JEUNES ET NUMERIQUE: QUELS ENGAGEMENTS PUBLICS ET PRIVES POUR FAIRE DU CYBER UN ESPACE DE RESPECT ET DE LIBERTES ?

Février 2009 : la thématique du « safer Internet day », initiative annuelle placée sous l’égide des Nations Unies, est le suivant « la protection des enfants dans le cyberespace »… Preuve que cette préoccupation ne date pas d’hier ! Et pourtant, alors que la 16e édition de cette journée (qui se poursuit généralement tout au long du mois de février) consacrée cette année au sujet « les écrans, les autres et moi » vient de s’achever, les derniers chiffres ne sont pas rassurants… Selon la dernière enquête Ipsos « Junior’s connect », les 13-19 ans passent en moyenne 15h11 par semaine sur Internet, les 7-12 ans 6h10 et les 1-6 ans 4h37. Elle souligne également que d’année en année, le temps passé devant les écrans ne fait qu’augmenter. Au-delà de risques – déjà non négligeables – sur le développement des enfants, au niveau de l’apprentissage, des capacités de concentration ou encore des conséquences liées à une trop grande sédentarité, cette consommation d’écrans expose également les jeunes à des comportements délictueux, qu’ils en soient les victimes – 90% des enfants ont été confrontés au moins une fois à des contenus choquants, violents ou à caractère pornographique sur Internet – ou les auteurs (cyberharcèlement, cyber sexisme etc).

Comment se prémunir de telles dérives ? Tour d’horizon des outils publics et initiatives privées disponibles.

Par Sarah Pineau

UNE MOBILISATION ACCRUE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE…

La colonne vertébrale des actions publiques en matière d’utilisation du numérique et de la sensibilisation au cyber est le programme « Safer Internet France », déclinaison nationale du « Safer Internet Programme » de la Commission européenne qui entend traiter l’ensemble des problématiques liées à la vie numérique des jeunes.

Le « Safer Internet Programme » définit trois objectifs principaux :

  • sensibilisation aux enjeux de la vie numérique : prévention des risques et promotion des usages positifs ;
  • soutien et conseil face aux difficultés rencontrés par les jeunes : harcèlement, usurpation d’identité…
  • signalisation et saisine des autorités compétentes face à des contenus potentiellement illicites.

Pour chacun d’entre eux, la France a développé un outil de réponse :

  • www.internetsanscrainte.fr pour le volet sensibilisation. Y sont proposés, entre autres, vidéos et jeux en ligne pour une approche ludique des enjeux ;
  • « Net écoute », ligne téléphonique gratuite d’assistance ;
  • www.pointdecontact.net, site de signalement des contenus illicites et choquants

Du côté des institutions, au-delà de la mise en œuvre dudit programme par les ministères concernés, la représentation nationale est aussi vigilante. Ainsi, sur son site internet destiné aux 10-15 ans http://junior.senat.fr/, le Sénat a consacré un dossier entier au cyberharcèlement.

Cette mobilisation se traduit aussi dans les textes, que ce soit du côté sensibilisation avec, en 2013, l’instauration du « service public du numérique éducatif » par la loi pour la refondation de l’École de la République, ou, du côté répression, avec l’introduction en 2014 dans le Code Pénal1 du cyber-harcèlement, de ses notions connexes (harcèlement en ligne, cyberintimidation…) ainsi que des sanctions encourues par quiconque s’y livrerait.

Si ces outils méritent d’être salués, cependant des questions demeurent. Sont-ils réellement connus des jeunes et leurs parents ? La récente affaire de la Ligue du Lol permet d’en douter sérieusement, les ressources précitées existant déjà quand les faits ont été commis et les auteurs de ces derniers issus en grande partie de milieux sociaux favorisés où l’éducation n’est pas une difficulté. Par ailleurs, une consultation rapide du portail « internet sans crainte », laisse perplexe sur la forme bien que les contenus soient de qualité : design obsolète, navigation peu intuitive…En somme, un outil qui semble peu adapté aux publics visés ! Raison pour laquelle les initiatives du secteur privé sont les bienvenues.

