L’urgence d’une réforme de la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne

Accumulation des crises en Europe, montée du populisme, sortie du Royaume-Uni, contexte géopolitique international tendu et guerre économique : quelle place pour l’Europe dans ce monde sous tension ?

Entre succès, déconvenues, et manque de leadership, est-il possible d’aboutir après 50 ans de timides actions, à l’émergence d’une véritable politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne ?

Eléments de réponse avec Joachim Bitterlich, européen convaincu, ancien Ambassadeur d’Allemagne et ancien conseiller du chancelier Helmut Kohl.

Par Simon Douaglin

Échecs et réussites: lUnion Européenne depuis La Haye

Partageant la vision de l’Europe de Jacques Delors, Joachim Bitterlich explique son attachement à une fédération des États-nations dans une même communauté et rejette l’idée d’une abolition des identités nationales. Même si la souveraineté européenne est une réalité, elle ne vise pas à remplacer les identités nationales. Ce sont des identités complémentaires qui ne sont toutefois pas en concurrence. Exemple de la chasse aux loups en Italie à l’appui, il soutient l’idée que l’Union Européenne ne peut pas tout régler. Face à des revers tels que la montée du populisme ou du Brexit, il faut être pragmatique et recentrer l’Europe sur les questions essentielles suivant le principe de subsidiarité et mettre notamment en place une politique étrangère de « voisinage » avec l’arc formé par l’Afrique du Nord, du Maroc jusqu’à l’Égypte puis le Moyen-Orient jusqu’à la Russie. Une approche essentielle – pour l’heure inexistante – bien qu’il s’agisse d’une priorité absolue !

Mais toutes les compétences ne doivent pas être dans les mains de Bruxelles « une erreur a pu être faite vis-à-vis des pays de lEst en leur proposant lidentité européenne en opposition à leur identité nationale. » Il est d’ailleurs souhaitable de revenir sur la coexistence entre parlements nationaux et parlement européen. Hier fervent défenseur du parlement européen, l’ancien ambassadeur préfèrerait aujourd’hui que soient davantage associés les parlements nationaux au système politique européen « qu’une meilleure coopération émerge entre Bruxelles et les capitales. » Quant à la question du Brexit, loin de tout pronostic, l’ambassadeur pense qu’il faut laisser le temps aux Britanniques de « redescendre sur Terre », certains d’entre eux étant restés sur l’idée qu’un grand empire britannique était encore possible- idéalisant un passé révolu…

Alors au-delà d’un « verre qui n’est même pas à moitié vide », Joachim Bitterlich évoque néanmoins certains succès européens à l’image de l’opération européenne conjointe en Bosnie ou encore de l’opération navale « Atalante » de lutte contre la piraterie autour de la corne de l’Afrique. L’intervention des forces européennes au Mali est un autre exemple de réussite de coopération européenne dans le cadre de la lutte contre les groupes terroristes. L’opportunité d’avancer que l’Union Européenne connaît des revers depuis 50 ans, mais qu’elle dispose d’une grande capacité de résilience. Reste, pour inverser une tendance qui perdure depuis trop longtemps, qu’émerge une « lead nation » plus qu’un porte parole avec pour leitmotiv « Seul, nous nexerçons aucune influence, alors ensemble, conjuguons nos forces ! »

Turquie, Balkans, Syrie, quelle politique extérieure pour lUnion Européenne ?

Avec la Turquie, l’ancien ambassadeur d’Allemagne appelle à adopter une position ferme tout en instaurant une nouvelle forme de dialogue. La franchise vis-à-vis de l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne serait un point qui permettrait de retrouver une certaine confiance entre les deux acteurs. « Son adhésion à l’Union Européenne n’est pas envisageable à moyen ou à long terme alors pourquoi continuer à le faire croire ? » Il serait plus judicieux d’adopter une posture de franchise pour en faire un partenaire, un voisin qui compte dans cette politique globale de voisinage appelé de ses voeux. Une façon aussi de se poser les bonnes questions et de définir une politique migratoire efficace qui manque, là encore, cruellement.

