Développement numérique en Afrique : inclure le plus grand nombre

Par Lola BRETON

Le secteur de l’Internet des objets fait croire les spécialistes à une ascension fulgurante en perspective. Des investissements mirobolants semblent d’ores et déjà être avancés tandis que l’IDC (International Data Corporation) les voit atteindre près de 745 milliards de dollars au niveau mondial avant décembre 2019. Nouvelles pratiques industrielles, maison intelligente, bien-être, véhicules connectés : l’IoT envahira bientôt nos quotidiens et nous assistera dans le tournant vers le tout-numérique. Cette croissance est en passe de profiter énormément au continent africain. Sa révolution numérique est déjà entamée.

L’Afrique : espace prometteur de développement numérique

« Pour l’instant, l’IoT est un secteur assez neutre sur l’ensemble du territoire africain, explique Innocent N’Dry, chargé d’affaires export au bureau Business France d’Abidjan. Cependant, dans certains pays, comme l’Afrique du Sud, on observe une vraie croissance dans le domaine. Le réseau Sqwidnet, par exemple, y offre depuis 2016 l’accès à des solutions IoT à bas-coût afin que tous puissent en profiter. On estime qu’entre 2017 et 2021, l’IoT sud-africain devrait croître de 68 %. D’autres pays, comme la Côte d’Ivoire, le Nigéria ou le Kenya ont d’excellentes infrastructures de télécom à même de suivre Pretoria, mais il leur manque des acteurs prêts à financer les innovations IoT ».

Doté d’une très jeune population hyperconnectée – plus de 60 % des Africains ont moins de 25 ans –, le continent bénéficie tout de même déjà massivement des technologies numériques, notamment à travers les smartphones. Aux écrans tactiles et aux batteries de cobalt s’ajoute la souscription Internet sur mobile. « Il y a quelques années, peu d’Africains avaient un mobile et Internet coûtait cher. Aujourd’hui, les opérateurs proposent des prix accessibles, les jeunes découvrent Internet à travers leur téléphone, et cela leur facilite la vie », souligne Innocent N’Dry. Le dernier rapport de l’UIT, l’agence des Nations Unies spécialisées dans les TIC, pointe une augmentation considérable du taux d’utilisateurs entre 2005 et 2018, passant de 2,1 % à 24,4 %. Cette croissance exponentielle, qui reste tout de même bien inférieure aux usages européens, varie considérablement d’une région à l’autre. Bien que le taux de pénétration d’Internet dans la population marocaine (58 %) ne soit pas comparable à celui au Burundi (2 %), par exemple, la couverture réseau de plus en plus étendue sur le continent n’en constitue pas moins une avancée considérable.

De plus, la croissance du numérique en Afrique pourrait avoir un effet levier sur le développement du continent, porté par le dynamisme démographique et la propension à l’hyper-connexion. Intégrés dans le secteur de la e-santé et de l’énergie, les objets connectés, notamment, pourraient servir à proposer une assistance médicale et sanitaire adaptée à chaque citoyen ou à gérer les ressources naturelles de manière durable. Orange est très attentif à ces nouveaux usages, comme le souligne Thomas Chalumeau, Directeur stratégie et développement MEA : « En milieu rural, l’IoT appliqué à la santé peut permettre d’ouvrir des centres de soins dotés de la télémédecine et ainsi parler avec un praticien hospitalier situé en ville. Nous réfléchissons aussi au déploiement de flotte de bus sanitaires pour faire le même travail dans les villages ».

Pousser l’Afrique vers sa croissance numérique

Face à ces opportunités évidentes et prometteuses, qui profitera également aux investisseurs et industriels étrangers positionnés en Afrique, l’impulsion politique pour accompagner le développement numérique du continent existe déjà. La Banque Mondiale s’est associée à l’Union africaine pour lancer l’initiative Moonshot Africa, « qui a pour but de connecter les individus, les entreprises et les gouvernements d’Afrique à un réseau Internet haut débit », comme le souligne Pinelopi Goldberg, Directrice des Etudes économiques de l’organisation. La Banque mondiale espère constater les effets bénéfiques de l’expansion numérique sur le marché du travail africain. L’arrivée de l’Internet haut débit en Afrique aurait déjà permis de faire émerger de nouvelles professions et d’augmenter la demande en recrutement. Ces observations inspirent le développement d’une coopération étroite et stratégique entre Européens, forts de leurs expériences et de leurs moyens conséquents, et Africains, en quête énergique de croissance et d’innovation numérique. L’Alliance Europe-Afrique annoncée par l’UE en novembre 2018 « pour un investissement et des emplois durables » est dotée d’une plateforme réunissant les acteurs institutionnels, privés et académiques des deux continents. Les projets du numérique y seront, sans doute, inévitables.

