Technologies de reconnaissance faciale : encore trop de méconnaissance du sujet dans l’UE

Michel Séjean

Professeur agrégé en droit privé et sciences criminelles, Université Bretagne Sud

« Ensemble, on protège mieux », écrit l’Union européenne (UE) sur son site associé au mot-dièse #EUPROTECTS (https://europa.eu/euprotects/content/homepage_fr). L’on y trouve des vidéos promotionnelles fort bien réalisées sur la sécurité aérienne, la lutte contre la radicalisation, le rôle de l’UE dans le démantèlement de trafic d’êtres humains ou encore l’importance des patrouilles maritimes aux frontières de l’UE : autant de sujets dont le traitement pourrait changer avec les technologies de reconnaissance faciale. Mais l’opinion publique n’est pas encore suffisamment informée sur ces technologies pour que l’UE valorise les protections qu’elle a mises en place : il y a encore trop de méconnaissance sur les enjeux européens de la reconnaissance faciale.

Un excellent rapport rédigé par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne pourrait dissiper les fantasmes sur cette question déterminante de l’avenir de nos démocraties. Intitulé « Technologie de reconnaissance faciale : considérations relatives aux droits fondamentaux dans le cadre du maintien de l’ordre » (disponible en langue anglaise seulement) et publié à la fin du mois de novembre 2019, ce rapport dresse un tableau exhaustif des dispositions du droit de l’UE qui protègent les données biométriques, ainsi que les enjeux de protection des droits fondamentaux.

Ce texte doit être rapproché de celui que la CNIL française a publié quelques semaines auparavant, et dont la qualité est, là encore, remarquable de pédagogie, de précision et de lucidité (Reconnaissance faciale : pour un débat à la hauteur des enjeux, en libre accès sur le site de la CNIL, oct. 2019).

Dès 2012, un groupe de travail sur la protection des données proposait une définition des technologies de reconnaissance faciale émettant l’Avis 02/2012 sur la reconnaissance faciale dans le cadre des services en ligne et mobiles sous le titre : « la reconnaissance faciale est le traitement automatique d’images numériques qui contiennent le visage de personnes à des fins d’identification, d’authentification/de vérification ou de catégorisation de ces personnes » (00727/12/FR WP 192, 22 mars 2012, p. 2). Si le rapport de la CNIL reprend les deux premières fonctions de la reconnaissance faciale, celui de l’agence des droits fondamentaux analyse les trois finalités possibles de ces technologies pour les distinguer les unes des autres.

S’authentifier par reconnaissance faciale, c’est démontrer que l’on est la personne que l’on prétend être. Cette démonstration s’opère par la comparaison d’une image avec une seule autre image. La première image est un gabarit préconstitué, stocké par exemple dans la puce de son passeport. La seconde est un gabarit tiré d’une photographie prise au cours du processus d’authentification. C’est ainsi que l’on déverrouille son téléphone, ou que l’on franchit les portiques frontaliers du système PARAFE. Ici, l’utilisateur est acteur de sa propre reconnaissance faciale : il y consent, et c’est ce qui atténue grandement la dangerosité des technologies d’authentification.

Identifier un individu par la reconnaissance faciale, c’est retrouver son identité par la comparaison entre une image et plusieurs autres images stockées sur une banque d’images préexistante. La vidéosurveillance dans des lieux publics illustre cette fonction d’identification. Or, à cette occasion, les personnes identifiées ne sont pas informées qu’elles font l’objet d’un traitement, car la technologie de reconnaissance est « sans contact ». L’absence de consentement, mais aussi la mauvaise qualité des images obtenues à la volée dans des conditions techniques et graphiques défavorables à la fiabilité, imposent un encadrement très strict – voire une interdiction de principe.

Enfin, catégoriser les individus ne consiste pas à les identifier, mais à extraire des informations permettant de les classer, d’établir leurs profils en fonction de leur genre, de leur âge ou de leurs origines ethniques. De manière plus subtile, il s’agit de détecter les émotions que trahissent les visages, notamment afin de déterminer si une personne dit la vérité. Ce dispositif a été utilisé en Grèce, en Hongrie et en Lettonie, dans le cadre du projet iBorderCtrl (v. J. Grelier, « Aux portes de l’Europe, on filtre les mensonges », Libération, 21 août 2019).

L’Union européenne et ses États-Membres sont confrontés à un choix : veulent-ils d’une liberté surveillée à l’américaine, d’une sécurité surveillée à la chinoise ou à la russe, ou sont-ils désireux de promouvoir une liberté sécurisée, selon la distinction opérée par le Général Watin-Augouard ? Il n’y aura pas de liberté sécurisée sans discernement : il nous faut continuer d’affiner nos connaissances sur la reconnaissance faciale.