Le système financier africain à l’épreuve de la crise sanitaire

Si la crise sanitaire en Afrique est loin d’être terminée, la crise financière se profile déjà à l’horizon accompagnée d’un risque de déstabilisation politico-social. La chute du cours du pétrole, le poids des dettes ou encore les économies de survie rendent les systèmes économiques vulnérables et les banques africaines sont en première ligne.

Répondant aux normes internationales définies par les accords de Bâle, les banques africaines sont interconnectées et intégrées au système financier mondial. Dans une perspective de stabilité financière mondiale, l’enjeu est donc de garantir leur intégrité afin de sauvegarder le système mondial contre les risques de faillite.

Par Simon DOUAGLIN

Des risques de faillite et de déstabilisation

A la suite de cette crise sanitaire, une crise économique semble s’avancer avec une prévision de récession de 2,2% annoncée pour la République démocratique du Congo et de 9% en 2021 pour le Congo-Brazzaville. « Face à cette crise multidimensionnelle, la crise sanitaire risque de se muer en crise financière. Lenjeu majeur pour les mois à venir est d’éviter la faillite systémique. » alerte Dhafer Saïdane, docteur en économie et conseiller économique auprès du gouvernement tunisien. D’autant plus que « beaucoup de retraits ont été observés, ce qui risque d’entrainer un problème de disponibilité de liquidités » indique Mohammed Benjelloun, administrateur directeur général de la LCB Bank.

Par ailleurs, selon une note interne du Quai d’Orsay, les « économie de survies » pourraient être un facteur de déstabilisation économique puis de déstabilisation sociale de l’Afrique de l’Ouest. Les ménages africains qui vivent au jour le jour pourraient être les premières victimes de la crise sanitaire, surtout en cas de confinement généralisé. Les Etats doivent prendre conscience de l’urgence sanitaire et financière qui pourrait rapidement se dégrader pour devenir une crise sociale et politique, remettant en cause la stabilité de certains régimes et Etats africains.

A cela, il faut ajouter la déstabilisation des économies de rente exclusivement basées sur l’exportation de pétrole pouvant également amener à une crise politico-sociale. Toujours selon la note du CAPS, « le choc pourrait précipiter la crise finale de la rente pétrolière au Cameroun, au Gabon et au Congo-Brazzaville, là aussi au cœur des équilibres sociaux ».

Le rôle majeur de l’Etat et son action décisive dans les semaines à venir, questionne sur la priorité à donner dans la gestion de cette crise.

Des mesures de soutien

Ménages, entreprises, banques centrales ou privées : à qui doit prioritairement s’adresser l’aide financière étatique ?

Au Maroc, la Caisse Centrale de Garantie (CCG) a mis en place le 26 mars, le mécanisme « Damane Oxygène » à destination des entreprises saines impactées par la crise. « Ce nouveau produit de garantie vise la mobilisation des ressources de financement en faveur des entreprises dont la trésorerie sest dégradée à cause de la baisse de leur activité. Il couvre95% du montant du crédit et permet ainsi aux banques de mettre en place rapidement des découverts exceptionnels pour financer le besoin en fonds de roulement des entreprises cibles. » indique le ministère marocain de l’Economie, des Finances et de la Réforme de l’Administration.

L’hypothèse d’une annulation des dettes africaines portée par le président Macron est également à l’étude du G20 qui a d’ores et déjà entériné le gel du remboursement pour une année. « Nous devons aussi savoir aider nos voisins d’Afrique à lutter contre le virus plus efficacement, les aider aussi sur le plan économique en annulant massivement leur dette » précise le président français.

Pour compléter ces mesures, les banques doivent s’investir. Il s’agit en effet d’amorcer la transformation à venir afin d’éloigner le risque de faillite. « Il faut définir un « prêteur en dernier ressort », chargé de garantir la stabilité bancaire, un prêteur qui pourrait également être une organisation internationale. »

Toujours selon Dhafer Saïdane, docteur en économie, « les banques africaines doivent devenir un rouage dans l’amortissement du choc qui arrive ». Toutefois, ces mesures de soutien ponctuel doivent s’accompagner de changements structurels.

Sont également évoqués les possibilités de développer les « points cash », le e-learning et de faciliter l’accès aux banques pour le plus grand nombre en proposant l’ensemble des services bancaires en ligne ou en libre-service.

Le numérique : une réponse structurelle à une crise conjoncturelle ?

Les bénéfices du développement du numérique seraient nombreux à court terme pour des pays en proie à d’importantes difficultés. « Selon une étude, plus de 99% des transactions réalisées au Maroc seraient réalisées en liquide, ce qui représente une fois et demi le PIB du pays. L’enjeu est important puisque la numérisation de cette manne permettrait d’accroître de 0,7% le PIB du Maroc, de proposer des prêts moins chers et de réduire le coût de la dette. » explique Abdeslam Alaoui, fondateur de Hightech Payment Systems (HPS). Si la digitalisation permet de réduire drastiquement les coûts à court terme, elle permet également, à long terme de faire évoluer le système bancaire en profondeur.

« Si le numérique avait été plus développé dans le système bancaire africain on aurait eu moins de problèmes. Tous les services bancaires devraient être proposés à distance ou en libre-service. » avance Abdeslam Alaoui. « La crise du Covid-19 doit être une opportunité et un accélérateur pour la banque de détail dans une perspective de dématérialisation et de numérisation des services. » complète Dhafer Saïdane. Face à la crise, le numérique est en effet l’occasion d’amorcer une évolution structurelle du système financier africain vers un système dématérialisé et plus intégré au système mondial. Atout contre l’épidémie, il est dans le même temps une opportunité pour l’Afrique de poursuivre son développement numérique.

Vers une modification de la structure bancaire africaine

Beaucoup d’économies africaines sont des économies de rente, un facteur aggravant de la crise mais qui tend à évoluer. « L’Afrique est exportatrice de matière première à destination de pays qui prennent en charge la transformation si bien que ce sont eux qui fixent les prix. Il est de notre devoir de diversifier nos économies pour un développement sectoriel et d’envisager une transformation des matières premières sur notre continent. Le pétrole n’est pas éternel. » explique Mohammed Benjelloun. Saïdane Dhafer, lui, va plus loin et parle de fonder un business model pour une finance du futur « durable et inclusive ». Et Mohammed Benjelloun de conclure : « Après l’urgence de la crise sanitaire, la crise financière doit être une opportunité à saisir pour accélérer ces évolutions au service d’une Afrique plus développée. »