Côté hexagonal, Business France est présent sur la zone australe depuis plusieurs années pour aiguiller les entreprises françaises dans leur déploiement. « Nous sommes présent dans huit pays d’Afrique, ce qui nous permet d’en couvrir quinze autres, grâce notre réseau », souligne Innocent N’Dry. L’expertise Business France permet aujourd’hui d’accompagner les PME françaises qui souhaiteraient s’impliquer sur le terrain numérique africain. « Aujourd’hui, tout ce qui concerne le e-commerce et la FinTech sont en très fort développement. C’est le cas en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Sénégal, mais surtout au Kenya – qui a toujours été précurseur sur le mobile money – et au Nigéria. », confie le chargé export Business France. « Demain, l’IoT s’appliquera dans les secteurs de la smart home, de l’agriculture et des mines, par exemple », ajoute-t-il.

Se positionner stratégiquement sur le marché IoT et cyber africain

Si l’enjeu est désormais identifié et les perspectives de croissance étudiées, l’avenir du numérique africain repose sur la capacité du secteur privé technologique à s’y positionner, stratégiquement.

La Chine, elle, a su saisir l’occasion numérique africaine dès qu’elle s’est présentée. En parallèle du déploiement du réseau 5G, Huawei investit sur le continent. A sa manière, la firme tient à y mener le développement des smart cities. La Zambie est ainsi en passe de devenir le premier smart country. Data center national protégé par une solution cloud et réparti sur trois infrastructures et deux villes, formation numérique dans les établissements supérieurs et plateforme e-gouvernement s’inscrivent dans un plan de 50 ans pour développer la « smart Zambia ». Tous ont été fournis par l’entreprise chinoise. « Nous faisons face à des logiques de compétition et de coopération avec les entreprises comme Huawei sur le marché africain, assure Thomas Chalumeau. Sur certains appels d’offres, l’association entre expertise sur la connectivité, la fibre, la smart energy, et le développement des réseaux 4G, puis 5G permettra de développer de nouveaux usages pour l’IoT, notamment. C’est un marché où il y a de la place pour beaucoup d’acteurs : opérateurs télécoms, grands acteurs techs, acteurs spécialisés dans les applications verticales. La clé, c’est la coopération, pour répondre aux besoins des clients ».

L’opérateur français, implanté dans 19 pays en Afrique et Moyen-Orient est particulièrement actif sur le secteur de l’IoT africain, dans la sécurité, la santé, et la smart city, notamment. « Comme partout ailleurs, la sécurisation des connexions d’objet à objet en Afrique est un enjeu majeur de l’industrie, pointe son directeur stratégie et développement MEA. Nous pensons qu’avec le nombre de connexions futures, les opérateurs qui apporteront une sécurisation forte auront un temps d’avance. C’est pourquoi nous réfléchissons à développer la technologie blockchain dès aujourd’hui ». Le rayonnement en cybersécurité sur l’ensemble de l’Afrique est en marche pour Orange. Avec l’ouverture d’un centre cyberdéfense à Casablanca, le groupe souhaite en devenir le référent. Le Maroc n’est, en plus, pas en reste sur les questions numériques puisque, alors que le bureau d’étude Nextronic, spécialisé dans la conception des systèmes IoT, le SIT Cybersecurity Africa Forum 2019 a lieu en juin au Maroc. Preuve que les acteurs locaux s’impliquent grandement.

S’implanter ou exporter en Afrique en bonne intelligence

« Dans toutes les startups africaines que j’ai rencontrées, j’y ai vu du cœur. Leur démarche va au-delà de la recherche de profits et de levées de fonds », s’émerveille Éric Léandri, co-fondateur et PDG de Qwant. En Côte d’Ivoire,par exemple, une entreprise fait du ‘LiFi’, technologie de communication sans fil basée sur la lumière. Comme les smartphones lisent le ‘LiFi’, il n’a suffi aux entrepreneurs de la startup LiFi-Led qu’à installer des bornes de trois mètres de haut pour permettre une vitesse accrue des communications ! Des solutions incroyables comme cela, il y en a partout en Afrique ».

Éric Léandri croit en l’avenir brillant qui attend le continent sur les questions numériques grâce à ses esprits inventifs. Pour autant, exporter des solutions et des technologies françaises sur le continent ne lui semble pas incongru : « Bien sûr que l’on peut exporter vers l’Afrique ! En revanche, il faut que cela soit fait en collaboration avec les acteurs locaux. Ces derniers doivent comprendre ce qui leur est vendu pour pouvoir l’intégrer sereinement dans leurs process ». Cette approche collaborative et de co-construction, Qwant la met en œuvre sur le terrain à travers plusieurs initiatives, dont Qwant Académie, sous forme de partenariats en Afrique. L’entreprise française forme les jeunes africains à l’exercice de leur souveraineté sur les index de leur pays.

Business France prône également la coopération entre acteurs. Cette année, l’agence a organisé le « French Tech Tour Africa » pour faire venir des start-up et PME françaises prêtes à s’exporter pour rencontrer des partenaires locaux potentiels. En 2020, la prochaine édition de ce tour emmènera les entrepreneurs français au Nigéria et en Afrique du Sud. L’occasion rêvée de s’implanter dans l’écosystème vivace du numérique africain.