Un monde sans femmes

177 millions. C’est le nombre de femmes qui manquerait dans le monde. La raison ? Les politiques de contrôle des naissances et en sous-main les visées hégémoniques de certains pays qui voient dans les politiques de contrôle des naissances un instrument de puissance.

Sur le continent asiatique, des décennies de politiques de contrôle des naissances et d’avortements sélectifs ont conduit à des conséquences désastreuses. Selon les estimations, il « manquerait » actuellement quelque 200 millions de femmes afin d’assurer l’équilibre entre les sexes. Par exemple, un garçon sur cinq qui naît aujourd’hui en Chine ne trouvera pas d’épouse. Des causes dramatiques aux conséquences qui le sont tout autant ! L’équilibre démographique profondément bouleversé implique alors des violences à l’encontre des femmes qui subissent ainsi contraception et avortements forcés, marchandisation des corps, violences multiples et mariage arrangés.

C’est au coeur de cette réalité alarmante que nous plonge le documentaire « Un monde sans femmes » réalisé par Antje Christ et Dorothe Dörholt, et produit par Bildersturm Filmproduktion, Schweizer Radio und Fernsehen et NDR/Arte.

Des politiques féminicides

Originaire des Etats-Unis, des organisations parmi lesquelles la fondation Ford, la fondation Rockefeller et le Conseil de la population, ont des les années 50, distillé l’idée qu’il faut éradiquer la pauvreté dans le monde par une réduction globale de la population mondiale. « La croissance démographique est un cancer, […] Le contrôle de la population est la seule réponse possible. »1

Une réduction globale qui s’entend surtout par une réduction des naissances de filles…

En Asie (mais pas uniquement), la culture voulait alors que les femmes n’aient pas de valeur. Il fallait donc limiter leur nombre, en limitant la naissance des filles.

La volonté forte et encouragée par les autorités pour les couples d’avoir un garçon, les poussait généralement à continuer de procréer jusqu’à atteindre cet objectif. Ainsi, les filles non voulues étaient souvent abandonnées. Afin de réduire cette natalité non-voulue, le recours à l’avortement et à l’identification prénatale ont été érigées comme solution. « Il est nécessaire d’augmenter la recherche en ce qui concerne les technologies d’identification du sexe du foetus afin d’assurer au parent d’avoir un fils. » décline un rapport tiré des archives Rockefeller.

En Chine, les stérilisations et les avortements forcés sont légion. Des slogans violents étaient alors placardés à destination des femmes afin de les appeler à respecter la politique de l’enfant unique au risque de subir des actes de contraception coercitifs. « Après le premier enfant on te pose un stérilet, après le deuxième tu seras stérilisée. Si tu as d’autres enfants il te faudra payer une amende. » prévient un slogan étatique.

Des actions massives qui ont porté les fruits attendus : « Depuis les années 1990, il naît dans certaines régions jusqu’à 25 % plus de garçons que de filles. Le phénomène de la sélection prénatale du sexe prend une ampleur alarmante, et indique que le statut des femmes et des filles reste implacablement inférieur. » alerte le Fonds des Nations Unies pour la Population (FNUP).

« Lorsque vous n’avez jamais été à l’école, que toute votre vie on vous a répété que vous n’êtes rien, et lorsque vous êtes mariée votre nouvelle famille vous rappelle chaque jour que vous perdrez tout si vous avez une fille… comment voulez-vous changer la mentalité d’une femme et lui donner envie d’avoir une fille ? » questionne le gynécologue Puneet Bedi (New Delhi).

Objets convoités à tout prix !

Arrivé à la situation dramatique où il n’y a plus assez de femmes dans ce monde contemporain, les femmes sont revalorisées, un temps, non pas parce que les autorités au pouvoir dans les différentes pays ont compris qu’elles sont des êtres humains avec des droits, et une « valeur » identique à celle des hommes, mais simplement car elles doivent servir de variable d’ajustement à une nouvelle politique : sauver les peuples qui n’ont plus assez de femmes pour être épousées et donner la vie ! « Le corps de la femme n’était qu’un jouet dans la politique de l’Etat. » déplore Byun Whasoon, présidente de l’Institut Famlife, Séoul.

Les femmes devenues si peu nombreuses se voient désormais érigées en des objets convoités à tout prix donnant lieu aux trafics en tout genre et à une nouvelle montée d’une insécurité déjà insoutenable. En effet, pour pallier ce déficit, des fillettes sont enlevées dans le but d’être mariées une fois adultes au fils de la famille, tandis que des parents d’âge mûr vantent sur des marchés matrimoniaux les qualités de leurs descendants masculins restés célibataires. Mais l’Empire du Milieu ne constitue pas un cas isolé. En Inde, en Corée du Sud et au Vietnam, on observe les mêmes tendances inquiétantes, lesquelles entraînent une augmentation des enlèvements, des trafics et de l’exploitation sexuelle.

