Les grands projets, moteurs de notre société

Les grands projets sont essentiels pour que notre pays continue de se projeter vers l’avenir. Bonne nouvelle, en France, ils foisonnent !

Le Concorde, le TGV, le nucléaire, ou encore la Défense… Aujourd’hui la 5G, le Grand Paris, les Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, le service civique, la transition énergétique, les transports de demain… : autant d’investissements, essentiels, qui entraînent avec eux des entreprises et des innovations par milliers.

Mais pour réussir, ces projets doivent intégrer, dès leur conception, une dimension collective et participative.


Rencontre avec Bernard Lassus, auteur du livre « Les grands, moteurs de notre société » en collaboration avec Yoann Derriennic, Associé PwC.

Une vague inédite de grands projets portés par les politiques publiques est en train de déferler sur la France. Ils concernent des domaines très divers, mais ils ont tous en commun d’êtres porteurs de valeurs fortes autour desquelles se structure notre société.

La vision d’une France de demain, innovante et inclusive, osant les ruptures, est en train de se dessiner. Les enjeux sociaux et environnementaux sont au coeur de cette nouvelle stratégie. De la transition écologique aux programmes d’armement et de défense, en passant par les transports et les infrastructures, les grands chantiers s’ouvrent partout. La France s’y révèle universelle !

Une série de plans et de programmes donnent un cadre à la vision politique de la France pour demain, et affirment sa durabilité (loi PACTE, loi LOM, le PPE, le PIC, la loi ELAN, etc.)

Dans le domaine des transports, une révolution est en train de s’opérer dans le monde et elle nécessitera des investissements massifs. Automatisation, dérégulation du marché, ouverture de nouvelles lignes, villes connectées sont autant de projets gigantesques qui doivent nous porter vers l’avenir avec enthousiasme et optimisme et qui suscitent, bien entendu, l’intérêt de la concurrence extra-européenne qui se prépare, elle aussi, à participer à ces programmes.

Vision politique collective européenne

Dans ce contexte, l’Europe et les Européens doivent s’organiser. Notre continent regorge de richesses et de puissance. Lui manque une structure visionnaire et des investissements en recherche et développement à la hauteur des enjeux. Quand en 2018, dans le domaine de l’intelligence artificielle, Amazon investit 22,6 milliards de dollars, Alphabet 16,2 milliards, Deutsche Telecom en investi 1,2 milliard et Orange pour la France 800 millions… Des chiffres qui se passent de commentaire. Sans une vision politique collective assumée, le papillon pourrait rester chrysalide…

Nous devons donc penser Europe et en finir avec ce sentiment de défiance que nous avons nous même créée. Je crois qu’il faut arrêter d’édicter des normes, des lois, des idéologies. L’Europe de l’avenir doit être celle d’une vision politique.

Chine et Inde : puissance et performances

La Chine est, elle, devenue papillon et met tout en oeuvre pour le rester, d’où le nombre impressionnant de grands projets qui y sont en permanence élaborés et développés. La vision politique y est aussi une vision de puissance.

L’Inde affiche une croissance spectaculaire qui ne pourra se poursuivre sans des travaux ambitieux d’infrastructures pour lesquels il est désormais fait appel à des investisseurs internationaux à l’image d’EDF qui participe à différents chantiers notamment l’installation de 5 à 10 millions de compteurs communicants.

La croissance du taux d’investissement sera un déterminent des performances futures du pays qui pourrait supplanter la Chine à l’horizon 2050. D’ici à 2030, le gouvernement a annoncé que 1200 milliards de dollars seront investis dans les villes.


L’Afrique : l’avenir de la planète !

Elle représente un immense intérêt : là-bas, tout est à faire. Le sous-équipement est notoire – 65 % de la population n’a pas accès à l’électricité – et les investissements seront d’autant plus importants dans les prochaines années, en matière de transports, de routes, d’eau, d’énergie, de télécommunications, de santé… L’avenir de l’Afrique impliquera la définition des priorités – notamment celle des financements – et l’adéquation des projets avec les besoins effectifs de la population. J’en suis convaincu, l’Afrique est l’avenir de la planète !

Prospective, anticipation, adaptation

Un pays, comme une entreprise ou un grand projet, ne se construit pas pour aujourd’hui, mais pour demain ou après-demain. Nous devons continuer de réfléchir collectivement aux innovations que nous devons mener pour nous adapter. La 5G, les nouveaux types de transport, les nouvelles mégapoles, les télécommunications, la conquête de l’espace sont autant de champs qui s’ouvrent à la prospective et à l’anticipation.

Se pose également la question du combat français sur nos normes et nos standards nationaux. Il se substitue à ce qui devrait être le vrai combat, celui de l’adaptation aux standards mondiaux.

