Défense européenne : « Capitaliser sur ce qui marche et aller, ensemble, plus loin »

Par Lola BRETON

« Contrairement au pessimisme souvent de mise sur ce sujet, la défense européenne avance. » C’est ainsi que Ronan Le Gleut et Hélène Conway-Mouret, sénateurs, qualifie l’état de ce projet en cours depuis de nombreuses années, mais qui semble se concrétiser « par des réalisations progressives et protéiformes. » Pour se détacher de la vision franco-française trop souvent retenue dans les discussions sur l’avenir de la défense européenne, M. Le Gleut et Mme Conway-Mouret se sont donc rendus dans 7 pays européens pour écouter leur perception des enjeux. Leur rapport d’information sur le défi de l’autonomie stratégique posé par l’idée de défense européenne a été adopté par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat le 3 juillet dernier.

Sortir de l’axe franco-français

Plusieurs constats s’imposent, d’abord. L’engagement de la France en faveur d’une défense européenne forte est souvent mal comprise. C’est le cas notamment du rapport que le pays entretient, historiquement et idéologiquement, avec l’OTAN. « Notre volonté légitime d’autonomie stratégique européenne est souvent comprise à tort comme un souhait de nous éloigner des Etats-Unis, ce qui n’est pas le cas », souligne le rapport de Ronan Le Gleut et Hélène Conway-Mouret. Là, la France souhaite affirmer deux positionnements essentiels. Tout d’abord, il est clair qu’assurer la défense de l’Europe sans l’aide des Etats-Unis coûterait aujourd’hui très cher – 300 milliards d’euros. Une somme qui permet de comprendre la crainte que certains pays de l’Union européenne peuvent ressentir face à l’hypothèse d’un retrait américain.

En revanche, « l’Europe doit aussi être ferme : sa défense ne saurait s’acheter avec des contrats d’équipements. Le renforcement de la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) est vital. » Pour construire cette base, les rapporteurs réaffirment la nécessaire coopération continue avec le Royaume-Uni : « L’UE doit construire dès que possible après le Brexit, un traité de défense et de sécurité afin de l’associer de façon flexible aux dispositifs de l’UE. »

Des projets protéiformes à l’œuvre en Europe

Cette volonté de sortir de la vision franco-française d’une défense européenne future se retrouve également dans les projets en cours au niveau européen. Pour Christian Cambon, président de la commission de défense, « il faut encourager toutes les coopérations et les mutualisations car ce sont autant de briques contribuant progressivement à l’édifice d’une défense européenne, qui sera protéiforme ou ne sera pas. »

Dans ce sens, tous saluent l’accord de partenariat stratégique CAMO (capacité motorisée), signé par la France et la Belgique en novembre 2018. L’accord cadre intergouvernemental est entré en vigueur le 21 juin dernier, ce qui a permis de lancer la production pour livraison de 382 véhicules blindés GRIFFON et 60 engins blindés de reconnaissance et de combats JAGUAR, censés entrer en service entre 2025 et 2030. Ces véhicules, identiques à ceux du programme SCORPION seront donc totalement compatibles avec les engins français.

Autre projet d’envergure porté par la France pour la défense européenne : l’EATC – European Air Transport Command. Cette structure de coopération intégrée qui met en commun la flotte d’avions de transports de plusieurs pays européens s’est encore agrandi il y a peu. L’entrée de l’Italie et de l’Espagne dans la structure fait monter à sept le nombre de pays impliqués dans ce projet éprouvé.

12 propositions pour avancer ensemble vers une défense européenne stable

Le rapport formule 12 propositions pour répondre au défi de l’autonomie stratégique, en tenant compte des positions des partenaires européens. Ces propositions suivent trois axes. Il s’agit d’abord de se mettre en phase avec les principes de l’OTAN, en articulant notamment des processus de planification capacitaire européens cycliques et cohérents avec le processus structuré de l’Alliance. De plus, face au départ du Royaume-Uni, les rapporteurs proposent – en plus de conclure rapidement un traité de défense et de sécurité européo-britannique – de créer un nouveau poste de commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR) pour un représentant d’un Etat membre, en plus du poste existant, réservé à un Britannique.

Au niveau institutionnel et normatif, l’Union peut également agir sur plusieurs plans selon Ronan Le Gleut et Hélène Conway-Mouret. D’abord, les sénateurs appellent à la constitution d’un livre blanc européen de la défense. Ceci permettra d’établir une ligne de conduite claire pour l’Europe. Le rapport propose notamment de relancer la politique de sécurité et de défense commune, dans le cadre de son partenariat avec l’Afrique, par exemple. Il s’agit également de défendre le budget de 13 millions d’euros proposé pour le Fonds européen de Défense pour la période 2021-2027 en veillant à servir les intérêts industriels de l’Union pour renforcer la BITDE. Enfin, les rapporteurs appellent à la création d’un directeur général défense et espace ou d’un poste de commissaire européen à la défense afin que les enjeux de défense bénéficient d’une plus grande visibilité au sein des institutions européennes.

La France a, évidemment, un rôle à jouer dans cette évolution. Les rapporteurs soulignent l’importance de sa participation au dispositif d’Erasmus militaire, d’exercices interarmées et autres échanges intracommunautaires sur la question. Ce partage permettra de faire mûrir une vision stratégique commune des futurs décideurs, avançant ainsi d’un même pas vers une défense européenne mature.