DES INITIATIVES PRIVEES EN COMPLÉMENT…

Pour commencer, le marché des logiciels de contrôle parental est aujourd’hui parvenu à maturité. Outre les fournisseurs d’accès internet qui le proposent tous dans leur offre de base, d’autres acteurs mettent à disposition des solutions de qualité, régulièrement testées par des laboratoires indépendants et certifiées. En novembre 2018, le laboratoire AV-TEST a distingué trois solutions spécifiquement conçues pour la protection des enfants en ligne2, « Safe Kids » de Kaspersky Lab, « Norton Family » de Symantec et « Mac Parental Controls » d’Apple.

Pour mémoire, une fois installé le logiciel de contrôle parental tourne en permanence sur la machine et permet de limiter l’accès aux sites en fonction du profil choisi – « enfant » ou « adolescent » – de fixer des horaires de navigation, de restreindre l’accès aux jeux ou à certains logiciels etc.

Ensuite, soucieux de préserver leur image, souvent écornée par des affaires diverses – conservation illégale de données, divulgation d’informations personnelles, cyberviolence facilitée par leurs services, la plupart des géants du numérique tentent de montrer leur bonne foi en offrant un soutien financier conséquent aux programmes publics ou associatifs qui oeuvrent pour un internet plus sûr. Ainsi, alors qu’une étude très récente, menée par l’application de contrôle parental en ligne Bark, a recensé au moins 60.000 cas de cyber-harcèlement3 entre enfants sur « Google Docs » -plateforme de travail collaboratif offerte par le moteur de recherche du même nom – celui-ci peut en partie se dédouaner en arguant du partenariat noué avec l’association e-enfance qui opère le numéro national gratuit et confidentiel, Net Ecoute…

Enfin, peuvent également être mises en avant les solutions proposées directement par les sites eux- mêmes pour sécuriser la navigation ou lutter contre le cyberharcèlement. Qwant par exemple, moteur de recherche conçu et développé en France et connu pour ne collecter aucune donnée personnelle contrairement à ses concurrents, a lancé, en 2015, « Qwant Junior », outil adapté aux 6 – 12 ans. Outre posséder une liste noire de sites jugés violents ou pornographiques et bloquer les liens de commerce en ligne, il favorise, dans son référencement, les sites jugés pédagogiques. La volonté de ses créateurs était pallier une déficience des moteurs de recherche traditionnels peu intéressés par cette tranche d’âge eu égard à la difficulté de « monétiser le secteur des moins de 13 ans4 ». Pari réussi ! En effet, recommandé par le ministère de l’Education nationale pour remplacer Google dans les écoles, « Qwant Junior » est aujourd’hui adopté par 9 académies sur 14.

Parce qu’Internet est un espace de liberté et d’expression sans commune mesure, pour le meilleur et pour le pire, ce que l’on pourrait qualifier de « cyberespace jeunesse » doit être marié à une forme de régulation pour, d’une part préserver ces publics vulnérables et, d’autre part, en faire de futurs internautes adultes responsables. Aussi, le secteur public comme le secteur privé doivent poursuivre leurs efforts en la matière afin qu’internet devienne selon la belle expression de l’actuel secrétaire d’Etat au Numérique, Mounir Mahjoubi « un espace où l’expression positive et d’amour doit être supérieure à l’expression de la haine5».

1 Article 222-33-2-2 « « Le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ont entraîné aucune incapacité de travail. »

2 Les résultats et la méthodologie retenue sont consultables à cette adresse : Test des logiciels de contrôle parental pour les ordinateurs Windows 10 et macOS https://www.av-test.org/en/news/test-parental-control-software-for-desktops-with-windows-10-macos/

3 MESSIAS T., «Chez les jeunes le cyberharcèlement passe par les Google Docs », slate.fr 10.03.2019, [En ligne], [URL] http://www.slate.fr/story/174429/ados-cyber-harcelement-google-docs-jeunes

4 MALVAL A. « Les niçois de Qwant ont imaginé un moteur de recherche sécurisé pour les enfants », http://www.varmatin.com, 7.11.2016,

5 « Le gouvernement détaille ses plans contre la haine en ligne », liberation.fr, 14.02.2019, [En ligne], [URL] https://www.liberation.fr/direct/element/le-gouvernement-detaille-ses-plans-contre-la-haine-en-ligne_93844/