Faire revivre l’Europe comme une puissance politique stratégique

12 avril 2018: Mme Sabine Thillaye Photo officielle

C’est dans ces termes que le Président de la République, Emmanuel Macron a présenté sa vision de l’Europe lors de la conférence de Sécurité de Munich (MSC), qui s’est tenue en février dernier, et à laquelle j’ai participé, sur l’invitation de M. l’Ambassadeur Wolfgang Ischinger.

Souveraineté européenne, place de l’Europe comme puissance politique et puissance d’équilibre, complémentarité entre OTAN et Europe de la défense, relation avec la Russie, doctrine pour la dissuasion nucléaire : ma vision européenne s’inscrit dans la droite ligne des idéaux et de l’action du Président de la République française.

Rencontre avec Sabine Thillaye, Députée, Présidente de la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale.

Le couple Franco-allemand : pilier d’une dynamique

Nous avons longtemps partagé, en Occident, les mêmes valeurs et parlé dans le monde d’une même voix en faveur de la paix. Aujourd’hui, les pays occidentaux doutent de leurs valeurs, n’y croient plus, et sont parfois divisés entre eux. 

C’est pourquoi j’appelle à un sursaut vital pour préserver une capacité d’action en matière de défense et de sécurité, pour continuer à promouvoir la paix.

Nous devons regarder différemment un monde qui a changé. L’Europe doit trouver ses propres réponses au renversement des rapports de force qui se jouent. La prolongation du dialogue entre la France et l’Allemagne, au service d’une Europe plus puissante et plus sûre, me semble essentielle. Il s’agit donc de construire un accord franco-allemand qui permet d’avancer, avec plus d’ambition et de rapidité.

Le couple franco-allemand n’est et ne doit pas être la réponse à l’ambition européenne mais il est en revanche un des piliers forts de cette stratégie. Nos deux pays ne peuvent certes pas porter seuls cette dynamique européenne, mais compte tenu de nos modèles de fonctionnement, sur le plan historique, démographique, économique et stratégique, nous pouvons insuffler un mouvement, en ralliant les autres Etats à cet élan.

L’Europe peut opérer ce sursaut, ce regain d’énergie collective en faveur d’une posture stratégique ambitieuse et assumée ! Au-delà de la réconciliation, nous devons à présent repenser ensemble notre sécurité et un espace de confiance commune.

Une politique de voisinage revisitée

L’Europe à 27 ne fonctionne pas correctement : avancées trop lentes, règles d’unanimité et faible représentation des Parlements nationaux… Il en découle une lourdeur paralysante qui fait douter nos concitoyens.

Pour autant nous continuons à penser l’Europe comme un grand marché qui s’élargit et non pas comme une puissance politique. Il faut donc instaurer une politique étrangère européenne commune, une puissance politique avec des préférences collectives, des convergences et de l’homogénéité. Nous devons donc changer notre approche stratégique !

Cela ne veut pas dire que l’Union européenne doit être menée par un pays en particulier. Elle n’a d’ailleurs pas été pensée pour cela. Le projet des fondateurs de l’Europe, et ce qui a fait que nous vivons en paix depuis 70 ans, c’est précisément que nous avons rompu avec deux millénaires de politiques hégémoniques successives. Depuis 70 ans, nous avons donc bâti une construction politique inédite de coopération et nous vivons une période inédite de paix en Europe. 70 ans à l’aune de l’humanité, c’est finalement assez peu. Je trouve donc que nous avons d’ores et déjà réussi de belles choses en finalement peu de temps à cette échelle. Les progrès sont significatifs et en bonne voie.

Avec la Russie, nous devons garder en tête que c’est un partenaire géographique indiscutable et qu’un dialogue est nécessaire. Il doit reposer sur une capacité à régler ces conflits gelés, une capacité à penser le cyber, le spatial, la relation militaire, donc cette architecture de sécurité.

Nous devons donc chercher les voies d’un partenariat européen. C’est à nous de bâtir ce nouveau cadre de confiance réciproque.

Aventure politique et démocratie

La crise qui est la nôtre est une crise des démocraties européennes. Aujourd’hui, les gens doutent de l’Europe, parfois même de l’idée de démocratie – les extrêmes montent -, et de notre capacité à apporter une réponse en commun. L’Europe est une aventure politique faite de démocratie, de liberté individuelle, de progrès pour les classes moyennes, d’économie sociale de marché, de valeurs ! Il y a donc urgence à répondre et à réagir avec rapidité et clarté aux attentes des citoyens.

Nous sommes au coeur d’une communauté de destin. Nous avons une chance extraordinaire. Cette communauté réunie des démocraties et des Etats de droit. Cela nous unit et doit nous permettre de regarder notre futur européen ensemble !

Souveraineté numérique européenne

La 5G, le cloud, l’intelligence artificielle bâtissent une nouvelle ambition européenne. Nous devons aller beaucoup plus vite ensemble sur ces éléments de souveraineté. Sur le plan technologique, nous investissons beaucoup plus fort, beaucoup plus vite sur nos entreprises, nos innovations et notre régulation pour bâtir des solutions européennes. Nous devons comprendre qu’en matière de numérique et de cyber, la force européenne, la coopération seront des outils de poids dont nous devons prendre toute la mesure pour faire face à la Russie par exemple, mais aussi aux autres pays et autres acteurs agressifs sur ce nouveau terrain d’affrontement.

Nous devons renforcer nos défenses technologiques, nos coopérations entre services et nos systèmes juridiques. Nous n’avons pas suffisamment « d’anticorps » face à ces attaques et cela représente une faiblesse majeure pour les démocraties européennes attaquées chaque jour par des acteurs privés utilisant les technologies afin de manipuler, pénétrer, diffuser de l’information à très grande vitesse, sans traçabilité, dans des systèmes démocratiques hyper médiatisés avec un effet d’émotion, d’intimidation et de déstabilisation de nos démocraties.

