La nouvelle guerre de l’or noir 

La pandémie mondiale de Covid-19 a provoqué un ralentissement de l’activité économique ainsi qu’une baisse significative de la demande de pétrole, notamment de la part de la Chine, dont la consommation de pétrole a reculé de plus de trois millions de barils par jour en février. La réunion de l’OPEP+ qui se tenait à Vienne le 6 mars devait étudier les réponses à cette crise. Le refus de la Russie de limiter la production de barils de Brent l’a plongé dans une guerre commerciale avec Ryad. « La Russie a déclenché ce qui pourrait bien devenir la plus dévastatrice des guerres du prix du pétrole de l’histoire récente », confirme le site professionnel Oilprice.com. Les conséquences de ce conflit commercial apparaissent comme chaotiques pour les pays dépendants de l’exportation de l’or noir, et notamment pour l’Irak.

Par Hugo CHAMPION

Les causes du conflit commercial entre Ryad et Moscou

Alors que l’Arabie Saoudite s’était déclarée favorable à la réduction de la production de 1,5 millions de barils par jour, le ministre de l’Energie russe, Alexandre Novak a rejeté l’accord de Vienne, et entraîné le marché pétrolier dans une crise lourde de conséquences. « La position russe n’a jamais été de déclencher une chute des prix du pétrole. C’est une initiative de nos seuls partenaires arabes », affirme Andrei Belousov, vice-premier ministre russe. La Russie se retrouve dans une position stratégique dans son bras de fer avec l’Arabie Saoudite, qui, étant particulièrement dépendante des recettes générées par la vente de son or noir, a opté pour une course à la production de baril. Le pays dirigé par le prince héritier Mohammed Ben Salman, soucieux de conserver ses parts de marché dans le monde, veut porter sa production à son maximum. Ainsi, la compagnie saoudienne Aramco a annoncé des réductions sans précédent de 6 à 8 dollars en Asie, en Europe et aux États-Unis, espérant inciter les raffineurs à utiliser le brut saoudien.

Quant à elle, la Russie a accumulé 150 milliards de dollars de fonds souverain, soit 9,2% du PIB, « de quoi tenir entre 6 et 10 ans si le pétrole devait chuter durablement à 25-30 dollars le baril », assure le ministère des Finances russe. Cette guerre des prix se trouve être davantage favorable au Grand Ours plutôt qu’à l’Arabie Saoudite dont les recettes pétrolières représentent 31% du PIB et 79% des recettes d’exportation.

Le positionnement stratégique russe face aux Etats-Unis

La Russie connaît des contentieux sur plusieurs dossiers énergétiques avec les Etats-Unis (le projet Nord Stream 2, les sanctions américaines qui visaient les activités au Venezuela de la société russe Rosneft). Selon Moscou, la baisse de la production de barils Brent aurait pour effet de favoriser l’exportation du pétrole de schiste américain. « Notre production serait tout simplement remplacée par celle de nos concurrents. C’est du masochisme », avait expliqué Mikhail Leontiev, porte-parole du géant russe de l’énergie Rosneft. Le prix de production du pétrole de schiste se retrouve supérieur à celui de l’extraction classique de pétrole. La production américaine est en partie assurée par des petites entreprises locales, nécessitant une stabilisation du prix du brut supérieur à 50, voire 60 dollars pour pouvoir assurer leur pérennité. Pour palier à la difficulté financière des producteurs de schiste américains, Washington s’interroge sur le rachat des dettes de ces derniers, dont le montant pourrait atteindre 200 milliards de dollars.

Les conséquences chaotiques de la guerre commerciale pour l’Irak

L’Irak pourrait apparaître comme l’un des grands perdants du krach pétrolier. Alors que l’Etat failli irakien traverse des crises internes particulièrement violentes, la chute du prix du baril du pétrole aura des conséquences désastreuses pour l’économie du pays. L’Irak, dont l’exportation assure plus de 90% de ses recettes, a misé sur un baril à 56 dollars pour planifier son budget de l’année 2020. Dès lors, si le prix du baril de pétrole se stabilise autour de 30 dollars, l’Irak perdrait jusqu’à deux tiers de ses recettes. « Au vu de la crise actuelle, les revenus pétroliers de l’Irak atteindront difficilement 2,5 milliards de dollars par mois », prévient Fatih Birol, directeur de l’Agence internationale de l’Energie (AIE). Le salaire des fonctionnaires, qui représentent la majorité de la population active du pays, atteint plus de 50 milliards de dollars. « Sur la base de nos indications préliminaires, nous serons en mesure de couvrir la dette extérieure et les salaires », tout en réduisant les subventions et les services qui n’étaient pas « économiquement efficaces », a déclaré Ali Allaq, gouverneur de la Banque centrale d’Irak. Cette politique de l’autruche aura des conséquences chaotiques pour le pays, en proie à une crise socio-économique dans laquelle les manifestants appellent à la destitution du gouvernement, qualifié de corrompu, et qui peine à se mettre en place.

La guerre commerciale opposant la Russie et l’Arabie Saoudite conduit l’économie des pays tels que l’Irak dans une chute vertigineuse et dont l’impact pour sa population sera particulièrement violent. Le retour à la normal des prix du pétrole n’est pas d’actualité, bien que les cours de l’or connaissent des soubresauts en raison des annonces de Donald Trump de doper l’économie et de s’inviter dans la guerre opposant Ryad et Moscou.