La Gendarmerie Nationale à l’assaut des prochains défis de sécurité intérieure

Par Lola BRETON

Le 3 août 2009, la loi consacrait le rattachement de la Gendarmerie Nationale au ministère de l’Intérieur, tournant ainsi une page de l’Histoire des forces de sécurité françaises. « Ce jour-là, la sécurité a fait un bond en avant », a souligné Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, lors de la célébration des 10 ans de ce rattachement, le 7 juin dernier. « La gendarmerie et la police se sont longtemps jugées plus qu’elles ne coopéraient pas ; mais elles avaient le même but : la sécurité des Français. Il fallait donc changer la structure pour répondre clairement aux enjeux. Nous avons opté pour un seul ministère, pour un seul cadre et une sécurité à 360° qui ne laisse personne de côté », a-t-il ajouté. Dix ans plus tard, le Général Richard Lizurey, Directeur Général de la Gendarmerie Nationale appelle à « penser ensemble, penser hors du cadre, préparer l’avenir pour qu’aujourd’hui et demain la Gendarmerie soit toujours au plus près des Français pour assurer leur sécurité ».

Un ADN militaire au service de la sécurité intérieure

Le rattachement de la Gendarmerie Nationale à Beauvau ne s’est pas fait sous le coup de la loi. Comme le précise Jean-Robert Rebmeister, ex-contrôleur général des Armées, « La loi de 2009 n’était que l’aboutissement du processus. La législation se mettait en fait en conformité avec la réalité, puisque dès novembre 2007, le Président Sarkozy avait annoncé le rattachement. » Ce passage de la Gendarmerie sous l’égide de l’Intérieur était rattaché à des principes essentiels que, tant les gendarmes que les policiers s’engageaient à suivre, malgré les dangers que ces derniers y voyaient. Frédéric Péchenard, ex-Directeur Général de la Police Nationale et actuel Vice-Président de la région Ile-de-France, chargé de sécurité, se souvient : « En plus d’une jalousie par la comparaison des statuts, nous craignons qu’une fusion ait lieu entre Gendarmerie et Police. »

Les gendarmes, eux, redoutaient la perte de leur identité. « Il existe un déni de gendarmerie ; nous croyons être partout, nous sommes nulle part. Nous avions peur que notre identité se perde en entrant à l’Intérieur », souligne le Général Marc Watin-Augouard. Cette identité se résume en un mot : militarité. La Gendarmerie a su garder le meilleur de sa tradition militaire, cultivée au sein du ministère des Armées, pour la mettre au profit de la sécurité intérieure et de l’alliance avec la Police. La perte du statut militaire de la Gendarmerie aurait, de fait, entraîné la fusion tant redoutée par les deux forces. Au contraire, cette conservation a permis de bousculer les habitudes de la sécurité intérieure. « La Gendarmerie a une organisation singulière, tout en verticalité avec, cependant, une responsabilité forte au niveau local. Cette organisation a apporté une nouvelle vision au ministère de l’Intérieur » se réjouit Christophe Castaner.

Une force résiliente proche des territoires et des citoyens

La force militaire et l’ancrage local des gendarmes marquent les esprits de tous ceux qui croisent leur chemin. Aude Bono-Vandorme, députée de l’Aisne, se rappelle la solidité de la Gendarmerie face au désastre imprévisible de l’ouragan Irma en septembre 2017 : « Le nombre de réponses à l’appel de renforts après le passage de l’Ouragan à Saint-Martin était impressionnant. Plusieurs centaines de réservistes se sont portés volontaires pour venir prêter main forte aux gendarmes saint-martinois. »

La Gendarmerie Nationale tire en effet une grande fierté de sa capacité d’adaptation, tant dans les Outre-Mer qu’en métropole. L’institution assure aujourd’hui la sécurité de 95 % du territoire national. Elle a donc dû s’adapter aux évolutions qui l’ont traversées au cours de la dernière décennie. « Les RETEX [retours d’expérience] sont de très bons indicateurs de résilience pour la Gendarmerie Nationale », souligne le Général Pierre Casaubieilh, Adjoint au Directeur des opérations et de l’emploi de la Gendarmerie nationale. « De plus, il faut distinguer la crise chaude, subite, de l’opération à long terme. Parfois, nous pouvons prendre en compte les éléments de la mission à venir suffisamment tôt, en nous basant sur les expériences passées pour développer un dispositif au point. C’était le cas lors du référendum en Nouvelle-Calédonie, par exemple, pour lequel nous avions travailler de long mois en amont pour assurer la sécurité le jour du vote », ajoute-t-il. Quand une crise subite frappe, là encore, la Gendarmerie sait se relever. « La Gendarmerie nationale possède une forte capacité à se recomposer et à changer », note Renaud Vedel, préfet coordonnateur ministériel pour l’Intelligence artificielle. Pour lui, « les crises de ces dernières années ont permis d’ancrer davantage la Gendarmerie nationale au sein du ministère de l’Intérieur. Cela s’est notamment dessiné autour du terrorisme et de la gestion des poches de radicalisation disséminées en France. »

Couvrir 95 % du territoire et ses habitants, c’est donc aussi devoir s’adapter à ses mutations, comme l’explique Xavier Latour, professeur de droit et doyen de la faculté de Droit et Sciences Politiques de l’Université de Nice Sophia Antipolis : « La cartographie de la délinquance a évolué ; il y a eu une refonte de la déconcentration et une montée en puissance des métropoles, au détriment parfois des départements. » Ces mutations territoriales entraînent également une affirmation du rôle des polices municipales, avec lesquelles Police et Gendarmerie nationales doivent composer, pour rester, toujours, au plus près des citoyens.

