L’identité numérique, clé de voûte des territoires intelligents

Le numérique envahit notre quotidien, bouleversant les équilibres et l’ordre pré-établi jusque dans les Etats-Nations et les démocraties.

La gouvernance et le rôle de chacun remis en cause, le réveil citoyen et la volonté de ces derniers de reprendre le contrôle, tant de leurs institutions, de leurs territoires que de leurs données laissent entrevoir le pouvoir grandissant des smart territoires : ces territoires intelligents, connectés, au service des citoyens offrant des usages qui répondent à leurs besoins, qu’il nous appartient de penser dès à présent. Des attentes qui font apparaitre un sens de l’éthique et de la confiance renouvelé, respectueux de tous.

Et pour parvenir à relever ces défis des smart territoires de confiance, le pilier de l’identité numérique est essentiel.

Par Mélanie Bénard-crozat

Territoires intelligents de confiance

L’Etat, tel que conçu par le modèle national, comporte trois dimensions structurantes : le territoire, la population et la souveraineté.

Le territoire est aujourd’hui un territoire numérique, connecté, ouvert. Une interconnexion basée sur des données, les données des usagers, partagées en réseaux et utilisées pour le fonctionnement de ces territoires. Des données qui sont le socle premier constituant l’ADN de notre identité numérique.

Mais cette interconnexion des systèmes et des données rend particulièrement floue la limite entre sphère privée et sphère publique… Le monde numérique pose alors l’équation complexe à résoudre : disposer de services toujours plus performants et adaptés tout en protégeant ses données et sa vie privée…

« C’est en cela que l’identité numérique est un pilier du développement des territoires de demain. Grâce à une identité numérique régalienne, une identité pivot contenue dans la future Carte nationale d’identité électronique, mais adossée à des identités multiples – plurielles, il sera alors possible de s’identifier facilement avec des niveaux de sécurité adaptés à l’usage, son niveau de criticité, ses besoins et le statut de la personne (parent, citoyen, patient, collaborateur d’entreprise, joueur dans un club…) dans son parcours. » explique Coralie Héritier, directrice générale d’IDnomic et d’ajouter « L’identité numérique plurielle permet de disposer de ces différents niveaux de sécurité en accord avec les règlementations en vigueur qui protègent les données et la vie privée comme le RGPD, véritable accélérateur de ce pacte de confiance sur lequel se fonde l’avenir du développement numérique français et européen. »

La confiance retrouvée grâce notamment à la cybersécurité est essentielle car n’oublions pas que « sans confiance, pas de révolution numérique possible, et une économie moderne trop fragilisée ! » rappelle Coralie Héritier.

Cette confiance est enfin la condition pour inverser la courbe de la défiance et de la méfiance comme en atteste les désertions des bureaux de vote ou encore les chiffres présentés par PwC stipulant que 66% des français ne veulent plus aujourd’hui payer sur Internet.

Le citoyen reprend le contrôle

Le « data-citoyen » redevient alors maître du jeu et ne place plus son destin entre les mains des géants du big data qui disposent alors d’une influence massive sur les populations et instaurent un climat de dépendance qui doit nous interroger.

Le citoyen redevient actif au cœur de son territoire. « En décidant par la suite de ce qu’il souhaite ou non communiquer avec les partenaires majeurs de la collectivité ou les grandes infrastructures connectées de son territoire, il dispose d’un pouvoir d’influence, de décision et donc d’action au sein même de son environnement quotidien » ajoute Coralie Héritier. « Les territoires intelligents peuvent ainsi se développer et évoluer sur un socle de confiance, au centre duquel le citoyen reprend la main sur ses données. »

Un nouveau contrat social au service de l’inclusion

Chacun ayant un rôle à jouer, l’inclusion souhaitée par le numérique pourrait ainsi tenir toutes ses promesses.

