La sûreté des établissements culturels – Acte IV

Les trois numéros précédents ont été l’occasion d’illustrer le sujet par des exemples notoires de sites et la contribution d’organismes associatifs et présenté le point de vue d’experts en sûreté. Ce dernier volet présente le cas emblématique de la Tour Eiffel, celui des parcs de loisirs et d’attraction ainsi que les rôles et actions des pouvoirs publics.

Par Stéphane Schmoll

La méthode au service des enjeux

A l’opposé des plateformes de démonstration mal adaptées aux multiples besoins spécifiques et locaux ou de la projection excessive sur des futurs théoriques imaginaires, les filières de sécurité gagnent à bénéficier de l’expérience des praticiens du tourisme, qui représente près de 8% du PIB national : monuments, châteaux, musées ou sites de loisirs, autant de lieux ou la sécurité est stratégique.

Les acteurs régaliens, locaux et privés sont à la recherche pragmatique d’un équilibre entre l’approche règlementaire ou normative et l’approche conventionnelle souple permettant à chaque exploitant de site d’adapter à sa propre équation les solutions et ses investissements. Cette voie consensuelle élève les professionnels vers un socle commun de sécurité avec les formations et les rémunérations correspondantes ainsi que des résultats patents.

Dans ces secteurs, l’équilibre entre sécurité et libertés doit impérativement être complété par l’indispensable plaisir et peut justifier des dispositifs audacieux et efficaces. A titre d’exemple, un enrôlement volontaire des familles dans la reconnaissance faciale peut réduire l’égarement d’enfants, qui est le problème le plus fréquent rencontrée par les parcs d’attraction.

Enfin, face à la poussée des normes américaines, chinoises et russes, l’attractivité et l’efficience de la sécurité des secteurs touristique et culturel français peuvent s’exporter sous forme de solutions clefs en mains, tandis que leur expérience peut peser sur des normes nationales et européennes existantes ou à venir.

La promotion du tourisme

Dirigée par Clément Laloux, la mission de la promotion du tourisme est sous la tutelle du ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE) avec trois volets d’action : l’attractivité, la promotion/communication et les enjeux internationaux. Elle coopère notamment avec les ministères chargés de l’intérieur, de l’économie, du tourisme et du sport et Atout France, le GIE chargé du développement touristique qui rassemble l’Etat, les collectivités locales et les professionnels. La mission encourage la création et le développement de l’offre y compris pour les évènements culturels, festifs ou sportifs. Au-delà des 7,5% du PIB national que représente le secteur, le savoir-faire français peut s’exporter comme cela a été fait avec le Louvre d’Abu Dhabi. La forte présence des spécialistes français de tous types y compris en ethnologie et en archéologie y contribue. Lorsque des opérations d’envergure sont prévues dans le cadre de la diplomatie industrielle, comme dans le cas d’Al-Ula, le Petra saoudien, les solutions de sécurité et de sûreté en sont une partie appréciable au vu des pays également confrontés à des risques et menaces. La France est très crédible parce qu’elle est confrontée à des catastrophes et attentats et qu’elle a développé des solutions de technologie et des méthodes pour en réduire l’occurrence ou les conséquences. Sur notre sol comme à l’exportation, toutes les solutions techniques peuvent être proposées, leur acceptabilité variant selon les pays.

La délégation pour la sécurité de tourisme

Après les attentats de 2015-2016, le gouvernement nommé le préfet Etienne Guepratte délégué à la sécurité du tourisme. La circulaire d’avril 2017 a précisé les contours du plan « tourisme et sécurité » et mis en place des conseils départementaux « tourisme-sécurité ». Un label « Sécuri-site » destiné à rassurer les visiteurs atteste du respect des conventions entre les opérateurs de site et les pouvoirs publics. Pour les préfets, c’est l’occasion de délivrer des autorisations spécifiques concernant la vidéo-protection, le recours à la sécurité privée pour la surveillance et la protection des biens, les alertes, etc. Lors du rapport d’étape de juin 2018, 815 labels avaient déjà été labellisés dont 617 attribués. Ils peuvent être retirés si les conventions ne sont plus respectées.

«Cette méthode conventionnelle pragmatique et consensuelle s’avère préférable à une approche réglementaire, souligne le préfet Guepratte. Les conventions comprennent des procédures et des moyens supplémentaires apportés par les pouvoirs publics nationaux et locaux ainsi que les opérateurs de ces sites ou événements. LEtat a engagé des effectifs et des moyens financiers puisque 14 My ont été affectés, pris en partie sur le FIPD, en sus des fonds affectés par le ministère de la culture.Le label est actuellement centré sur la prévention et la gestion des crises mais il pourrait être ultérieurement étendu à la résilience. »

Le rôle du SGDSN

Depuis le développement du risque terroriste, le SGDSN est attentif aux besoins des établissements culturels, leur impact étant déterminants sur l’économie, l’attractivité et le sentiment de sécurité. Comme l’expliquent Laurent Ducamin, chef du Bureau planification à la Direction de la protection et de la sécurité de l’Etat et le Colonel Sébastien Gelgon, chargé de mission, le SGDSN a une mission d’accompagnement et de conseil, en partage de responsabilités. Il publie des guides de bonnes pratiques avec des videos, des affiches et des fiches pratiques très opérationnelles. Au-delà des postures Vigipirate qui sont mises à jour régulièrement et des invariants sur les ERP, la cybersécurité, les véhicules bélier… ces guides sont progressivement adaptés à chaque contexte. Ainsi, un guide a été édité par le SGDSN à destination des dirigeants d’établissements culturels patrimoniaux, complété par le guide-référentiel rédigé avec les ministères de l’intérieur et de la culture. Le SGDSN entretient un réseau de confiance avec les professionnels dans le cadre d’un dialogue national de sécurité. Certaines informations sur la menace font l’objet de diffusions restreintes par des canaux tels que le CDSE. Enfin, le SGDSN veille à ce que ses recommandations générales soient bien adaptées au terrain à travers les préfets et les référents sûreté locaux, particulièrement sollicités lors des journées européennes du patrimoine.