Préparer la Gendarmerie de demain

Tout citoyen, où qu’il soit, peut donc compter sur l’organisation et le sens de l’engagement des gendarmes français. Cependant, les territoires ne sont pas égaux face aux types de criminalité qu’ils abritent et les disparités sont nombreuses, notamment en matière de couverture numérique qui suscite des interrogations. Alors que nous nous dirigeons vers des dépôts de plainte systématiques en ligne et des services publics de plus en plus dématérialisés, Serge Morvan, Commissaire Général à l’Egalité des Territoires alerte : « La dématérialisation creuse les inégalités et l’implantation des services publics sur le territoire est mal faite. L’Etat doit donc se mettre au service des territoires et de leurs habitants pour permettre à tous une transition vers le numérique réussie et égale. La Gendarmerie Nationale, étant donnée son ancrage territorial, doit être intégrée à ce contrat. » Là encore, la Gendarmerie place l’humain au centre de sa réflexion. Le programme NEO, par exemple, a pour objectif d’apporter le numérique là où il n’y est pas, en équipant les équipes de Gendarmerie de terminaux mobiles sécurisés pour être au service des citoyens sans se soucier du manque de connexion ou d’équipement numérique. Avantage supplémentaire : il permet à la Gendarmerie de travailler en interconnexion avec des experts externes.

Etendre ses horizons et co-construire

« La Gendarmerie a la capacité d’anticiper les menaces de demain », note Jean-Claude Mallet, ex-conseiller spécial du ministre de l’Europe et des Affaires Etrangères. « Sur les questions cyber, déjà, elle était précurseur. Aujourd’hui, elle doit encore y travailler, tout comme sur les sujets de lutte contre la manipulation de l’information, par exemple », ajoute-t-il. Alors qu’une Direction du Numérique devrait voir le jour au sein du ministère de l’Intérieur début 2020 – en même temps, peut-être, qu’une loi de programmation sur la sécurité intérieure, dont l’idée semble faire son chemin – les forces de Gendarmerie n’échappent prenne part à l’innovation technologique dont tout le monde parle. L’intelligence artificielle aura donc sa place chez les gendarmes à la suite d’une co-construction. « La Gendarmerie doit aller chercher des partenaires, des idées en externe, dans le monde de la recherche et auprès des usagers. L’innovation ne se décrète pas, il faut l’imaginer et la construire – avec le soutien majeur de l’Agence Innovation de Défense, et l’inclusion des usagers dans la réflexion », explique le Colonel Thierry Renard. Le Général Lizurey renchérit « La technologie vient renforcer et faciliter le travail du gendarme et lui permet d’être plus sur le terrain, au contact de la population. Cependant, elle est un moyen, pas une fin en soi ». En matière de coopération internationale, dont la DCI est un maillon essentiel, la volonté existe. La Gendarmerie nationale a déjà un partenariat avec la Guardia Civil espagnole pour former les jeunes recrues. « La coopération est majeure pour construire une Europe de la sécurité par le bas, en formant ses acteurs ensemble », ajoute fermement le directeur général.

La Gendarmerie de demain sera donc aussi celle d’une nouvelle génération de gendarmes dévoués et de citoyens à servir. Pour innover et continuer à gérer le présent tout en gardant un œil fixé sur le futur, la Gendarmerie devra miser sur de nouveaux profils, divers. « Dès octobre 2019, le recrutement se fera sur une base d’épreuves numériques pour former les nouvelles recrues à la réalité d’un quotidien que l’on n’a pas encore atteint, dès leur entrée dans l’institution », annonce le Général Lizurey. « Car ce sont ces hommes et ces femmes qui seront au cœur des transformations de la Gendarmerie. »

En 1637, Corneille faisait dire à son Cid « qu’à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ». La Gendarmerie a connu de nombreux périls et les menaces futures, encore inconnues, parfois imprévisibles mais toujours multiples et hybrides, essaieront à nouveau de mettre au défi les forces de sécurité régaliennes. Comme toujours, la Gendarmerie saura réagir, apprendre et se relever, plus forte. Anticipation, formation, résilience et innovation seront donc au rendez-vous. « Pour continuer, et pour aller plus loin encore, il nous faut sortir de la culture qui consiste à sanctionner ceux qui se trompent. N’ayons plus peur de l’échec et sachons nous interroger continuellement sur l’essentiel : sur le sens de notre mission au service de la population. » conclut, avec détermination et force de conviction, le Général Lizurey.