La prise de conscience des enjeux liés au numérique et donc de la nécessité d’une cybersécurité essentielle doit s’élever et irriguer tous les sujets transversaux. Face à ce « monstre doux », nous devons avoir une approche collective comme individuelle. Les facilités offertes par le numérique sont extraordinaires. Mais il ne faut pas en occulter les dangers. Nous devons prendre les mesures nécessaires en capacité de nous protéger. Cette souveraineté européenne appelle à une vision globale, une vision sur le long terme. Dans un monde interconnecté, l’échelon européen est là encore essentiel. Tout devrait être aujourd’hui mesuré à l’aune de la cybersécurité !

Prendre des risques et investir

Il nous faut aussi accepter de prendre des risques. Si les Français, les Allemands ne prennent pas de risques sur ces sujets, nous n’avancerons pas. Nous devons donc changer notre relation au futur et à l’investissement.

Nous devons évidemment investir en R&D. Le cloud européen est un enjeu majeur. Ces sujets doivent être portés collectivement. Pour l’émergence de cette équipe européenne, nous avons besoin de confiance, et de partager, d’échanger.

Mais au-delà de l’aspect purement économique des dossiers, nous devons adopter une vision plus large intégrant la protection et la défense de nos intérêts et une certaine manière de vivre qui nous caractérise et représente une de nos forces.

Reste la question de comment donner un niveau capacitaire à cette souveraineté ? Nous avons besoin d’une préférence européenne pour voir émerger des fonds européens qui viennent en soutien capacitaire et devons revoir nos règles de concurrence et le droit commercial doit évoluer. Il faut également parfaire le marché unique numérique.

Bâtir une vraie souveraineté de la zone euro pour être crédible est alors essentiel. Nous devons pour cela moderniser nos règles de décision commune.

A l’heure où les débats sur les sujets budgétaires européens sont ouverts, nous avons la Chine qui investit massivement de l’argent public sur le numérique, sur le digital, sur une stratégie climatique qu’il ne faut pas sous-estimer, en bougeant très vite ces dernières années. Elle investit sur son futur !

Nous avons également des États-Unis d’Amérique qui font le choix d’augmenter très fortement la dépense publique à des niveaux sans précédent ; qui investissent sur leur défense, sur leur technologie et donc sur des choix d’avenir !

Et en Europe, au niveau agrégé, nous continuons la consolidation budgétaire… Nous sommes en train de devenir un continent qui ne croit plus dans son futur. Et ce n’est pas tout simplement pas possible ! Nous devons retrouver ce goût de l’avenir pour peser sur la scène internationale !

Une Europe de la Défense forte

Je crois que nous avons besoin d’avoir une Europe de la défense plus forte, nous en avons besoin pour les raisons, là encore, de souveraineté. Nous avons également besoin de l’OTAN mais nous avons besoin de construire en cohérence avec l’OTAN et pour nous-mêmes. Nous devons pouvoir nous protéger nous-mêmes et avoir une liberté d’action. L’Europe de la défense suppose donc d’intégrer des formats divers, de bâtir progressivement une culture stratégique de plus en plus intégrée et d’inclure le Royaume-Uni à travers les traités actuels, à travers les initiatives futures.

Le moment de vérité de l’Europe

Nous avons des sujets stratégiques à adresser dans un monde qui a changé, et qui n’a de cesse d’évoluer. Les rapports de force s’inversent, les relations aux voisinages sont mouvantes, les affrontements se déplacent sur le théâtre d’opérations numérique, la géopolitique de nouvelle décennie 2020-2030 ne sera pas celle de ces 20 dernières années… Nous ne pouvons pas continuer à réagir avec des méthodes désuètes à cette nouvelle société qui est la nôtre.

En cela, le Président de la République ose ! Il débat des sujets stratégiques et appelle à de nouvelles postures, au dialogue, à la coopération. Il y a un écho favorable en Europe. Et cela doit nous obliger à bouger.

Les parlementaires ont aussi un rôle à jouer en renforçant le dialogue avec leurs homologues européens au Parlement européen et dans les Etats membres. Un espace publique européen doit être créée. Nous devons susciter cette volonté politique européenne car les défis seront relevés ensemble.

Le rôle européen doit également être évoqué avec les citoyens autour de sujets qui doivent incontestablement se penser à l’échelle européenne : la défense, la sécurité, le climat par exemple. L’éducation à l’Europe est aussi un défi auquel Erasmus permet de répondre mais nous devons aller plus loin. Tous les enfants européens devraient être éduqués pour se « sentir » européen. La culture est notamment un excellent moyen de rapprocher les peuples dans leurs différences et leurs ressemblances. Elle peut créer une idée d’appartenance, voir une identité commune.

L’Europe est le moyen pour nous de protéger nos valeurs, nos préférences collectives. Nous avons besoin d’une liberté d’action européenne, d’une indépendance européenne et d’une capacité à bâtir notre propre stratégie. Il y a des spécificités européennes qu’il nous faut défendre !

J’espère donc dans un avenir à court et moyen terme, une Europe qui aura su bâtir les termes de sa souveraineté technologique, de sécurité et de défense, sur les sujets migratoires, en termes alimentaire, climatique et environnemental, et dans sa relation avec son grand voisinage. Nous avons un voisinage source de belles opportunités, notamment en Afrique. A nous de les saisir et de co-construire cet avenir avec ce continent où l’optimisme, et l’espoir en l’avenir portés par la jeunesse doit nous inspirer.

Une Europe enfin devenue une puissance politique stratégique, plus unie, d’une plus grande vitalité démocratique et qui saura aussi retrouver un goût prononcé pour l’avenir !