Coordination, Prévention, Action : la stratégie de la France en réponse à la menace terroriste

La lutte contre le terrorisme est l’une des priorités de l’Etat en matière de sécurité. Plusieurs menaces apparaissent : radicalisation, retour des djihadistes en Europe, infiltration des terroristes dans les flux migratoires. Le nombre d’attentats réussis depuis 2015 s’élève à 14 mais de nombreuses attaques ont été déjouées. Les différents services de sécurité de l’Etat font face ensemble. Dans cette lutte collective, le continuum de sécurité public-privé doit inspirer l’Etat et contribuer à l’intégration du secteur privé dans la lutte anti-terroriste.

Par Hugo Champion et Simon Douaglin

Des menaces endogènes et exogènes

Si le terrorisme d’inspiration djihadiste est aujourd’hui le plus actif et le plus meurtrier, le terrorisme d’extrême droite se développe et représente une menace à ne pas sous-estimer, comme en témoignent les évènements d’Oslo en 2011 ou de Christchurch en 2019. D’autres formes de « radicalisme violent émanant, notamment de l’extrême gauche à travers les Black Blocks, connaissent une évolution, bien que la contestation adopte un mode opératoire insurrectionnel et non pas terroriste », explique le Préfet et coordinateur du renseignement et de la lutte anti-terroriste (CNRLT), Pierre de Bousquet. Le terrorisme étatique est une des formes du terrorisme qu’il ne faut pas négliger, notamment lorsque l’histoire récente du terrorisme international nous apprend que « Oussama Ben Laden était couvert par les services de sécurité pakistanais », poursuit le Préfet Pierre de Bousquet.

La menace terroriste aujourd’hui et tout particulièrement en France, provient de facteurs endogènes. Le phénomène de radicalisation, dont la portée est décuplée par la propagande djihadiste présente sur Internet, se propage dans de nombreux espaces, notamment en prison, mais aussi au sein des entreprises et des institutions publiques. La menace est particulièrement difficile à appréhender par les autorités, notamment en raison de la complexité du profil du radicalisé. Des similitudes sont néanmoins observées. Le Préfet Pierre de Bousquet note que « l’individu radicalisé est souvent d’origine arabo-musulmane, connaît l’incarcération car il est souvent délinquant, et possède des caractéristiques psycho-pathologiques spécifiques ». Bien que de nombreuses études universitaires ont adopté des approches différentes (sociologiques, historiques, psychologiques, etc.) pour essayer de cerner toujours davantage le profil du candidat au djihad, le processus de radicalisation de jeunes français et françaises persistent. Le Secrétaire d’Etat, Laurent Nunez, souligne que « l’on est sur une menace endogène d’individus qui n’ont plus forcément de liens avec l’Etat islamique, compte tenu de sa déliquescence sur zone. C’est cette menace-là qu’on craint le plus, c’est la plus difficile à détecter. »

Un enjeu pour la pénitentiaire

La prison représente aujourd’hui un véritable foyer de radicalisation, où des détenus musulmans ou des individus convertis au sein même de la prison font du prosélytisme islamiste et recrutent « les fous d’Allah ». Le Ministère de la Justice s’est alors doté d’un service de renseignement pénitentiaire, qui a vu le jour en 2017. La Direction de l’administration pénitentiaire (DAP) a pris des mesures avec la création des quartiers de prise en charge de la radicalisation, afin de séparer les radicalisés des autres détenus et dont l’objectif est d’endiguer le prosélytisme et la radicalisation en prison. Dans l’Union Européenne, ce sont plus de 1100 personnes incarcérées pour terrorisme, 2000 radicalisées, 300 en France dont 110 sortant de prison. Les menaces à venir proviennent ainsi des radicalisés, incarcérés ou sortant de prison, mais également des soldats du califat, revenant des camps syriens.

Le retour des djihadistes et des familles

En effet, « bientôt s’ouvriront des procès d’envergure en France avec le retour des combattants djihadistes, des femmes et des enfants » rappelle le Préfet. Sur zone, en Syrie et dans une moindre mesure, en Irak, 700 ressortissants français adultes attendent leur retour sur le territoire français. Les défis à long terme sont clairs : mener une réflexion concertée sur la politique à mettre en place concernant la sortie de prison de ces djihadistes. La problématique complexe des enfants, qui ont pour la plupart subi un endoctrinement islamiste conséquent, apparaît à long terme comme un défi prépondérant pour la France.

