Les enjeux de la sécurité privée en Afrique sur 2020-2030

Le marché de la sécurité en Afrique est en plein essor, avec une croissance annuelle pouvant atteindre 13% dans un pays comme le Sénégal. La demande en services de sécurité privée se renforce sur le continent africain en raison de la présence accrue d’entreprises multinationales ainsi que de la recrudescence des violences, notamment terroristes dans certaines zones du continent. Ce marché de la sécurité représente une opportunité pour la France de se doter d’un rôle stratégique dans le développement du marché sur le continent africain.

Par Hugo Champion

Un marché en pleine évolution

Le Berceau de l’Humanité connaît un développement sans précédent de son marché de la sécurité privée. En Côte d’Ivoire, entre 2005 et 2008, le secteur de la sécurité privée a vu le nombre des entreprises passer de 100 à 300 compagnies. Aujourd’hui on ne compte pas moins de 400 entreprises de sécurité privée recensées, parmi lesquelles seulement 86 ont reçu un agrément de la part de l’Etat. De même qu’au Kenya, suite à l’attaque terroriste du centre commercial Westgate ayant fait 68 morts en septembre 2013, le marché de la sécurité privée a connu une forte croissance. On compte aujourd’hui près de 300.000 gardiens privés pour seulement 40.000 policiers pour l’ensemble du pays. Le chiffre d’affaires actuel du marché en Afrique représente 6 milliards d’euros par année contre 30 à 40 milliards en Europe. Néanmoins, le chiffre d’affaires espéré à l’horizon 2030 devrait atteindre 15 à 20 milliards, soit un triplement en une décennie ! Le secteur emploie actuellement 1,5 million et prévoit une évolution considérable du nombre d’agents d’ici 2030 dont l’ambition est affichée à 4 millions d’agents de sécurité. De plus, l’Afrique a développé une forte culture technologique durant les années 2015, la technologie étant devenue de plus en plus accessible et de moins en moins coûteuse. Le financement en capital risque a suivi le rythme de cette croissance, passant de 277 millions de dollars en 2015 à 560 millions de dollars en 2017 (+ 102 %). L’Afrique va ainsi pouvoir compter sur l’innovation de ses start-up pour améliorer et développer les équipements de sécurité.

A titre de comparaison, le secteur de la sécurité privée en France emploie aujourd’hui environ 170.000 agents, dont 120.000 dans des entreprises de surveillance humaine et de gardiennage (dont plus de 6.000 agissent dans le domaine de la vidéoprotection et 10.000 dans la sûreté aéroportuaire), et 10.000 dans le transport de fonds. Le secteur a assisté au doublement du nombre de sociétés et de clients en 10 ans, avec à la clé une croissance des effectifs de près de 7% par an.

Sur le continent africain, la France représente entre 1,2 et 1,5% des parts du marché de la sécurité privée bien que ce « chiffre puisse atteindre 30% dans certains pays francophones de l’Afrique de l’Ouest (Sénégal, Côte d’Ivoire, Mali) », précise Jean-Martin Jaspers, Directeur du Centre des Hautes Etudes du Ministère de l’Intérieur (CHEMI).

La présence française et européenne (environ 2 millions d’européens vivent en Afrique) ainsi que le volume considérable des collaborateurs franco-africains (50%) existant dans ce domaine incite la France, plus encore, à participer au développement du marché de la sécurité en Afrique. Notre pays possède des avantages – sa présence en Afrique et la francophonie, son modèle éthique, son expérience dans la co-production de la sécurité publique/privée – qu’elle se devra de mettre à profit pour espérer prendre part au développement spectaculaire de ce marché. Ce dernier place en concurrence, sans surprise, les grandes puissances globales, particulièrement la Chine, qui s’intéresse de façon croissante au continent africain. Les investissements chinois dans le domaine de la sécurité se sont accélérés en Afrique à partir de 2011 lorsque la Chine a procédé à une évacuation d’urgence de 36.000 de ses ressortissants de Libye.

La structuration de la sécurité privée

Abderrahmane Ndiaye, PDG Sagam International, leader de la sécurité au Sénégal et en Afrique de l’Ouest, a interpellé le président Macky Sall sur la nécessité pour les entreprises d’obtenir un cadrage réglementaire plus rigoureux pour « une activité toujours considérée, malgré son rôle de plus en plus important dans la société, comme un secteur informel ». En effet, pour que les agents de l’ordre ne se transforment pas en agent du désordre, la régulation, à travers une mise en vigueur de normes concernant le salaire, la formation et la liberté syndicale des salariés est nécessaire.

L’exportation du modèle français de régulation et de cadrage normatif des agents de sécurité privés en Afrique restera difficile en raison de l’influence du modèle anglo-saxon, davantage libéral et donc plus souple. Cependant, un projet de loi est en cours au Sénégal suivant le modèle français de régulation de la sécurité privée. L’approche adoptée tend à rappeler que la sécurité privée concourt à la politique de sécurité de l’Etat et ne se substitue en aucun cas à celle-ci. La sécurité privée n’est qu’une dérogation faite par l’État à des entreprises pour lui porter assistance dans sa politique de sécurité. Ainsi, le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) français, service de police administrative chargé notamment de délivrer cartes professionnelles et agréments, pourrait servir de modèle pour les Etats africains développant le cadre législatif de la sécurité privée.

La France peut également apporter des éléments de réflexion sur la question des droits de l’homme. « Le niveau d’éthique fait partie des défis de la structuration de la sécurité privée en Afrique » a rappelé Jean-Martin Jaspers. C’est pourquoi la France prévoit la mise en place prochaine de modules de e-formation à destination des agents sénégalais, afin notamment de partager son savoir-faire en matière de sécurité.