Nous devons penser nos projets avec un travail de fonds mené d’emblée en concertation avec les standards européens et mondiaux à l’image de ce que nous avons fait pour les compteurs communicants. C’est un point fondamental qui évitera un certain nombre d’échecs, sachant que, contrairement à l’Inde, à la Chine ou aux Etats-Unis, nous ne disposons pas d’un marché intérieur suffisant pour rentabiliser, seuls, une innovation. C’est aussi ce qui doit nous mener à renforcer l’intégration européenne.

Proximité et prise de risques

Nous devons sortir de nos habitudes de pensées, de la rigidité, de l’itération du passé pour basculer vers la pensée adaptative qui est faite de souplesse, de curiosité, de réflexion nouvelle, d’ouverture, d’enthousiasme et pourquoi pas d’opinion personnelle.

Penser le projet dans sa globalité avec une vision long terme est la méthode la plus porteuse pour conduire ces grands projets. Il faut aussi savoir lancer un projet sans avoir l’adhésion de tout le monde. En revanche, il est indispensable de réaliser une concertation amont qui doit s’appuyer sur les principes de confiance et l’ouverture. Une méthode en surgira au service de la vision. Le trésor d’un grand projet est son capital confiance. Gagner la confiance, c’est être performant dans le temps.

La philosophie asiatique et c’est aussi le cas en Afrique, est basée sur la relation entre les individus eux-mêmes. Sur ces deux continents, la croissance et l’espoir en un avenir meilleur ont ravivé l’intérêt pour le collectif, perçu comme un modèle positif, à même de contribuer à élaborer cet avenir. Il y a une envie palpable de s’investir dans ces grands projets, même si cela implique des prises de risques.

La philosophie européenne s’est elle fondée sur l’épanouissement de la personne, la relation à l’autre n’étant vue que comme une aide à la « vie bonne » et à la construction de soi. Les crises financières et économiques ont également accru la tendance au repli sur soi en Europe. Dés lors, les décideurs doivent penser d’emblée la proximité dans l’élaboration de chaque projet, afin d’en favoriser l’acceptabilité.

D’un point de vue culturel, nous devons aussi accepter le droit à l’erreur, voire à l’échec, que la culture française s’autorise peu. Or l’erreur et l’échec sont inhérents au risque. Ils font partie de la nature même de tout projet.

Conjuguer long terme et nouveaux paradigmes

Les grands projets historiques : l’édification des Pyramides, du Parthénon, représentent, au-delà de la puissance, un rôle fédérateur. Ils étaient la pierre angulaire du développement de ces civilisations. Alors, s’il faut bien entendu prendre en compte les évolutions de notre société, il est bon de rappeler que ces projets s’inscrivaient aussi dans une vision long terme.

L’économie du long terme est absolument essentielle, et contrairement à ce que l’on pourrait croire, elle n’est pas antinomique aux nouveaux paradigmes avec lesquels nous devons composer. Ces ruptures majeures : l’exigence de temporalité, la distorsion de l’espace, l’impossible discrétion et le secret, impliquent l’intégration de ces paradigmes à la réflexion puis à la mise en oeuvre du projet, mais l’accélération du temps ne signifie pas la fin des projets long terme. Cela nécessite en revanche plus de transparence, des explications, des leaders impliqués mais détachés et de la proximité.

La proximité, la confiance et le respect de l’autre sont de possibles réponses à l’accélération du temps. La proximité sera indispensable pour répondre à la complexité des grands projets, à la complexité sociale. La communication de proximité sera elle aussi essentielle car un mega-projet ne s’oppose pas à l’approche locale.

Enfin, face à l’individualisme et au populisme, il est nécessaire d’insuffler du sens. Mais le sens, lui non plus, ne s’improvise pas. Il n’est pas donné d’avance à un projet, aussi vertueux soit-il. Il faut donc composer et jouer avec les nouvelles règles du jeu : le principe des oppositions, de l’hyperlocalité, de l’hyperglobalité et de l’écosytémique.

Les Jeux olympiques, une affaire rentable ?

Depuis le lancement de Paris 2024, les Jeux olympiques et paralympiques qui auront lieu en France, l’opinion publique s’est emballée autour de leur coût élevé qui sera être porté par un Etat et des collectivités déjà lourdement endettés. Le budget prévisionnel était de 6,6 milliards d’euros, dont 1,6 milliard apporté par les fonds publics – ce que les médias traduisent par « à la charge du contribuable », le reste se répartissant entre le CIO (1,45 milliard d’euros), la billetterie et le sponsoring national (2 milliards d’euros), et les partenaires privés (1,5 milliard d’euros). On table aujourd’hui sur un budget de 10 milliards d’euros : 5 milliards pour le COJO, en charge de l’organisation, et 5 milliards pour la SOLIDEO qui gère la mise en place de l’ensemble des infrastructures.

