La sûreté des établissements culturels – Acte II

par Stéphane Schmoll, consultant en technologies de sécurité et président de la commission stratégique du CICS1

Dans le précédent numéro, nous examinions les besoins et défis de sécurité/sûreté des sites et établissements culturels, leur typologie, les enjeux, doctrines et solutions possibles. Après les témoignages des responsables de Versailles et du Grand Palais, rencontre avec Frédéric Plouvier, Conseiller Sécurité/Sûreté des musées de la ville de Paris, Sébastien Dugauguez, directeur du bâtiment et de la sécurité du Centre Pompidou,et Dimitri Ashikhmin, CEO de FWA.

Frédéric Plouvier, Conseiller Sécurité/Sûreté des musées de la ville de Paris

Paris Musées est un établissement public administratif, créé le 20 juin 2012 par la Ville de Paris, chargé, depuis le 1er janvier 2013, de la gestion des 14 musées et sites patrimoniaux de la ville que sont : la maison de Balzac, le musée Bourdelle, le musée Carnavalet-Histoire de Paris auquel sont rattachés les Catacombes de Paris et la Crypte archéologique de l’île de la Cité, le musée Cernuschi, le musée Cognacq-Jay, le Palais Galliera, le musée d’art Moderne de la Ville de Paris, le musée de la Libération de paris-musée du Général Leclerc-musée Jean Moulin, le Petit Palais, la maison de Victor Hugo à laquelle est rattachée Hauteville House à Guernesey, le musée de la vie romantique et le musée Zadkine.

Cet établissement d’environ 1000 personnes contribue au rayonnement national et international des musées parisiens et soutient leur mission d’équipement culturel de premier plan au service des Parisiennes et des Parisiens : préservation, valorisation et enrichissement des collections, élargissement des publics, qualité et succès des expositions, adaptations aux nouvelles technologies, partenariat avec d’autres musées et institutions culturelles en France et à l’étranger, totalisent 3 millions de visiteurs par an, avec des expositions temporaires très fréquentées.

Un des risques les plus délicats reste celui des menaces armées. Notre doctrine est d’évacuer si l’attaque vient de l’intérieur et de confiner si elle est à l’extérieur. Une matrice probabilité /gravité a été établie pour chaque site avec le concours des forces d’intervention de la police nationale afin d’évaluer le risque potentiel réel, en se rappelant toutefois qu’un établissement n’est jamais à l’abri d’une menace. Pour répondre à cette menace armée, des consignes et procédures adaptées à chaque musée ont été rédigées avec le concours des directions de chaque établissement. Un programme d’apprentissage aux bonnes conduites a été rédigé en trois étapes passant de l’exercice sur table à la réalisation d’exercice grandeur nature pour s’assurer de leur efficacité.

A ce risque important s’ajoute d’autres risques comme le risque inondation, important pour les institutions parisiennes. Pour répondre à la protection des œuvres qui nous sont confiées, des plans de sauvegarde des œuvres ont été rédigés dans les établissements impactés.

Mais nous nous devons d’être à l’écoute des nouvelles technologies. Nous avons évalué dernièrement des gants détecteurs de métaux, qui pour notre usage ne correspondent pas à nos besoins. Actuellement, nous sommes en attente d’une présentation d’un portique de détection de métaux qui permet également d’identifier des produits explosifs. D’autres technologies tels que les logiciels concourant à l’analyse comportementale pourraient être étudiés, et s’ils sont concluants techniquement, pourraient être pris en compte dans les budgets des prochaines années.

Afin d’être au plus près de l’actualité, nous sommes branchés sur les chaines d’informations continues. S’y ajoutent les informations que nous recevons du centre de veille opérationnelle de la ville de Paris, qui nous informe de tous incidents majeurs sur l’agglomération, mais également grâce à un relationnel soutenu avec les forces de sécurité et autorités administratives civiles et militaires afin d’échanger toutes les informations utiles. Enfin, nous participons au réseau des grands établissements culturels avec qui nous partageons en temps réel des informations, pouvons échanger et partager nos expériences et coordonner certaines actions lors de crises majeures.

Sébastien Dugauguez dirige la Direction du bâtiment et de la sécurité du Centre Pompidou, qui compte 250 agents dont 40 dédiés à l’incendie et 110 agents de sûreté. S’y ajoute près de 175 agents de surveillance postés dans les salles du musée et rattachés à la Direction des publics. La sécurité des parkings est prise en compte en sous-traitance.

Le Centre Pompidou accueille près de 5 millions de visiteurs par an ; c’est le 5e site culturel le plus fréquenté du Grand Paris. Les risques de sûreté du Centre incluent bien entendu le risque terroriste mais aussi le risque lié aux expositions d’œuvres artistiques polémiques pouvant engendrer des actions revendicatives violentes ou destructives de la part d’activistes religieux ou écologiques y compris pour la défense des animaux. La veille des réseaux sociaux, en complément d’échanges régulier avec les services de la Police, permet de surveiller et parfois détecter la préparation d’actions coup de poing.

