L’apologie du terrorisme en ligne Première décision administrative annulant un blocage de site

Par Myriam Quéméner, magistrat, docteur en droit

La lutte contre le contenu terroriste en ligne, est devenue un enjeu majeur de ces dernières années en raison de la diffusion de la propagande terroriste notamment sur internet et de son influence dans les sociétés occidentales. La lutte contre ce type de contenu, par leur éradication et par leur répression, tient naturellement compte de la protection de la liberté d’expression, qui jouit en France des mêmes garanties en ligne et hors ligne.

Conformément à l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, à l’article 10 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la liberté d’expression est le principe, et ses restrictions constituent l’exception. Les exceptions peuvent notamment être liées à la nécessité de protéger l’ordre public afin de prévenir la commission d’infractions terroristes.

Pour la première fois depuis la promulgation de la loi du 13 novembre 2014 qui a introduit les procédures de retrait, de blocage ou de déréférencement, la personnalité qualifiée désignée par la CNIL1 a saisi le juge administratif estimant que la qualification juridique d’apologie du terrorisme n’était pas établie2.

Ainsi, par quatre requêtes jointes, la personnalité qualifiée, désignée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés3 (CNIL) au titre de l’article 6-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 (LCEN), a saisi le tribunal administratif d’annuler des décisions de l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC), prises à l’automne 2017, enjoignant l’éditeur du site Internet Indymedia, ainsi que des exploitants de moteurs de recherche et annuaires, d’opérer le retrait ou de déréférencer des sites faisant une provocation ou l’apologie de plusieurs incendies criminels ayant visé des casernes de gendarmerie (Grenoble, Meylan, Limoges) ou la police municipale de Clermont-Ferrand.

Comme le prévoit la LCEN, lorsque les nécessités de la lutte contre la provocation à des actes terroristes ou l’apologie de tels actes relevant de l’article 421-2-5 du Code pénal le justifient, l’autorité administrative peut demander à toute personne, à savoir l’éditeur ou l’hébergeur4 de retirer les contenus qui contreviennent à ces mêmes articles 421-2-5 et 227-23 du Code pénal. Elle en informe simultanément les personnes mentionnées au 1 du I de l’article 6 de la présente loi (FAI). En l’absence de retrait de ces contenus dans un délai de vingt-quatre heures, l’autorité administrative peut notifier aux personnes mentionnées au même 1 la liste des adresses électroniques des services de communication au public en ligne contrevenant auxdits articles 421-2-5 et 227-23. Ces personnes doivent alors empêcher sans délai l’accès à ces adresses.

L’autorité administrative transmet les demandes de retrait et la liste mentionnée, respectivement, au premier et deuxième alinéas à une personnalité qualifiée, désignée en son sein par la CNIL pour la durée de son mandat dans cette commission et chargée d’en contrôler la légalité. La personnalité qualifiée s’assure de la régularité des demandes de retrait et des conditions d’établissement, de mise à jour, de communication et d’utilisation de la liste. Si elle constate une irrégularité, elle peut à tout moment recommander à l’autorité administrative d’y mettre fin. Si l’autorité administrative ne suit pas cette recommandation, la personnalité qualifiée peut alors saisir la juridiction administrative compétente, en référé ou sur requête.

Le tribunal administratif a été appelé à apprécier la qualification juridique des faits, conformément à la règle d’interprétation stricte de la loi pénale. Pour le tribunal, « il ressort des pièces du dossier que les incendies criminels revendiqués dans les quatre publications litigieuses sont inspirés par une pensée libertaire et contestataire selon laquelle les forces de sécurité intérieure et, plus généralement, les institutions incarnent un ordre auquel il ne faut pas se soumettre […] ». Il n’est pas possible, selon la juridiction, de rattacher à une organisation terroriste préexistante les incendies criminels revendiqués dans les publications litigieuses, au regard de leur ampleur, de leur mode d’exécution et de la revendication qui y est jointe.

En l’absence de tout autre élément matériel révélant l’existence d’une entreprise terroriste, les faits, bien que pénalement répréhensibles, ne peuvent être analysés comme des actes de terrorisme au sens des dispositions précitées de l’article 421-1 du Code pénal.

Il convient de relever qu’en l’espèce la provocation peut relever de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse punissant de cinq ans d’emprisonnement la provocation directe à certaines infractions, dont les destructions dangereuses pour les personnes.

L’infraction pour les affaires de Grenoble et de Meylan, des informations judiciaires ont été ouvertes pour « destruction en bande organisée du bien d’autrui par un moyen dangereux pour les personnes », infraction prévue par les articles 322-8 1°, 322-6 al.1, 132-71 du Code pénal et réprimée par les articles 322-8 al.1, 322-15,322-16 et 322-18 dudit Code. Le juge judiciaire territorialement compétent n’a pas retenu le caractère terroriste.

On peut relever cependant que l’infraction d’apologie du terrorisme est de plus en plus sanctionnée comme en témoigne les poursuites récentes après l’attaque terroriste de Condé- Sur-Sarthe. Ainsi, le 6 mars 2019, l’administration pénitentiaire d’Argentan adresse un signalement au procureur de la République. Il est relaté le comportement d’un détenu qui, à deux reprises, a menacé de mort les surveillants en criant « Allah Akbar ». Un détenu du centre de détention d’Argentan a été condamné, vendredi 8 mars 2019, à 24 mois de prison pour avoir, à deux reprises, insulté demécréants et menacé de mort des surveillants en criant « Allah Akbar ». Il a été jugé dans le cadre d’une comparution immédiate.

On constate que les infractions d’apologie du terrorisme en ligne sont probablement plus complexes à caractériser qu’en « dur » dans la mesure où elle visent de façon plus nette des atteintes à la liberté d’expression.

1 https://www.cnil.fr/fr/controle-du-blocage-administratif-des-sites-1er-rapport-de-la-personnalite-qualifiee

2 Voir S.Fusini , actualité Dalloz ,14février 2019 , Annulation de décisions de blocage de publications pour apologie du terrorisme,https://www.dalloz-actualite.fr

3 mentionnée au III de l’article 6 de la loi ou aux personnes mentionnées au 2 du I du même article 6