sécurité privée.

Et s’il est « déjà fréquent de voir des contacts réguliers entre des entreprises de sécurité privée et des représentants de la police ou de la gendarmerie, ces échanges s’institutionnalisent », se réjouit Claude Tarlet, Président de la Fédération Française de la Sécurité Privée (FFSP), qui qualifie cet accord partenarial de « symbole fort d’évolution des cultures, le travail engagé au niveau national se décline enfin sur le terrain ».

Cette convention, renouvelable tous les ans, qui s’inscrit pleinement dans le continuum de sécurité, est une « innovation majeure » pour le Préfet. « Ces échanges d’informations, que je considère comme le premier pas vers des coopérations multiples, était l’exercice le plus difficile à mener, ayant dû établir cette confiance, entre les différentes parties, si complexe hier, et réellement probante aujourd’hui », avoue-t-il.

Le 19 février 2019, une convention-cadre est signée par Laurent Nuñez, pour la sécurisation des centres commerciaux, avec les représentants du secteur. « Avec 800 centres commerciaux établis sur l’Hexagone, nous recensons plus de 8 millions de visiteurs au quotidien, soit plus de 3 milliards de clients par an. Cet accord partenarial entre les forces de sécurité de l’Etat et les professions commerciales encourage la mise en place d’un plan de sûreté, d’une part, et celle d’un coordonnateur en gestion de crise, d’autre part. Cet accord cadre, ambitieux et novateur, doit maintenant être décliné localement par les préfets de département et les opérateurs commerciaux, via des conventions locales. Ce type de coopération participe à la mise en place d’une police de sécurité du quotidien (PSQ), en créant du lien, en instaurant la confiance chez les partenaires et en impulsant une nouvelle dynamique, tant dans les contacts, les échanges que dans le partage des informations » souligne Philip Alloncle.

Ces deux conventions, répondant aux enjeux du moment, sont « un atout » pour le Délégué aux coopérations de Sécurité, et ce notamment dans le cadre de la sécurisation des JO. En outre, l’horizon des grands événements sportifs va « contribuer à l’affluence des touristes qui, entre deux compétitions, pourront se rendre dans les centres commerciaux. Il est évident que la sécurité qui entoure les terrains sportifs doit être la même dans ces lieux », précise le Préfet.

Au demeurant, la sécurité privée, à travers la convention du 11 février « a vocation à essaimer des bonnes pratiques dans tous les secteurs », estime Philip Alloncle, dont l’ambition est « d’accroître les partenariats public/privé, en prenant en compte certaines propositions établies dans le rapport parlementaire portant sur le continuum de sécurité et ce, dans des délais suffisamment courts. » Néanmoins, reconnait le Préfet, « travailler avec les différents acteurs, dans l’objectif d’aboutir à une coproduction de sécurité qualitative, nécessite beaucoup d’écoute et de patience. »

Vers une valorisation du métier d’agent de sécurité privée

Les ressources humaines, en matière de sécurité, indiquées dans le dossier de candidature des JO2024, représentent quelque 70 000 personnes, soit environ 35 000 policiers et gendarmes, 10 000 militaires, 5 000 personnels de sécurité civile et un peu plus de 20 000 agents de sécurité privée.

Pour les entreprises de sécurité privée, le défi majeur est « d’anticiper et de nous organiser de façon à obtenir le réservoir suffisant d’agents formés et opérationnels, pour 2022/2023 », comme l’indique Baudouin Delescluse, Directeur général de Samsic Sécurité. Et ce, afin de ne pas connaitre « le même échec qu’à Londres ».

En outre, de nombreuses sociétés « font face à un vrai manque de moyens, compte-tenu de nombreux enjeux, dont les principaux sont la revalorisation des salaires, la condition et le respect des agents, la formation. Ces facteurs étant tous liés les uns aux autres et conditionnés par l’incessante guerre des prix », déplore Thierry Olland, Président de la Commission paritaire nationale pour l’emploi et la formation professionnelle (CPNEFP).