La problématique des ressortissants

L’injonction turque adressée aux pays européens de récupérer leurs ressortissants partis rejoindre le califat à partir de 2011, impose aux Etats européens de mener les procès sur leur sol de manière efficace pour endiguer la menace provoquée par les revenants. Pour la France, le retour se fera dans le cadre du protocole entre Ankara et Paris signé en 2014, appelé « protocole Cazeneuve », qui permet d’encadrer le retour des djihadistes.

L’ancienne juge anti-terroriste Béatrice Brugère souligne les réalités des problématiques du retour. Elle y voit un double problème : « il faut, d’une part, évaluer la dangerosité de ces personnes, la réalité de leur radicalisation, et, d’autre part, savoir ce qu’ils ont réellement fait là-bas ». La question de la nature du chef d’accusation fait partie de la problématique juridique du retour car les témoins sont rares et les faits sont difficiles à avérer : « Il y a une différence entre ceux qui ont coupé des têtes et commis des viols ou pris part aux combats et ceux qui assuraient l’intendance pour les autres ».

Crimes contre l’humanité, association de malfaiteurs terroristes, actes terroristes, intelligence avec l’ennemi… La France se révèle être compétente pour poursuivre et juger ces faits alors même qu’ils ont été commis à l’étranger en application de l’article 113-13 du Code pénal. La question épineuse sera celle des enfants.

Daech : une organisation résiliente au service de l’idéologie islamiste

Au sens de l’organisation même de l’Etat islamique, la mort du calife auto-proclamé al-Baghdadi fin octobre 2019 aurait pu laisser penser à un possible affaiblissement de l’organisation. En tant que figure politico-militaire, son rôle est fondamental, dirigeant les grandes orientations de l’organisation. « Al-Baghdadi est loué pour avoir rassemblé une communauté (combattants locaux et étrangers), instauré un Etat islamique sans concessions, détruit des frontières, combattu des « mécréants » et valorisé par sa mort en martyr […] » explique Laurence Bindner, cofondatrice de JihadoScope. Malgré cela, l’EI n’a pas attendu plus de 5 jours pour nommer son nouveau chef, Abou Ibrahim al-Hachemi al-Quraichi, sur proposition d’al-Baghdadi de son vivant. La résilience de l’Etat islamique se pourve une nouvelle fois en évitant, par anticipation, toute scission en interne. Une capacité de résilience du groupe djihadiste par ailleurs soulignée dans le rapport du Pentagone, publié en août dernier, informant sur la mise en sommeil des membres de Daech, qui forment aujourd’hui des cellules dormantes.

Sursaut indispensable pour ne pas laisser penser à une possible défaillance, la transition entre les deux chefs a fonctionné, affichant un appui réaffirmé de la part des soutiens de l’organisation terroriste. « La réactivité et l’annonce de son successeur ont galvanisé la « djihadosphère » autour des accomplissements d’Al-Baghdadi. » souligne Laurence Bindner. En l’occurrence : « Les allégeances au nouveau calife ont suscités une effervescence en ligne. »

Quant à la progagande qui sévit sur Internet « elle n’a pas baissé en intensité » alerte le Préfet Pierre de Bousquet. Une recrudescence des départs de ressortissants français voulant rejoindre des organisations djihadistes, notamment al-Qaïda est très probable. « En termes d’attractivité, nul doute que les groupes rivaux de la sphère salafiste-djihadiste, à commencer par al-Qaïda, capitaliseront sur ces pertes pour attirer des militants dans leur giron. » ajoute Laurence Bindner et de poursuivre « Sur le théâtre des opérations, le défi pour les pays de la coalition anti-EI sera de se donner les moyens de lutter contre les deux manifestations importantes de la survivance du groupe : l’insurrection d’une part et la pérennité de l’idéologie de l’autre. »

La mise en place de la coopération entre les services de renseignement

La lutte anti-terroriste appelle les différents services compétents à coopérer, à l’échelle nationale mais aussi européenne, et invite de nouveaux acteurs à s’impliquer davantage, notamment les entreprises de sécurité privées.