A l’image des grands conflits qui l’animent, le Moyen-Orient reste un théâtre instable où s’opposent des intérêts divergents. Face à l’affrontement larvé entre la Russie et les États-Unis, celui qui a été le conseiller européen et diplomatique du président Kohl, regrette que la France et l’Allemagne ne prennent pas toute la place qui est la leur au Moyen-Orient dans une démarche d’apaisement. Israël devrait représenter un pivot avec lequel travailler dans la région moyen-orientale. Par ailleurs, le « format Normandie », qui regroupe les dirigeants français, allemands, ukrainiens et russes est un format qu’il faut privilégier en ce qui concerne la résolution du conflit ukrainien. Même si cela peut froisser certains pays, ce format permet de privilégier un dialogue direct entre les différentes parties et « entretenir un dialogue avec les russes est un enjeu majeur pour l’avenir. » Quant à la région des Balkans, elle reste un enjeu fondamental pour l’Union Européenne, malgré une absence de cette question à l’ordre du jour. Essentielle et malgré tout marginale aujourd’hui, elle doit être anticipée, car il ne faut pas oublier l’instabilité de la région. Arrimer les Balkans à l’Europe par une coopération accrue et une perspective d’avenir permettrait à la fois de stabiliser les Balkans et d’anticiper tout conflit ou instabilité future. De même, le dialogue engagé par le président Macron avec la Russie est un aspect positif pour l’Europe qui y trouve une façon de s’affirmer face aux véléités venant de l’Est.

Face aux géants américains et chinois, quelle attitude adopter ?

L’Union Européenne est forte de par sa grande capacité d’innovation, d’où elle tire un puissant dynamisme économique. Pourtant, face aux États-Unis et à la Chine, l’Union Européenne doit s’enquérir d’une véritable stratégie économique coordonnée capable de défendre notre économie, notre marché européen dans un cadre de concurrence exacerbée. « Il est normal que nous défendions certains intérêts vitaux. »face a une Chine qui prend les devants d’une politique globale sur le long terme notamment avec la construction des routes de la Soie afin d’assurer son approvisionnement. En tant que grande nation mondiale, les Chinois considèrent comme normal de prendre une telle importance et c’est ainsi qu’ils justifient leur politique d’envergure. « Toutefois, en tant queuropéens nous devons montrer à la Chine où se trouvent les limites ! »

Membre du collectif JEDI pour Joint European Disruptive Initiative, Joachim Bitterlich souligne toute l’importance de retrouver un leadership européen en matière de numérique notamment. Comment expliquer l’absence de choix européen sérieux sur le marché des télécommunications ? C’était tout le propos du président Macron lors de son discours à la Sorbonne, malheureusement peu suivi de faits concrets. Alors que le modèle américain de DARPA est dans toutes les têtes, il est urgent « d’aboutir à une pensée stratégique européenne intégrée. Pensée stratégique qui garantirait l’indépendance du vieux continent face à ses adversaires mondiaux. »

Un rôle clé pour la France et un collège de sages

Le constat de cinquante années d’Union Européenne reste amère lorsque l’on aborde la question de la politique étrangère et de sécurité commune. Pourtant, les européens possèdent toutes les compétences et ont de grandes ressources à leur disposition afin de s’affirmer sur la scène internationale. Toutefois, il manque une volonté politique accompagnée d’actions fortes. « Mais depuis son élection, le président Macron impulse une nouvelle dynamique sur la scène européenne et sur la scène internationale ». Son dialogue direct avec les présidents Poutine ou Trump peut surprendre et apparaît même comme une rupture avec les positions adoptées par le passé. « C’est toute la force de cette nouvelle génération : le courage politique et la volonté de bousculer les lignes. Ce courage se traduit également dans le domaine économique, lorsqu’il faut s’affirmer dans le monde. A l’image de Bruno Le Maire, ministre français de l’Economie et des Finances qui tente de porter les couleurs de la souveraineté française et européenne. »

Alors pour inverser la tendance des dernières décennies, « les français pourraient incarner ce changement de cap attendu avec urgence, associés aux Allemands, aux pays du Benelux, aux Espagnols et aux Italiens dans un premier temps. » Et pourquoi ne pas créer un « comité des sages », chargé de « secouer les dirigeants européens en pensant autrement, en étant capable daller à contre-courant ? » Un collège qui pourrait réunir des personnalités fortes, notamment Hubert Védrine, Joschka Fischer, Javier Solana, ou encore Carl Bildt et Radoslaw Sikorski respectivement anciens ministres des affaires étrangères suédois et polonais. « Une équipe explosive » prévient-il – que Joachim Bitterlich se dit prêt à rejoindre !