Des violences persistantes

La montée des violences est inhérente à nos sociétés et les femmes en sont les premières victimes. En Inde par exemple, on constate dans cette société déséquilibrée une montée de la violence et des agressions envers les femmes. Les hommes sont trop nombreux. Les femmes manquent. Une situation qui engendre un taux de testostérone très élevé couplé à des frustrations de plus en plus fortes. En résulte des pulsions assouvies sur fond d’une agressivité décuplée donnant lieu notamment à une augmentation alarmante et dramatique des agressions commises sur les femmes dans ce pays. « La majorité des cas de crimes commis contre les femmes sur le total des crimes Indian Penal Code (IPC) ont été enregistrés sous la rubrique « Cruauté par le mari ou ses proches » (31,9%). S’en suit « Agression sur les femmes dans l’intention de choquer leur pudeur » (27,6%), « Enlèvement et séquestration de femmes » (22,5%) et « Viol » (10,3%). Le taux de criminalité par population de femmes lakh était de 58,8% en 2018 contre 57,9% en 2017. » développe un rapport du National Crime Records Bureau d’Inde.

En plus de ces violences, les cas d’esclavage humain et de marchandisation des femmes se multiplient. Des hommes célibataires de plus en plus nombreux en Asie sont prêts à acheter des femmes venues du Vietnam, d’Indonésie ou encore des Philippines, à l’image de cette jeune femme issue d’une famille défavorisée au Vietnam, achetée par tout un village indien, qui s’était cotisé ! « Elle a été mariée à un homme et abusée sexuellement par 7 autres. Enfermée, elle était la propriété de tout le villagequi disposait d’un document officiel l’attestant » détaille le documentaire. Dramatique, cette situation est loin d’être un cas isolé !

De même, beaucoup de petites filles sont enlevées puis vendues. « En Chine l’enlèvement de petites filles n’a rien d’exceptionnel, c’est même assez fréquent car marier son fils est devenu très coûteux. […] Dans certaines régions, les parents achètent une fillette pour l’élever avec leur fils. Lorsque les deux enfants sont adultes ils les marient. » explique Du Yin, activiste engagé dans la recherche de ces fillettes disparues.

Des pratiques de marchandisation qui incitent parfois les jeunes filles elles-mêmes à en faire la démarche, percevant cela comme un moyen de sortir de la misère et d’offrir à leurs familles les moyens pour survivre…

Valorisation de la femme : un revirement

De la baisse de la fécondité souhaitée, c’est surtout la baisse du nombre de femmes que l’on a pu observer. Constatant le résultat dramatique de ces choix politiques à court-terme, des mesures ont été prises pour renverser la tendance. En Corée du Sud, là où l’avortement a longtemps été autorisé et encouragé pour réduire le taux de fécondité, il est désormais limité à des cas exceptionnels. De même, la Chine a revu sa politique de l’enfant unique pour préférer le modèle des deux enfants. Une campagne d’affichage a également été lancée en faveur des femmes : « Pas de fille signifie pas de belle-fille » ; « Les filles ont autant de valeur que les garçons, elles aussi assurent la descendance ». Parallèlement aux slogans officiels « Sauve les filles, éduque les filles », l’Inde mise de nouveau sur les récompenses afin de favoriser la naissance de filles. Un couple qui met au monde une fille recevra 28€ et une lettre de remerciement de la ministre de la Famille. Une loi a également été promulguée afin d’interdire l’identification prénatale mais de nombreux médecins bravent toujours l’interdiction contre quelques billets… Les petites filles ont désormais accès à l’éducation, sans quoi rien ne pourra changer… Des avancées encourageantes, mais qui pourraient bien être seulement l’arbre qui cache la forêt…

Un avenir à écrire

Après avoir accentué ce déséquilibre pendant des années, il va falloir encore attendre des décennies avant d’entrevoir à nouveau la possibilité d’un équilibre dans la répartition homme/femme dans les sociétés. « Pendant 35 à 40 ans, il y a eu pénurie de femmes. Même si l’on agit maintenant, il faudra attendre encore 20 ou 30 ans pour que le ratio homme/femme soit de nouveau équilibré parmi des jeunes adultes. » explique Valerie M. Hudson, professeure de sciences politiques.

Et au-delà du ratio, quid de l’égalité homme/femme ? Une question qui se pose toujours aujourd’hui dans le monde entier !

Alors que l’intelligence collective et le bien de l’humanité devrait nous guider, plus que des politiques court-termisme, avides de pouvoir et d’argent, ce documentaire nous rappelle les erreurs et les errances du passé dont les répercutions près de 70 ans plus tard sont toujours palpables et catastrophiques.

« D’une manière générale, il faut prendre conscience que les femmes sont des être humains à part entière, qu’elles doivent bénéficier de l’ensemble des droits qui sont accordés aux hommes. Je ne vois pas comment les choses pourront changer tant que les femmes ne seront pas reconnues à leur juste valeur. » conclut Valerie M. Hudson laissant raisonner les mots de Gandhi prononcé il y a prés de 150 ans (en 1869) « Appeler les femmes le « sexe faible » est une diffamation ; c’est l’injustice de l’homme envers la femme. Si la non-violence est la loi de l’humanité, l’avenir appartient aux femmes. »

Pour visionner le documentaire : https://www.youtube.com/watch?v=BWiMiM0Cz6o

1 The population bomb, Paul R. Ehrlich