Comment valoriser la filière ?

L’aboutissement de la valorisation de la filière est « la résultante d’un certain nombre d’évolutions. Ainsi, la progression qualitative des prestations devrait entraîner une augmentation progressive des prix ; et conduire à une meilleure rémunération des salariés. Néanmoins, ce cercle vertueux est difficile à mettre en place, pour des raisons économiques », confie Philip Alloncle.

Freins à l’embauche : conditions de travail et salaire

Le salaire et les conditions de travail sont « les plus gros freins à l’embauche »,selon Thierry Olland. « Concernant le non-respect des agents, de plus en plus prégnant au fil du temps, et encore plus marquant dans certains secteurs d’activité, ce phénomène incite de nombreux agents à démissionner, une fois sur le terrain, voire lorsqu’ils sont encore en stage. Au sujet de la revalorisation des salaires et des qualifications professionnelles, un accord, signé en août 2018, et applicable depuis le 1er mars 2019, prévoit, d’une part, une augmentation de 1,2 % de l’ensemble des salaires des agents privés de sécurité en 2019 ; d’autre part, une limitation du positionnement et du maintien d’un salarié au coefficient 120 de la grille d’emploi et de salaire de la convention collective pendant une durée maximale de six mois, avec un passage automatique au coefficient 130. Or les propositions qui ont été faites ne sont pas considérées comme suffisantes pour les représentants des salariés, aujourd’hui », souligne le Président de la CPNEFP.

Un secteur en crise de croissance

Pour Claude Tarlet, le secteur de la sécurité privée vit un paradoxe. En effet, si un climat de confiance s’instaure dans l’opinion publique et si l’État agit en faveur du développement de la filière, « cette perception ne traduit pas la réalité économique. La demande augmente, mais les budgets des clients sont de plus en plus contraints. Le marché est gouverné par des appels d’offre très durs, dans lesquels la qualité est mal reconnue. Les prestations, les recrutements, l’encadrement, pâtissent de cette course aux prix bas. À nous d’expliquer que la sécurité apporte de la valeur à nos clients, qu’il est rentable d’investir dans la sécurité. À nous de démontrer qu’il existe une différence entre des agents mieux formés et motivés et des agents indexés sur les minimas de salaire et de formation. À nous de démontrer qu’à certains tarifs, il n’est pas possible de respecter les obligations légales. À nous, enfin, de rendre plus lisible et mesurable la qualité des offres de sécurité. »

Investir dans la formation : une des réponses à la valorisation de la filière

« Les deux tiers des agents de sécurité ont un revenu dont le taux horaire se situe en dessous de 13 €. Leur formation est de niveau VI ou V. Ces bas salaires, observés en France, correspondent aux faibles niveaux de formation » confie le Délégué aux coopérations de sécurité.

Or, pour Philip Alloncle, « les investissements de départ sont un facteur indispensable à l’émergence de services et produits de qualité ; des profits seront alors générés ». La profession doit donc investir « urgemment dans la formation de ses agents ». Le Préfet avoue alors avoir été « troublé par les efforts de conviction » qu’il a dû déployer au moment de la mise en place du MAC. « Je comprends qu’il faille un peu de temps à la profession pour que tous ces éléments se mettent en place ; néanmoins, améliorer les offres de prestations en proposant des solutions globales, pour arriver à une meilleure valorisation du travail, est indispensable et assez pressant », insiste-t-il.

L’encadrement intermédiaire : une priorité

Pour le Président de la CPNEFP, la revalorisation des salaires « passe notamment par la prise en compte de l’encadrement intermédiaire ». Ce que confirment de nombreux dirigeants de sociétés de sécurité privée, à l’instar de Baudouin Delescluse« J’insiste sur le fait que, dans l’événementiel, par exemple, pour être réactif et mettre en place un dispositif de sécurité efficient, le rôle de l’encadrant est déterminant ».Pour ce faire, « les compétences requises doivent être définies et une formation adéquate mise en place », précise Thierry Olland. Les travaux de l’Observatoire (1), sur le management intermédiaire, « ont mis en évidence le besoin urgent de formation de ces managers qui, pour beaucoup d’entre eux, sont aujourd’hui à ce poste suite à une promotion interne ».

