La Chine en Afrique : un nouvel empire colonial ?

Depuis la conférence de Bandung en 1955, la Chine apportait un soutien anti-colonialiste aux pays africains souhaitant se libérer de la tutelle occidentale. Si l’Empire du Milieu continue à étendre son influence en Afrique aujourd’hui, c’est par le biais des Investissements Directs à l’Etranger (IDE) ou par la réalisation de projets de développement économique. « Le projet des nouvelles routes de la soie est un atout stratégique pour la Chine qui s’inscrit dans la vision à long terme du président XI Jinping. » explique Max Baucus, ancien ambassadeur américain en Chine, qui déplore, à l’inverse, le manque de vision stratégique des Etats-Unis et des occidentaux.

Par Simon DOUAGLIN

Développement économique et influence politique

« Avec seulement 3% du PIB mondial, l’influence de la Chine en Afrique n’a pas pour objectif premier la recherche du profit économique mais plutôt l’obtention d’un avantage stratégique. » indique Thierry Pairault, directeur de recherche émérite au CNRS-EHESS. Par la construction d’infrastructures dans le cadre des nouvelles routes de la soie, la Chine cherche à étendre son influence jusqu’en Europe. « L’Afrique n’est pas initialement intégrée dans ce grand projet mais les deux parties ont rapidement compris les intérêts qu’elles avaient à coopérer ».

L’atout de la Chine en Afrique est d’abord commercial. Par son statut de client auprès de nombreux pays africains, la Chine en fait des obligés. « Les pays africains sont dépendants de leurs exportations vers la Chine alors que l’inverse n’est pas exact car la Chine a réussi à diversifier ses approvisionnements. Elle est parvenue à transformer cet avantage économique en atout politique. » explique Thierry Pairault. Afin de maximiser ses chances, la Chine aurait utilisé tout son pouvoir d’influence en Afrique pour faire retirer la candidature du Cameroun et s’assurer le soutien des nombreux pays africains lors de l’élection finale. « Ce soutien des pays d’Afrique est plus largement utilisé afin de prendre part à la direction des institutions internationales à l’image de l’Agence internationale de l’aviation civile actuellement dirigée par Fang Liu, ou plus récemment de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture dirigée par Qu Dongyu. Cette participation active permet à la Chine de se familiariser avec les fonctionnements de ces institutions et ainsi d’affirmer « jouer dans la cour des grands ». »développe Thierry Pairault.

Le déficit commercial du continent africain vis-à-vis de la Chine représente une menace majeure pour l’indépendance du continent. Si les années passées se sont révélées plus fructueuses, cette coopération a montré ses premières limites en 2019 avec une hausse de 2,2% de valeur globale des échanges entre Afrique et Chine contre 19,7% en 2018. Cette chute importante révèle surtout une balance commerciale largement déficitaire pour l’Afrique à hauteur de 17,7 milliards de dollars en 2019.

Un Etat stratège et des entreprises privées : une synergie gagnante

L’influence chinoise en Afrique bénéficie du large soutien des entreprises, d’abord des entreprises publiques qui se sont internationalisées par le biais de la politique du going out dans les années 1996, en parallèle du développement des nouvelles routes de la soie. A partir des années 2000, les entreprises privées se sont internationalisée à leur tour. « L’Europe et lAsie sont des destinations privilégiées par les entreprises chinoises et si l’Afrique joue un rôle secondaire dans leur développement international, il est néanmoins important car cest en Afrique quelles apprennent l’altérité économique. » précise Thierry Pairault.

La Chine se développe par le biais d’infrastructures et de projets localisés. « Des installations portuaires à Djibouti, en Tanzanie, au Mozambique, en Somalie et en Érythrée, des routes et voies ferrées, des réseaux électriques ou des structures dassainissementde leau, etde nombreux autresinvestissements de la puissance chinoise, stimulent les échanges commerciaux planétaires et lespartenariats africains au niveaux régional et local. » explique Pierre Picquart, géopolitologue, spécialiste de la Chine1. Le Kenya a bénéficié de la construction d’infrastructures portuaires à Mombasa et de routes reliant la capitale Nairobi, financés à 90% par le consortium chinois China Road and Bridge Corporation. De même, le Maroc a récemment signé des accords de coopération avec la Chine dans le cadre des nouvelles routes de la soie maritime.