L’Unité de coordination de la lutte anti-terroriste (UCLAT) a d’ailleurs intégré l’Etat major de la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI) « pour devenir son visage public » explique le Directeur technique de la DGSI, Patrick Guyonneau. La clarification des compétences et le partage de la même doctrine sont autant de mesures à adopter qui auront pour objectif d’améliorer l’efficacité des services, apparaissant aujourd’hui comme trop éclatés. Les différents services de renseignement se dotent de capacité en matière de police judiciaire comme c’est le cas à la Sous-direction de l’anticipation opérationnelle (SDAO) et coopèrent de façon accrue. Ces services de renseignement coopèrent étroitement avec la justice afin de neutraliser les terroristes. Béatrice Brugère rappelle que la « judiciarisation du renseignement » a pour objectif de faire intervenir le magistrat « au plus tôt, en coopération avec les services de renseignement, mais pas trop tôt non plus, auquel cas on prend le risque de se priver d’éléments suffisants nécessaires pour garantir une procédure avec des éléments sérieux et des preuves ».

La coopération transnationale

La coopération à l’échelle de l’Union Européenne revêt également une importance capitale. Le renforcement de la coopération en matière de lutte anti-terroriste est visible à travers la mise en partage des données des dossiers passagers (PNR). Ces données, qui comportent diverses informations (noms, dates du voyage, itinéraire, numéro de siège, données sur les bagages, coordonnées du passager, moyen de paiement utilisé) visent à permettre aux autorités répressives d’identifier des personnes qui ne sont pas soupçonnées d’activités criminelles ou terroristes avant qu’une analyse spécifique des données ne révèle qu’elles pourraient l’être. La coopération et l’interopérabilité des services est au cœur de la politique française et européenne dans la lutte anti-terroriste. Les mesures prises par le Parlement européen en avril dernier illustrent parfaitement l’importance de l’interopérabilité des services : le cadre permettra de recouper en un clic les données existantes au moyen d’un portail de recherche européen, d’améliorer les détections de fraude grâce à un service partagé d’établissement de correspondances biométriques et de protègera les droits fondamentaux carl’interopérabilité ne modifiera pas les règles relatives à l’accès et à la limitation des finalités des systèmes d’information de l’UE.

Également, Europol intervient en tant que coordinateur de l’échange de l’information. Ses missions principales portent sur la collecte et d’analyse de l’information, la formation pour les policiers des États membres afin de leur apprendre à mieux se connaître et à utiliser les mêmes techniques. Une cyberattaque d’ampleur mondiale contre l’agence de propagande de l’Etat islamique, Amaq, menée fin novembre, a permis de mettre en exergue l’efficacité et l’importance de la collaboration d’Europol avec les services belges.

En plus des organisations communautaires créées pour rendre globale la lutte anti-terroriste, l’intensification de la collaboration avec des pays de zones concernées, notamment la zone Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), demeure très importante.

Le continuum public-privé dans la lutte anti-terroriste

« Les entreprises privées d’analyse stratégique collectent de l’information » rappelle Guillaume Farde, Directeur de la Stratégie et du Développement au sein du cabinet d’analyse Risk&Co, et peuvent ainsi « apporter leur concours au gouvernement dans un cadre sécurisé de partage ». Le secteur privé peut et doit devenir une force d’appui dans certains secteurs. « Le secteur privé doit apporter son concours au service public sans le remplacer, bien évidemment », précise Guillaume Farde. Les attentats ont d’ailleurs « favorisé de façon presque naturelle » le rapprochement des secteurs privés-publics. La réglementation et l’articulation de la co-production privée-publique sont des enjeux importants qui pourraient figurer dans le Livre Blanc 2020 du ministère de l’Intérieur. De même que les entreprises de sécurité privée peuvent apporter leur aide aux services de sécurité civile dans la production de la sécurité, les cabinets privés d’analyse qui collectent de l’information pourraient apporter leur concours au gouvernement, « dans un cadre sécurisé de partage ».

Le terrorisme djihadiste n’est pas en perte de vitesse, bien que son avatar Daech ait été mis à mal par la coalition internationale et ses alliés. Le potentiel de dangerosité des revenants devra être pris en compte dans les politiques de sécurité intérieure à venir. Radicalisation, propagande, prosélytisme salafiste… autant de menaces qui devront être anticipées dans le nouveau Livre Blanc du Ministère de l’Intérieur 2020.