La transition numérique des territoires est un fantastique tremplin pour la modernisation des services publics au profit de la qualité de vie des citoyens. « Il s’agit pour le privé et le public de faire émerger ensemble un cadre, un contrat social de la donnée et de la numérisation des services. » (1) précise Xavier Fournet, KPMG France.

Faciliter la vie des citoyens, réaliser des économies d’énergie, mieux organiser et rendre plus efficients les services publics, favoriser l’inclusion… passera donc par le déploiement de technologies, de parcours et d’applications numériques réalisés par des acteurs privés au profit des collectivités. Il est donc essentiel que ces acteurs travaillent ensemble. « Nous devons accompagner les collectivités – et établir un partenariat fort pour répondre aux attentes des administrés, développer des usages qui répondent à leurs besoins, sécuriser les outils déployés et protéger les données de chacun, pour permettre au numérique de tenir ses promesses » souligne Coralie Héritier.

C’est donc un principe « de précaution et d’éthique » comme le souligne Francis Pisani, journaliste, enseignant et consultant, qui doit être au cœur de toutes les démarches de partage et de traitement de données. « Un principe de précaution qui exigerait avant tout de protéger la liberté de partage de ces données et de garantir un traitement éthique par les différents acteurs. Car le cercle de circulation des données dans la ville fait intervenir plusieurs acteurs. Les usagers citoyens bien sûr, qui échangent leurs données contre des services urbains, les concepteurs de ces technologies, qui en créant les outils déterminent les usages, et enfin la puissance publique, qui édicte, encadre et protège ces nouveaux circuits. C’est donc un vrai partenariat du privé et du public qui doit s’ériger. »

Une inclusion qui pourrait enfin donner au territoire intelligent la possibilité de jouer « un rôle fondamental dans la rénovation du vivre ensemble et de la démocratie participative. » souligne Xavier Fournet.

Vers une souveraineté assumée

La question de la donnée soulève alors celle de la souveraineté. Une souveraineté de l’Etat qui doit être renforcée au cœur de territoires mais aussi au cœur de l’identité numérique à travers notamment la sécurisation et l’optimisation de tous les services numériques : éducation, santé, e-administration, etc. Autant de services créateurs de valeurs sur le territoire national qu’il nous appartient de sauvegarder. « La position que la France prendra sur ces questions définira la place qu’elle occupera dans la concurrence des souverainetés qui se dessine dans l’univers numérique ! » maintient Coralie Héritier.

Rappelons en effet que 500 millions de consommateurs européens attendent que « nous posions les conditions d’accès d’un point de vue légal, à ces consommateurs en Europe, de poser les bases de la société que nous voulons, avec toutes les institutions impliquées. » soulignait dans une interview précédente Maître Olivier Iteanu. Sans oublier la résonance des propos du ministre Bruno Le Maire appelant l’Europe à prendre ses responsabilités « Il est temps que l’Europe sache ce qu’elle veut devenir : soit un continent soumis, soit un continent souverain ! »

Mais tout cela ne pourra se faire sans un encadrement règlementaire « Une réglementation internationale sera nécessaire. Partout dans le monde, les gouvernements cherchent à augmenter l’efficacité, le développement et l’inclusion économique » témoigne Coralie Héritier.

Dans la cité de demain, l’ultra-mobilité et l’intelligence seront déclinées dans tous les usages quotidiens : domotique, transport, 5G… Pour contribuer au développement d’un territoire et d’une nation connectée, ouverte et néanmoins protectrice de nos systèmes et de notre vie privée, disposer d’une identité numérique fiable et reconnue n’est donc plus une option. C’est une question de confiance et de souveraineté mais c’est aussi la clé pour faire rayonner notre économie au cœur de l’Europe numérique.

Et n’oublions pas qu’au centre de toutes les décisions et préoccupations, restera toujours l’humain !

1. Chronique de Xavier Fournet, KPMG France dans le Journal du net «  La Smart City au cœur du nouveau contrat social » – Décembre 2018