Le Grenelle des violences conjugales : quelles avancées ?

C’est dans un contexte de fortes mobilisations facilitées par les réseaux sociaux via les hashtags populaires comme #MeToo ou #BalanceTonPorc, que l’organisation d’un Grenelle des violences conjugales s’est imposée. Alors que 80% des victimes* sont des femmes (121 sur 149 individus), une trentaine de mesures viennent d’être prises lors du Grenelle initié le 3 septembre 2019 dont les objectifs s’articulent autour de trois grands axes : prévenir, protéger et prendre en charge, et punir pour mieux protéger.

Par Hugo Champion

Comment mieux prévenir les violences conjugales ?

Les instruments juridiques et contraignant sur les violences conjugales existent au niveau européen depuis 2011. Les membres du Conseil de l’Europe avaient ratifié la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Le premier article de cette convention portait sur l’objectif pour les Etats de « protéger les femmes contre toutes les formes de violence, et de prévenir, poursuivre et éliminer la violence à l’égard des femmes et la violence domestique ».

Néanmoins, huit années plus tard, les mesures s’intensifient sur la prévention afin de « s’attaquer au problème à la racine », dixit le rapport du Grenelle qui vient de présenter des mesures à travers les réflexions menées par un ensemble d’acteurs mais également d’impulser une nouvelle dynamique dans la prise de conscience sociétal. Le 3919, à titre d’exemple, reçoit aujourd’hui 600 appels par jour alors qu’il n’en recevait que 150 avant le 3 septembre.

Les mesures portant sur la prévention des violences conjugales s’articulent essentiellement sur la formation et l’éducation.

Des modules de formation initiale et continue seront rendus obligatoires sur l’égalité à destination des personnels de l’Education nationale (enseignants, personnels d’éducation, cadres, etc.).

Dans le cadre du service national universel, les jeunes seront sensibilisés sur les questions des violences conjugales.

L’objectif étant de créer une culture de la prévention et de la sensibilisation, une mesure sera prise visant à dédier « un conseil de vie collégienne et un conseil de vie lycéenne chaque année à la réalisation d’un diagnostic annuel sur l’égalité filles-garçons en milieu scolaire, avec une attention portée à la participation des élèves en situation de handicap »

Enfin, l’une des mesures phares est la possibilité pour le médecin de lever le secret médical lorsque le danger pour la victime est immédiat, alors qu’actuellement, seulement 5% des alertes de mise en danger d’une personne pour violences conjugales sont données par des professionnels de santé.

Des prises en charge efficaces pour mieux protéger ?

Les acteurs prenant en charge les victimes doivent avoir les outils pour les protéger de façon optimale. C’est pourquoi les mesures prises par le Grenelle encouragent la victime à se manifester auprès des autorités compétentes. Un document d’information sera disponible au sein des commissariats de police, avec pour objectif de détailler à la victime les recours possibles, les démarches à suivre et les possibilités d’accompagnement. 80 postes supplémentaires sur les 271 existants d’intervenants sociaux dans les commissariats et gendarmeries seront créés afin d’accompagner au plus près la victime et des formations seront délivrées aux gendarmes et aux policiers, à travers des modules de 8h qui sensibiliseront ces acteurs de premier plan à l’accueil des victimes et notamment, au phénomène d’emprise, dont la notion sera inscrite dans le code pénal et civile.

Cette notion d’emprise revêt une importance capitale dans la compréhension des violences subies par la victime. Violence psychologique discrète, elle est une aggression invisible. La prise en compte de cette notion permettra ainsi d’intervenir en amont des violences, en donnant la possibilité à la victime de se manifester auprès des autorités avec les outils juridiques nécessaires.

Les prises en charges devront être également menées dans de meilleures conditions par les professionnels médico-sociaux. Un plan de financement « des structures dédiées à la prise en charge sanitaire, psychologique sociale des femmes victimes de violences » sera ainsi mené par le gouvernement. Des travaux seront également conduits pour définir les besoins de certains structures de santé.

Quels dispositifs légaux pour protéger davantage la victime ?

La mise en place de mesures visant à protéger la victime par le droit et des dispositifs légaux intervient en aval des mesures précédentes. Les mesures punitives ont pour objectif de protéger la victime après qu’elle ait subie les violences, mais ces mesures proposent d’endiguer la réitération de ces violences. L’interdiction de la médiation pénale et la médiation familiale devant le juge aux affaires familiales, prend son sens en cas de violence conjugale, notamment lorsque la victime est déclarée être sous emprise.