Ainsi, dans le cadre du continuum de la sécurité, l’éducation nationale a mis en exergue l’opportunité de créer un BTS autour des métiers de la sécurité et mis en place un groupe de travail en vue de l’élaboration du référentiel de ce nouveau diplôme. « La création d’un BTS sur les métiers de la sécurité, demande ancienne de la profession, s’est concrétisée l’année dernière, lors de la 11e commission professionnelle consultative (2), suite à la présentation d’un rapport d’opportunité rédigé par le président et le vice-président de la CPNEFP de la branche Prévention Sécurité. L’écriture du référentiel de ce BTS est aujourd’hui engagée », explique Pierre Vinard, Inspecteur général de l’éducation nationale, qui conduit ce groupe de travail. Il poursuit « la profession doit pouvoir recruter des personnes ayant les compétences requises à tous les niveaux hiérarchiques, au sein d’une même entreprise, et en particulier au niveau intermédiaire. Ce BTS joue un rôle de promotion pour les personnes engagées dans ces métiers. Je pense, en premier lieu, aux jeunes qui s’engagent, par exemple, vers un bac professionnel « métiers de la sécurité » et qui souhaiteraient poursuivre leurs études dans ce domaine. Sont également concernés les salariés, actuellement en poste, ayant acquis une certaine expérience et dont les responsabilités se sont accrues au cours des années. Via la VAE(3), ils pourront obtenir ce diplôme. Leur professionnalisme sera alors reconnu et valorisé. »

Enjeux de recrutement pour les grands événements sportifs

Selon Thierry Olland, les principaux enjeux liés au recrutement des agents de sécurité privée, concernent, en premier lieu, l’attractivité du poste. « Je pense que cet exercice sera aisé, au vu des événements pour lesquels nous allons les solliciter, à condition de leur proposer un salaire en adéquation avec leur mission et une perspective d’évolution après les jeux ». Par ailleurs, recruter un nombre considérable de femmes est un réel défi, pour la profession. « Sur les 20 000 à 25 000 agents qui vont être déployés, les trois quarts vont être amenés à pratiquer la palpation. » Quelque 8 000 à 10 000 femmes devraient donc être recrutées. « Or, nous en sommes très loin aujourd’hui ! » déplore Thierry Olland. Autre enjeu de taille : bien les former. « Il faut, pour cela, que nous connaissions, très en amont, l’expression des besoins. En outre, la formation va couter chère et ce, pour quelques mois de travail… Pour certains, déjà en poste, il leur sera sûrement demandé de réaliser des heures supplémentaires. A titre d’exemple, sur les 170 000 salariés que compte la profession, 30% des agents réalisent, quand nécessaire, des heures supplémentaires. »

Enfin, les échéances sportives de 2023 et 2024 vont « mobiliser plusieurs dizaines de milliers d’agents pendant quelques semaines. Ce pic d’activité sera très important. Nous y travaillons, nous évaluons les besoins, mais nous sommes aussi conscients qu’il est contre-productif de partir trop tôt. Le secteur réussira ces échéances s’il garde la tête froide et travaille à développer en amont l’attractivité des métiers, notamment en offrant des perspectives de carrière » conclut Claude Tarlet.

  1. L‘Observatoire prospectif des métiers et des qualifications est un outil technique dont la finalité est de donner des éléments d’information objectifs et actualisés à la CPNEFP et d’apporter notamment aux acteurs de la formation professionnelle des éléments de connaissance.
  2. (Instance placée auprès du ministre de l’Éducation nationale où siègent employeurs, salariés, pouvoirs publics et personnalités qualifiées. Elles formulent des avis sur la création, l’actualisation ou la suppression des diplômes professionnels, du CAP au BTS
  3. Valorisation des Acquis de l’Expérience