Ces derniers temps, la question de « souveraineté » dans le numérique est au cœur des débats. Beaucoup en parlent, se questionnent sur la manière de rendre à la France et à l’Europe ce qui est leur. Or, le sujet est vaste. Comme l’a souligné le général Marc Watin-Augouard lors de l’Observatoire FIC du 10 juillet 2019 sur le sujet, « la souveraineté numérique est en fait une conjugaison de plusieurs éléments. Il s’agit de souveraineté technologique, normative, juridique mais aussi liée aux capacités humaines. Et s’il existe une souveraineté européenne en devenir, nous devons déterminer si elle est conditionnée à une souveraineté nationale. »
Un empire européen du numérique est-il possible ?
Pour Pierre Bellanger, président-fondateur du groupe Skyrock et engagé depuis plusieurs années sur les enjeux de souveraineté autour du numérique, ni entreprises ni Etats européens n’étaient prêts à faire face à la réalité du numérique actuel. « Pendant longtemps, le numérique apparaissait comme un monde magique, fait de licornes, de nuages, de jeunes pousses anglicisées (les start-up). Or, les décideurs européens prennent seulement conscience aujourd’hui qu’ils ont été envahis par un territoire numérique et que leur population a volontairement migré pour se réfugier sous le coup de la loi californienne », déplore Pierre Bellanger. En effet, le poids des géants du numérique, qui se sont construits en plusieurs décennies au cœur du Golden State, est aujourd’hui indéniable.
En réponse, la France, notamment, se penche actuellement sur l’imposition des GAFAM sur son sol – puis sur le sol européen. L’adoption du Cloud Act semble également avoir agi comme un électrochoc quant à la nécessité de développer des réponses adéquates aux lois à portée extraterritoriale, comme le révèle la publication d’un rapport parlementaire sur la question par le député Raphaël Gauvin en juin 2019. Cependant, « l’Union européenne reste trop faible face aux trois empires du numérique que sont les Etats-Unis, la Chine et la Russie », souligne le président-fondateur de Skyrock.
Des besoins concrets fondamentaux pour une souveraineté européenne, nationale… et individuelle
Pour reprendre la main sur nos données, pour réattirer les citoyens vers un espace européen du numérique et pour garder nos cerveaux et donc notre excellence sur le Vieux continent, plusieurs initiatives et principes sont à embrasser et mettre en place. Tout d’abord, comme le souligne Franck Montaugé, sénateur et président de la commission d’enquête sur la souveraineté numérique au Sénat, « le préalable essentiel à une meilleure maîtrise de la souveraineté numérique est la volonté politique de changer de paradigme. » L’existence de la commission d’enquête qu’il préside semble signifier un pas en avant dans cette direction.
Selon Pierre Bellanger, il ne s’agit pas seulement de se démarquer de grandes plateformes américaines, chinoises ou russes. « Nous devons voir la souveraineté comme une condition de la liberté. Pour cela, plus que garder la main sur nos données au niveau national ou européen, il convient de s’assurer que des droits individuels continueront de s’appliquer sur ces données », explique-t-il. En cela, l’adoption du RGPD n’était qu’une première étape. « Il faut développer des solutions plus contraignantes et en profondeur pour faire de nos données un bien commun souverain, et donc non exportable », affirme Pierre Bellanger. Selon lui, le travail de la commission d’enquête du Sénat pourrait être le pivot de ce changement de réalité numérique : « Nous, Français, pouvons donner l’impulsion à un changement profond dans l’espace numérique européen, et au-delà. Ce que nous réussirons à penser et à instaurer aura le potentiel de rayonner ailleurs et d’être adopté par ceux qui partagent nos valeurs. »
Le travail essentiel et très attendu de la commission d’enquête
La commission d’enquête devrait rendre son rapport potentiellement pivot début octobre 2019. Lors de l’Observatoire FIC, Franck Montaugé, son président a toutefois souligné plusieurs points qui, selon lui, sont clés et devraient être intégrés à la liste de préconisations. « Nous devons déterminer le type de régulation que nous souhaitons adopter : s’agit-il d’une régulation stricte par les pouvoirs publics ou d’une co-régulation avec les plateformes existantes ? Il paraît également essentiel de protéger l’accès aux données et lutter contre la privatisation des données scientifiques. La CNIL pourrait, par exemple, se muer en agence des données. De plus, nous savons bien que ces changements ne pourront se faire sans l’éducation des citoyens au sujet, d’une part, et l’ajout d’une dimension éthique au numérique, de l’autre. Sur ce dernier point, la création d’un Conseil national d’éthique du numérique et de l’IA pourrait être discutée. La question centrale des données comme bien commun souverain sera également abordée.»
Ces pistes de réflexion s’ajoutent aux éléments soulevés lors de la discussion de l’Observatoire, notamment sur la défense contre l’extraterritorialité des droits étrangers et la localisation des données près des endroits où elles sont générées, notamment.
En attendant la publication du rapport de la commission, et la liste concrète de préconisations dont le gouvernement devra se saisir, la souveraineté numérique reste un sujet prégnant. Elle sera notamment au cœur des discussions de la 5e édition de l’Université d’été d’Hexatrust qui se tiendra à Paris, le 5 septembre prochain (inscriptions et informations ueht2019@cogesevents.com)