Face au dogmatisme occidental, triomphe du pragmatisme chinois

Par un pragmatisme assumé, la Chine a su se démarquer de la politique de respect des Droits de l’Homme qui constitue la ligne directrice des occidentaux. «Depuis l’ère Deng Xiaoping, la Chine a abandonné son idéologie unique et dogmatique en s’adaptant à l’économie demarché des autresnations,dans une posture plus réaliste. » complète Pierre Picquart. L’échange avec ses partenaires africains se fonde sur une coopération « gagnant-gagnant ». De cette manière, la Chine bénéficie d’un large écho auprès des pays africains et s’impose comme une alternative crédible face aux occidentaux. Cependant, « dans une logique de coopération bilatérale, certains échanges dits « gagnants-gagnants » sont plus équilibrés que d’autres. » reconnaît Pierre Picquart.

La Chine dispose du monopole de l’exploitation de certaines matières premières dans les pays que les occidentaux ont abandonnés par considération éthique. « En cette année le consortium international Greater Nile Petroleum Corporation (GNPC) a vu le jour, avec à son origine la compagnie chinoise China National Petroleum Corporation (CNPC, 40% des parts), malaisienne Petronas (30%), canadienne Talisman (25%), et lentreprise dEtat soudanaise Sudapet (5%). Le GNPC a construit des oléoducs et exploite les champs pétroliers de Muglad au sud du Soudan. Aujourdhui la Chine importerait 50% du pétrole de cette région, représentant 7,7 % de ses importations pétrolières. »2 détaille le rapport de l’IRSEM.

La Chine tisse sa toile en Afrique

La Chine implante son savoir-faire numérique et se pose comme une alternative aux occidentaux notamment dans le domaine du numérique. A titre d’exemple, elle intervient en aidant l’Egypte à réaliser sa transformation numérique. « Une usine de fibre optique sino-égyptienne, dotée d’une technologie de pointe et inaugurée en 2018 au Caire est destinée à répondre au marché égyptien. » précise Pierre Picquart. Un câble sous-marin va être installé par Huawei afin de relier le Pakistan au Kenya et à Djibouti, conférant à la Chine une mainmise sur les données qui y transiteront.

Par ailleurs, par le biais d’accords commerciaux avec la Société Générale ou Standard Bank, UnionPay pénètre le marché africain. « La population visée ici comprend aussi bien les touristes chinois que les entreprises africaines commerçant avec la Chine et les Chinois expatriés. Lobjectif est de proposer aux Africains dautres méthodes de paiement électroniques et ainsi concurrencer les acteurs historiques du paiement mobile sur le continent (Orange Money, Vodafone avec Safaricom ou encore Airtel Money). »3 La Chine dispose ainsi d’un avantage stratégique grandissant, propre à remettre en cause l’influence occidentale dans le domaine bancaire.

Des critiques s’élèvent déjà contre les atteintes aux Droits de l’Homme à l’image des activités de l’entreprise chinoise Cloudwalk qui a signé, en mars 2018, un accord avec le Zimbabwe portant sur la gestion des données personnelles. L’entreprise chinoise propose en effet d’équiper le pays avec un système de reconnaissance faciale en échange de l’accès à la base de données nationale réunissant l’ensemble des données biométriques des habitants du pays. Cette ascendance de la Chine sur le numérique africain représente une menace directe pour les intérêts occidentaux mais questionne également quant à la dimension éthique.

Progressivement, le modèle chinois s’impose face à un modèle occidental manquant profondément de perspective d’évolution. Là où les occidentaux sont absents, la Chine parvient à dérouler son programme jusqu’à l’horizon 2049, célébrant ainsi le succès du « Chinese Dream ».

1 Auteur de La renaissance de la route de la soie – L’incroyable défi chinois du XXIe siècle aux éditions Favre

2 Dr Juliette Genevaz et Dr Denis Tull, Les financements chinois dans le secteur des transports en Afrique : un risque maîtrisé, Étude n° 67, IRSEM, juin 2019.

3 Les nouveaux moyens de paiement, outils et enjeux de stratégie nationale en Chine, Infoguerre