L’écart entre le coût réel et les estimations initiales n’est pas propre à la France. A titre de comparaison, en 2012, Londres, où les Jeux avaient été considérés comme « raisonnables » par rapport à Pékin 2008 ou Rio en 2016, avait vu la facture grimper de 6 milliards d’euros (sur un budget initial de 11 milliards d’euros).

Pourtant, les analyses financières sur le long terme démontrent que les JOP ne sont pas une mauvaise affaire s’ils sont bien pilotés et et si la projection dans l’avenir est réalisée dès les premières études. La plupart des Jeux s’est même révélé rentable, ou au moins équilibré, pour les pays hôtes – 335 millions de dollars, par exemple, de bénéfice dégagé pour les Jeux de Los Angeles dont les équipements sont toujours utilisés et un joli record de 1,2 milliard d’euros pour l’Euro 2016, qui avait été organisé en France. Pour évaluer la rentabilité d’un grand projet, il faut la calculer à l’échelle de la globalité du projet. Les études de la Chine

portant uniquement sur les infrastructures sportives abandonnées depuis les JO de Pékin montreraient un déséquilibre important des comptes. En intégrant la globalité des structures durables construites et toujours bénéfiques à la Chine : centrales énergétiques, terminal d’aéroport, autoroutes… on démontre que la Chine a été gagnante. Cette rentabilité doit intégrer l’ensemble des apports qui dépassent le cadre technique, commercial et financier pour intégrer l’aspect sociétal.

La France fera t-elle mieux ? C’est fort possible ! Le projet des « Jeux Olympiques de la nouvelle ère » est associé à l’idée fortement ancrée d’un héritage que nous léguons aux générations à venir. Ils se veulent porteur de valeurs sociétales et universelles fortes, associées dans le monde entier à l’image de la France.

En matière d’infrastructures, le projet a été pensé bien au-delà de 2024 : rénovations au profit des habitants à Saint-Denis et Saint-Ouen, le village olympique deviendra un quartier éco-responsable attractif.

Fait inédit : une mutualisation dans les investissements avec Los Angeles qui organisera les Jeux en 2028 dans la mise en place des nouvelles technologies relatives au sport bien sûr (chronométrage, arbitrage…) mais aussi à la cybersécurité.
La dimension écosystémique, temporelle, sociétale, voire universelle, de ce projet s’est incarnée dans la manière même dont il a été conçu et pensé. Il est en cela, un modèle, pour l’avenir.

La victoire du collectif

Devenus un accélérateur pour le Grand Paris, ces Jeux sont aussi l’occasion d’illustrer le savoir-faire français et de montrer au monde l’excellence de nos ingénieurs et de nos entreprises. Ils seront la vitrine de la France en matière de grands projets d’infrastructures durables de demain, qui placent la dimension humaine dans son acceptation collective et individuelle, au centre du projet.

Conduire un grand projet, c’est avant tout vivre une aventure humaine. Suivre un chemin sur lequel on ne s’engage pas seul, mais avec un collectif : l’équipe qui nous entoure, les partenaires, les bénéficiaires. Un grand projet ne se construit pas avec les seuls savoirs industriel et technique, il se co-construit autour d’un système de valeurs.

Il nous faut réinventer un système qui s’appuie à la fois sur des collectifs et sur des individus, devenus responsables et donc tous acteurs. Car il n’existe pas d’oeuvre individuelle et la victoire ne peut être que collective.

Un pari sur l’avenir

Parier sur les grands projets n’est pas une option : c’est absolument incontournable. Pour nos civilisations, pour nos sociétés. Le cycle d’investissements qui se met en place est un pari sur l’avenir. Penser la France, l’Europe, le monde de demain implique de se projeter dans l’avenir. C’est un enjeu de survie pour les pays et pour leurs populations d’autant plus crucial que nous sommes dans une période de transition plurielle où l’on a besoin d’une vision politique forte.

Le défi qui s’offre à nous consiste à inventer de nouveaux schémas plus en phase avec notre époque, à imaginer des méthodes qui tiennent compte des bouleversements apportés par ce 21e siècle, à créer des outils plus flexibles avec des capteurs modernes.

Nous vivons une époque formidable, portée par de nouveaux paradigmes. Et nous avons en main tous les atouts pour en rester les champions. Nous devons reconnecter le monde des idées et le monde de l’action. Donner du sens à nos grands projets. Il est urgent de ne plus attendre. Il nous reste à prendre les grandes décisions courageuses qui s’imposent pour demain.