Ouïgours : entre oppression et hégémonie chinoise

Dans la région du Xinjiang (Turkestan oriental), l’ethnie ouïghoure turcophone, est persécutée par l’Etat chinois en tant que minorité. Alors que le régime communiste a progressivement intégré ce territoire stratégique – riche en hydrocarbures – au reste du pays, il use de tout son pouvoir pour éliminer tout ce qui fait la singularité de cette culture, dépeignant l’opposition ouïghoure comme une force terroriste exogène liée aux réseaux jihadistes transnationaux.

Le parlement européen a attribué en 2019 le prix Sakharov à Ilham Tohti, un professeur dissident emprisonné depuis janvier 2014, qui a permis de mettre en lumière le sort de ce peuple et les enjeux internationaux de cette crise.

Une politique anti-terroriste

En mars 2014, un attentat a frappé la gare de Kunming. Les séparatistes ouïgours entretiendraient des liens avec le parti islamique du Tukestan (PIT) lui-même soutien d’Al-Qaïda. « Créé en 1997, longtemps resté marginal, le PIT s’est progressivement imposé comme une menace majeure pour les autorités chinoises. L’intensification des attaques terroristes depuis 2009 a aussi contribué au renforcement des mesures policières répressives à l’encontre de la population ouïgoure, […] minorité nationale, majoritaire au Xinjiang. » explique Nathan Juglard, membre de l’ANAJ, comité Asie. C’est dans ce contexte que l’Etat chinois a entrepris une politique de « rééducation » de la population, jusqu’à interner aujourd’hui près de 3 millions de ouïgours.

Plus récemment, un rapport de l’Australian Strategy Policy Institute, révèle que les populations ouïgours sont déportées vers les régions connaissant une forte demande de main d’oeuvre. Ils sont employés dans les usines de textiles notamment. « A l’usine, les travailleurs ouïgours fabriquent des chaussures durant la journée. Le soir, ils suivent des cours où ils étudient le mandarin, chantent l’hymne national chinois, reçoivent une formation professionnelle et une éducation patriotique. »

La plupart des ouïgours sont originaires des provinces de Hotan et de Kashgar dans l’ouest de la Chine. On dénombre 9800 déportations de personnes depuis 2007 qui participent aux activités économiques de l’entreprise Qingdao Taekwang Shoes, elle-même fournisseur de l’entreprise Nike.

La région du Xinjiang étant comprise sur le tracé des nouvelles routes de la Soie, elle est devenue un élément crucial pour le gouvernement chinois, pour qui l’enjeu est d’assurer une sécurité maximale sur une région qui va connaître un fort développement dans les années à venir. La sécurité dans cette région éloignée se traduit par le contrôle de la population par la Chine, au détriment des Droits de l’Homme.

Tragédie humaine et violation des Droits de l’Homme

Contrairement au discours officiel chinois, ces camps de formation professionnelle abritent des activités bien plus occultes. « Ce sont des camps où l’on torture physiquement et psychologiquement au quotidien pour faire oublier l’identité ouïgour et musulmane des internés. » précise Dilnur Reyhan, présidente de l’institut Ouïgour d’Europe. « On parle d’une population d’un nombre de prisonniers compris entre 1,5 million et 3 millions. » De plus, le gouvernement encourage l’installation de populations Han, l’ethnie majoritaire en Chine, dans la région du Xinjiang afin de diminuer l’influence culturelle et politique des ouïgours, majoritaires dans cette région.

Cette destruction de la culture ouïgoure s’accompagne d’une assimilation forcée à la culture chinoise. « La Chine essaye actuellement d’endoctriner notre peuple, pour qu’il devienne chinois. Ils détruisent toute preuve qui montre que nous sommes différents. Nous sommes ouïgours, trucs, et nous ne sommes pas chinois. » explique Salih Hudayar, président du mouvement d’éveil national du Turkestan Oriental.

L’absence de réponse internationale

L’enjeu pour la communauté internationale est d’agir rapidement pour faire cesser cette violation des Droits de l’Homme. « Il ne faut pas laisser la Chine mettre en place la solution finale. » prévient Dilnur Reyhan. « Pourtant les Etats-Unis seuls ne pourront pas agir, il faut également l’aide de l’Europe. » La réponse internationale semble inaudible face à l’ampleur de la crise. La portée de la lettre adressée par 23 pays à la Chine s’est trouvée limitée face à l’engagement de 54 autres pays particulièrement prompt à défendre la politique chinoise dans la région à l’occasion de la commission de l’ONU des affaires sociales, humanitaires et culturelles. Par ailleurs, la haut-commissaire des Nations-Unies aux Droits de l’Homme n’a toujours pas reçu l’autorisation de se rendre dans la région.

L’absence de discours de la part des pays musulmans est également dénoncée par les représentants ouïgours. « Deux raisons expliquent ce silence : d’abord, la majorité des pays musulmans dépendent de la Chine d’un point de vu économique, et idéologiquement la Chine est perçue comme l’alliée contre l’Occident. Spécialement attentive à protéger la Palestine contre Israël, elle bénéficie d’une image positive auprès de ces pays. » souligne la présidente de l’institut ouïgour d’Europe, Dilnur Reyhan. Dans une tribune1 elle appelle les pays musulmans à prendre leurs responsabilités.

Utilisant tout son pouvoir d’influence, la Chine poursuit sa politique de persécution des ouïgours à l’étranger. Cette persécution se traduit par des menaces personnelles à l’égard de la diaspora. « Début 2019, j’ai reçu un colis en provenance de Chine, avec mon numéro de téléphone inscrit dessus. Le colis était rempli de fruits secs avec des inscriptions en mandarin… Mais ce qui est particulièrement déroutant c’est la présence de mon numéro de téléphone. Comment ont-ils pu le trouver alors que ma famille en Chine, avec qui je n’ai plus de contact, ne le connait pas ? » interroge Merdan Memet, secrétaire de l’association des ouïgours de France.

La Chine agit également à l’encontre des gouvernements étrangers. « Tous ces pays savent quil y a un coût à l’investissement chinois sur leurs territoires. La Chine a entendu que quelque chose se tramait, alors elle a rappelé à chacun deux les yuans investis. » explique un diplomate occidental.

Si la politique chinoise contre l’ensemble de la population ouïgoure s’est traduite par une éradication des réseaux terroristes liés à Al-Qaïda et à l’organisation Etat islamique, elle a également participé à étendre la menace hors des frontières chinoises, dans une région déjà profondément instable.

Cependant, après le Tibet, la question des ouïgours interroge à nouveau sur l’avenir des Droits de l’Homme en Chine et sur la capacité de la communauté internationale à défendre ces Droits dans le monde.

1 « Monde musulman, je ne vous souhaite pas un bon ramadan. »