Le Centre Pompidou possède un système de vidéosurveillance avec 600 caméras, 40 écrans et 30 jours d’enregistrement asservi à divers capteurs d’alarme y compris des bandeaux infra-rouge et des barres palpeuses pour la protection de l’enveloppe vitrée. Une des problématiques classiques est liée aux multiples prestataires intervenant sur le site et pouvant rentrer par divers accès tels que les parkings, avec ou sans véhicules, avec ou sans matériels. Mieux détecter des individus ou dispositifs potentiellement dangereux appelle des solutions abordables et peu contraignantes. A l’intérieur du bâtiment, les accès des agents se font par des badges ou clefs restant dans les installations et donnant accès à des zones spécifiques. Par ailleurs, il faut rappeler que le Centre Pompidou, outre ses expositions permanentes et temporaires, comprend aussi des cinémas, un restaurant, une bibliothèque de 2000 places et des boutiques, ce qui multiplie les risques. Chaque point d’entrée permet aux agents de sûreté de filtrer environ 400 personnes par heure et par agent, ce qui génère parfois une longue file d’attente qui impacte l’attractivité du Centre Pompidou.

Nous n’excluons aucune solution technologique pour la sûreté pour peu qu’elles soient recevables aux plans technique, juridique, opérationnel et économique. La doctrine générale est cependant de toujours privilégier la sécurité incendie des biens, car il vaut mieux une œuvre volée, qui pourra être retrouvée, plutôt qu’une œuvre détruite. L’acceptabilité par le public et les agents est également un point important justifiant expérimentations et pédagogie. Nous rencontrons régulièrement nos confrères d’autres établissements pour échanger nos expériences car il y a peu de normes opérationnelles concernant la sûreté, mis à part celles édictées par l’ICOM2 concernant la conservation et la protection des œuvres d’art ainsi que l’accueil du public.

La gestion des attentes

Interview de Dimitri ASHIKHMIN, CEO de FWA 

S&D : Votre société fait partie de celles qui ont eu l’idée d’utiliser le numérique pour gérer les files d’attente. Comment l’opportunité s’est-elle présentée ?

D.A. : Comme souvent, l’idée de JeFile est née d’une nouvelle expérience personnelle : deux longues heures d’attente en été devant les Tours de Notre-Dame. Ironie du destin, les Tours de Notre-Dame ont été le premier monument à bénéficier de la virtualisation de la file d’attente avec JeFile. L’application est désormais opérationnelle au Château de Versailles avec des fonctionnalités de comptage et de calcul de la jauge.

S&D : Quels sont les résultats des premières expériences ?

D.A. : Les résultats sont 100% joyeux pour les visiteurs, les agents d’accueil et… pour la police. Nous avons dispersé la foule de l’entrée du monument. Cela a permis aux visiteurs de mieux profiter de Paris. Les agents n’ont plus le rôle de dissuasion à jouer en fin de journée. Et la police n’a pas installé de blocs en béton le long de Notre-Dame. Le danger a été évacué.

S&D : Comment faire connaître aux visiteurs l’existence de l’application ?

D.A. : Au lancement, par l’affichage externe sur le monument et la bonne parole des agents. Aujourd’hui, nous sommes présents dans les guides en ligne, les offices de tourisme et les sites web des monuments.

S&D : Au-delà de ces expériences, voyez-vous d’importantes perspectives ?

D.A. :  Les files d’attente sont partout et depuis toujours. Il suffit que l’offre soit inférieure à la demande. Nous nous concentrons sur tous les établissements recevant du public : tourisme, parcs d’attractions et hypermarchés. Mais aussi les salons de recrutement, les files d’attente de camions près des zones logistiques, les files devant les boîtes de nuit… Je vous laisse continuer la liste car elle n’a pas de fin.

S&D : Ces applications pourront-elles intégrer la billetterie ?

D.A. : La billetterie horodatée est une composante importante pour la réservation à l’avance et la répartition du flux. Cependant, elle ne suffit pas car elle ne gère pas le temps réel. JeFile prend en compte le flux de la billetterie horodaté et se concentre sur la gestion en temps réel des non présentations, des congestions et des passages prioritaires. Notre objectif : 80% de places distribuées par la billetterie horodatée et 20% de places attribuées par JeFile courant la journée. Résultat : 82 années d’attente transformées en 1 an de fonctionnement aux Tours de Notre-Dame et plus de 10% de réservations distribuées en fin de journée grâce aux adaptations en temps réel.

S&D : Le modèle économique est-il établi ?

D.A. : La solution propose un abonnement mensuel fixe sans dépendre de nombre de visiteurs ou utilisateurs. Le matériel qui l’accompagne est proposé en location ou en acquisition.

1 Conseil des industries de la confiance et de la sécurité

2 Conseil international des musées