La Tour Eiffel

Notre symbole national accueille plus de 6 millions de personnes par an. Il est géré par la Société d’exploitation de la Tour Eiffel (SETE), société publique de la ville de Paris qui emploie 600 personnes et réalise 80 millions de chiffre d’affaires. Elle concède à des tiers l’exploitation des deux restaurants et des neuf points de vente de souvenirs. Certains espaces sont réservés à des intervenants de sécurité, d’assistance et de sûreté : la Préfecture de Police, la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris, TDF, l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire et Météo France ainsi qu’à Airparif. Elle accueille également de manière ponctuelle événements et tournages de films. Selon Pierre-Yves Mollo, Directeur de la prévention des risques, de la sûreté et de la sécurité : « L’exploitation doit se conformer à de nombreuses réglementations. Cet ERP fait face à des menaces de différents niveaux et de types très divers: commerce illicite aux alentours de la Tour, pickpockets, grimpeurs, tentatives d’intrusion… La plupart des cas possibles ont déjà été rencontrés, y compris le détournement davion de décembre 1994 qui visait la Tour. La menace terroriste élevée a largement contribué à l’implantation dun système de clôture autour de lenceinte. Une vitre pare-balles de 3m de haut et 6,5 cm d’épaisseur et 420 plots anti véhicule bélier réduisent les risques de tirs et daccès indésirables. Des doctrines appropriées ont été développées en interne et en liaison avec les services de la Préfecture de Police et dautres services de lEtat. La technologie est utilisée là où elle peut rendre des services, par exemple avec la vidéo-protection, limitée toutefois aux exigences légales actuelles. La formation et les exercices sont au cœur dune stratégie de prévention et de réaction adaptée à chaque cas. Le principal défi est dassurer la sécurité avec un temps dattente des visiteurs aux alvéoles d’entrées inférieur à 20 minutes. Soumis à la règlementation ERP, la Tour ne peut accepter plus de 5.000 visiteurs et le parvis 10.000. Les filtrages extérieurs et intérieurs avec scanneurs et physionomistes sont utilisés et le système de vidéoprotection a permis de réduire de 80% lactivité des pickpockets. Des solutions moins techniques mais astucieuses sont également mises en œuvre, telles que lusage de végétation pour compliquer lescalade de certaines parties du bâtiment. Le prochain défi, qui fait lobjet d’études en profondeur, est celui des Jeux Olympiques, dont la Tour, à la fois le cœur géographique et le symbole, est prise en compte dans le dispositif de sécurité. »

Les parcs d’attractions

Sophie Huberson dirige le SNELAC, Syndicat des sites de loisirs, d’attraction et culturels est une véritable spécialiste de la sécurité sous tous ses aspects, qu’elle enseigne. Forte d’une formation initiale de philosophe, elle connaît bien le monde de l’entreprise et fréquente divers organismes et administrations tels que l’AFNOR, l’INHESJ, l’IRSE et la Gendarmerie nationale, dont elle est Lieutenante-Colonelle de la réserve citoyenne. Le SNELAC comprend 500 entreprises de toutes sortes et de toutes tailles employant 30.000 salariés pour 63 millions de visiteurs et un chiffre d’affaires de 2,8 milliards d’euros. « Conjuguer sécurité et divertissement est compliqué, puisque les visiteurs, même adultes, sont rapidement plongés dans lenfance, ce qui est a priori incompatible avec des postures adultes de vigilance. Notre métier consiste dune part à mettre en place de multiples procédures de sécurité et de sûreté, à s’y exercer et à les faire contrôler. Nos sites doivent ensuite afficher les consignes de sécurité et sensibiliser les parents à leurs responsabilités, à l’entrée sur site et à chaque attraction et surveiller de près mais discrètement tous les comportements, 92% des accidents ont pour origine le comportement du visiteur. Cest à ces conditions quen cas de problème, avec une traçabilité complète des dispositions mises en œuvre, la responsabilité juridique des exploitants peut être réduite au maximum. Au-delà des obligations législatives et réglementaires et des normes obligatoires, les SNELAC prône ladoption de bonnes pratiques et de normes volontaires, dont le label SécuriSite fait partie. Les exploitants ont une obligation de résultat et investissent entre 8 et 15% de leur chiffre daffaires dans la maintenance, la sécurité et la sûreté, mais ces multiples contraintes sont indispensables pour conserver la confiance des visiteurs, des actionnaires, des assureurs et des pouvoirs publics. A défaut, le métier ne peut tout simplement plus exister. Le SNELAC est aussi lorganisation patronale qui négocie la convention collective de son secteur, sappliquant à 3.000 entreprises. Nous coopérons avec le SGDSN dans le cadre du dialogue national de sécurité et échange des bonnes pratiques avec notamment le CDSE, les centres commerciaux et de grandes entreprises. Les solutions technologiques sont présentes dans toutes les commissions de notre syndicat, quil sagisse de video, de drones, dappareils de détection, d’alertes. Les systèmes permettant de réduire ou gérer les files dattentes et le paiement sans espèces constituent aussi des axes de développement. Le traitement des données et lintelligence artificielle vont rendre de précieux services tant en marketing qu’en sécurité y compris pour des incidents aussi fréquents quembarrassants tels que les enfants perdus, avec un défi intéressant relatif aux données personnelles et à l’acceptabilité.»