L’une mesure phare de ce Grenelle est la reconnaissance du phénomène du « suicide forcé » avec la mise en place d’une nouvelle circonstance aggravante pour les auteurs de violences en cas de harcèlement ayant conduit au suicide ou à une tentative de suicide de la victime (10 ans d’emprisonnement et 150 000€ d’amende) ».

Également, l’appareil juridique sera doté d’outils pour cerner les contours du profil de l’agresseur et ainsi évaluer son potentiel de dangerosité. « Une expertise pluridisciplinaire sera expérimentée sur le ressort de la Cour d’appel de Paris, dans le cadre des procédures de comparution à délai différé. Pendant le délai de deux mois entre la présentation au procureur et la comparution devant le tribunal correctionnel, un examen approfondi de personnalité sera effectué, avec l’appui d’un pool d’experts judiciaires psychiatres et psychologues spécialement constitué » informe le rapport.

Des appels à projet pour 2020 ont également été annoncés pour mettre en place deux centres de suivi psychologique et psychiatrique de l’auteur des violences qui auront pour objectifs : l’éviction du conjoint violent, le suivi psychologique avec une prise en charge des addictions (40% des violences conjugales s’effectuent sous l’effet de l’alcool), un suivi des sortants de prison.

Parmi les 30 mesures du Grenelle des violences conjugales, sept mesures portent sur la protection des femmes victimes de violences au travail et des violences en situation de handicap.

La technologie au service de la protection des victimes

Une proposition de loi LR soumise à l’Assemblée Nationale et adoptée par celle-ci en octobre dernier défendait la mise en place du bracelet anti-rapprochement, qui permet de géolocaliser et maintenir à distance les conjoints et ex-conjoints violents par le déclenchement d’un signal, avec un périmètre d’éloignement fixé par un juge. Il existe dans plusieurs pays européens, notamment en Espagne, où les féminicides ont baissé de manière significative ces dix dernières années ( passant de 71 femmes tuées en 2003 à quelque 47 en 2018). En commission, les sénateurs ont décidé de prévoir « un dispositif d’évaluation » jusqu’au 31 décembre 2022, avant de le pérenniser.

Ainsi le Grenelle s’est prononcé en faveur du bracelet anti-rapprochement en rappelant que ce dernier visait à protéger les femmes en empêchant l’auteur des violences de les approcher. 1000 bracelets seront déployés en 2020.

Le bracelet déjà utilisé en Espagne mais aussi en Uruguay, Argentine ou encore en Italie, utilise une technique de télésurveillance conçu par le groupe israélien Attenti. Le bracelet se porte au poignet ou à la cheville et transmet un signal à la victime lorsque l’agresseur franchit la zone d’exclusion dont la surface peut être modifiée. Ce signal peut-être automatique ou non et donc être modulé en fonction des Etats et des schémas de surveillance décidés par les autorités. Ainsi, lorsque l’auteur des violences placé sous surveillance électronique se rapproche de sa victime, cette dernière en est informée tout comme les autorités compétentes, et l’agresseur lui-même. Deux cercles de périmètre sont constitués, et le signal augmente en intensité lorsque l’agresseur franchit le deuxième cercle. La victime dispose également d’un signal d’alarme sur son récepteur qu’elle peut activer à tout moment afin d’informer les autorités de sa mise en danger.

L’innovation technologique de ce bracelet porte également sur la capacité constante du signal utilisant la radio fréquence lorsque le signal GPS est faible ou disparait. Une application est également développée pour la victime afin qu’elle puisse s’informer de la position GPS de l’agresseur en temps réel. Deux objectifs animent Attenti : la dissuasion pour l’agresseur de réitérer ses actes de violences mais également garder l’individu condamné dans la société.

La question épineuse du financement des projets portés par le Grenelle fait déjà écho au Sénat ainsi qu’au sein des collectifs féministes, notamment #NousToutes, décriant un plan sans ambition. Selon une étude réalisée par le Haut Conseil à l’égalité, le Conseil économique, social et environnemental, le fonds pour les femmes en Méditerranée et Women’s Worldwide en novembre 2018 une prise en charge « de qualité » des femmes victimes de violences nécessiterait au minimum 506 millions d’euros par an. En 2019, seuls 79 millions d’euros y auraient été consacrés, selon les calculs réalisés dans ce rapport. De nombreux points seront à détailler prochainement pour le gouvernement pour expliquer le financement des mesures prises lors du Grenelle, alors que le projet de loi de finance pour l’année 2020 pourrait être corrigé.

* Selon une étude nationale sur les victimes au sein du couple menée par la Direction de la police nationale et de la Direction générale de la gendarmerie nationale en 2018