Lutter contre la criminalité des paris en ligne lors de grands événements sportifs

Les Français jouent de plus en plus leur argent. En 2018, l’Agence de Régulation des Jeux en Ligne (ARJEL) recensait plus de 2,5 millions de pratiquants en France, (+40 %). Pour la première fois, les paris sportifs occupent, en plus, le haut du tableau des revenus générés, avec 3,9 milliards misés. Derrière ce loisir répandu se cachent pratiques illicites et activités pernicieuses, en mouvement permanent. Entre corruption, blanchiment d’argent et crime organisé, la manipulation sportive pourrait mettre à mal les grands évènements à venir, comme les Jeux Olympiques 2024.

Par Lola BRETON

La criminalité fructueuse des paris sportifs

Transferts financiers quasiment instantanés, hyper-connectivité, chute des frontières virtuelles entre Etats ; les criminels s’en délectent. Les compétitions sportives n’ont échappé ni à cette révolution numérique ni aux nouvelles menaces qui l’accompagnent. La manipulation sportive – qui passe par l’achat de joueurs pour qu’ils trichent et perdent, l’achat d’arbitres pour qu’ils ferment les yeux ou tournent des actions en fautes – permet aux parieurs illicites du monde entier de s’enrichir plus ou moins subtilement. « Et aucun sport n’est à l’abri », souligne Corentin Segalen, coordonnateur de la plateforme nationale de lutte contre la manipulation des compétitions sportives. Les treize opérateurs français agréés par l’ARJEL peuvent bien respecter les lois et règles en la matière, les plateformes étrangères n’en font rien. « En France, la décision a été prise d’interdire les paris sur des compétitions aux enjeux financiers inférieurs à 17 000 dollars en tennis, par exemple, parce que la somme à investir pour manipuler un joueur serait trop faible et le match aisément manipulable, rappelle Corentin Segalen. Dans certains pays, cette règle n’existe pas ».

Malgré l’adoption, en 2017, de la résolution 7/8 sur la corruption dans le sport par l’ONU, qui « demande aux Etats parties de redoubler d’efforts pour prévenir et combattre la corruption dans le sport et d’améliorer la coopération, la coordination et l’échange d’information », la déterritorialisation des paris et l’absence de régulation internationale contraignante sont au cœur de la manipulation.

La collaboration judiciaire internationale paie tout de même, parfois. En 2013, le football italien – « sport, avec le tennis, dans lequel il est facile de placer de fortes sommes d’argent sans se faire repérer », selon Corentin Segalen – a fait les frais de la mafia singapourienne de Dan Tan. Depuis la cité-Etat, elle déléguait l’activité criminelle pour manipuler des joueurs en Europe. Un « Calcioscommesse » semblable aux scandales antérieurs du football italien. Celui-ci s’était soldé par l’arrestation du cerveau mafieux et de 54 autres protagonistes, après une enquête de longue haleine du tribunal de Crémone. Longues suspensions pour les joueurs impliqués et, pour Dan Tan, peine de prison avaient clôt l’affaire.

Le sport pour servir des intérêts pernicieux

Les menaces liées à la manipulation sportive ne sont pas nouvelles mais plus dangereuses. L’appât du gain de certains opérateurs illégaux est moins à craindre que les réseaux insidieux de la criminalité organisée. Le transit de sommes d’argent importantes permet aux mafias de s’insérer facilement dans les boucles de paris pour y blanchir leur argent, voire l’y faire fructifier. Ce financement occulte inquiète.

Pour tenter d’enrayer ces phénomènes, le gouvernement albanais a banni les paris en ligne dès le 1er janvier 2019. Tout porte à croire que les opérateurs migreront vers les pays voisins pour y installer leur commerce juteux. – au Monténégro, par exemple, où plusieurs entreprises de TIC sont soupçonnées d’abriter des sites de paris souterrains, échappant à la fiscalité et à la légalité. Criminalité organisée oblige, les Balkans occupent les radars de ceux qui œuvrent à rendre au sport sa superbe.

Un constat qui appelle malgré tout à un enthousiasme, même modéré. Sarah Lacarrière, spécialiste des enjeux d’intégrité dans le sport, souligne : « Il y a eu une véritable prise de conscience des risques. Cela a permis la sensibilisation des athlètes et des acteurs de la lutte contre la criminalité, comme la police. Même si les criminels ont souvent un temps d’avance, cette sensibilisation importe. Tous les acteurs de la sécurité mobilisés sur les grands évènements sportifs devraient être sensibilisés aux risques de manipulation sportive. »

Une communauté d’acteurs mobilisée pour l’intégrité du sport

A priori, le niveau d’attention médiatique porté sur les JO et leurs enjeux sportifs majeurs rassure. « On dit souvent que les JO sont un marché mineur pour la criminalité des paris sportifs. En plus de ne pas en générer énormément, les JO sont un graal pour les athlètes ; les manipuler est donc difficile. Et si les joueurs devaient être approchés pour manipuler des matches, ils le seraient sûrement en amont de la compétition », souligne Sarah Lacarrière.Cela n’empêche pas le CIO d’être très impliqué dans la lutte. L’Unité du Mouvement olympique sur la prévention de la manipulation des compétitions en est la preuve.

Le code sur la prévention des manipulations de compétitions rappelle que, « en raison de la nature complexe de cette menace, la coopération avec les autorités publiques, en particulier police et justice, et les organes de paris sportifs est cruciale. » De fait, le CIO peut compter sur instances françaises et européennes de régulation et forces policières et judiciaires pour l’assister. A Tokyo et Paris, l’IBIS (Integrity Betting Intelligence System) permettra de lier les mondes du pari, du sport, et de la police. Côté parieur, le groupe de Copenhague, qui rassemble les plateformes nationales de lutte sous l’égide du Conseil de l’Europe, sera garant de la convention de Macolin, seul outil de droit international sur le sujet.

Préconiser un système renforcé de prévention, d’alerte et d’actions

Réunions au sommet et signature de conventions suffisent, malheureusement, rarement. Les acteurs travaillent donc à l’efficacité de leurs outils de prévention, d’alerte et d’actions.

Prévenir : lourde tâche tant la manipulation est insidieuse. Ne pas parier sur les Jeux ou sur sa discipline ; ne pas manipuler de compétition ; ne pas partager d’informations internes ; toujours signaler les comportements suspects. Telles sont les règles du CIO. « Lorsqu’un joueur est contacté, nous pouvons le mettre sous protection », souligne Corentin Segalen. Nous travaillons aussi en étroite collaboration avec les forces d’Europol et d’Interpol pour agir vite en cas d’alerte et éviter que les criminels ne s’enfuient avec l’argent ». Une coopération vue d’un très bon œil par le CIO, qui dispose depuis 2012 d’unités conjointes de renseignements sur l’intégrité.

La Coupe du monde féminine de football est l’occasion de tester ces nombreux dispositifs. Veiller aux fluctuations suspectes des cotes, élever ou abaisser les niveaux de surveillance en fonction des alertes, prévenir les partenaires ; autant de missions assistées par les nouvelles technologies et les initiatives protectrices. Au côté de l’arbitrage vidéo, paire d’yeux supplémentaires pour lutter contre la triche, se tiendra l’organisation Sportwhistle, financée par l’UE. Elle assure la protection des lanceurs d’alerte dans le sport. Aux JO 2024, espérons que ce coup de sifflet ne retentisse pas.