Quel modèle français de collaboration entre les start-up et les grands groupes ?

En 2018, 7 start-up françaises ont levé plus de 50 millions d’euros, contre 9 en Allemagne et 25 au Royaume-Uni. Aux États-Unis, ce sont 189 jeunes pousses qui ont levé plus de 100 millions de dollars cette même année1. Si la question du financement est cruciale, la France et l’Europe doivent également développer différentes formes de collaboration associant grands groupes, start-up et PME. Une collaboration dont le modèle reste à inventer, pour venir peser sur le marché international de l’innovation.

Par Hugo CHAMPION

L’Estonie : un écosystème favorable à l’émergence de l’innovation

L’Estonie était classé « première société numérique au monde » par le magazine américain Wired en 2017, et détient l’un des plus hauts taux européens de start-up par habitant (42 pour 100.000 habitants en 2019). Alors que « l’économie du pays était à genoux au lendemain de la dislocation de l’URSS, l’Etat estonien pouvait compter sur un nombre important d’ingénieurs qualifiés pour développer l’écosystème des start-up, qui vendent aujourd’hui des solutions dans le monde entier », explique Violaine Champetier de Ribes, co-auteure de Demain, tous Estoniens ? l’Estonie, une réponse aux GAFA, fondatrice et CEO de l’entreprise estonienne DigeeTrips. Cet Etat-nation numérique a, dès l’origine, pensé la construction de son Etat sur le modèle du numérique, façonnant « une culture inclusive du numérique », rappelle Violaine Champetier de Ribes, et d’ajouter « depuis 2000, il est inscrit dans la Constitution estonienne que l’accès à Internet est un droit humain ».

Ainsi, le pays qui ne compte pas moins de quatre licornes connaît une croissance quasi-continue depuis 1992. On parle même de l’effet Skype, vendu en 2005 à eBay pour 2,5 milliards de dollars et dont tous les anciens membres ont « réinvesti dans l’écosystème naissant, ou recréé des entreprises », ajoute Violaine Champetier de Ribes. C’est dans ce contexte qu’a été initié le programme gouvernemental Startup Estonia, visant à renforcer l’écosystème des start-up estoniennes. Ainsi, le projet CyberTech de Startup Estonia a été créée en 2017 pour coopérer au développement de l’écosystème de start-up spécialisé dans le domaine de la cybersécurité. Actuellement, « le projet fédère plus de 47 start-up dans ce domaine », souligne Marilyn Hendrikson, responsable du projet de CyberTech chez Start-up Estonia. Les objectifs du projet s’articulent notamment autour « de la sensibilisation aux opportunités du secteur, du soutien dans la création de nouvelles start-up et du maintien de la croissance des start-up existantes », souligne Marilyn Hendrikson.

Un modèle français à inventer

Différents modèles de start-up nations ont prouvé leur efficacité, notamment en Estonie ou en Israël. Copier l’un d’entre eux n’est pour autant pas la solution. De nombreux éléments – structurels, politiques, géographiques, culturels, géopolitiques etc.- creusent un fossé entre la France et ces deux pays dans lequel l’Hexagone ne devrait pas s’engouffrer. La France, qui compte aujourd’hui de nombreuses start-up et PME, porteuses d’innovation, et de grands groupes, leaders et champions internationaux dans leurs domaines, doit trouver son propre concept gagnant, en associant, fédérant et structurant les forces globales de son écosystème foisonnant. L’objectif, côté start-up est clair : gagner en notoriété et en visibilité, bénéficier de la caution d’un partenaire connu, accéder à leur marché et à de nouveaux prospects de plus grandes envergures. Aussi, incubateur, accélérateur, openlab, hackathon, prix de l’innovation… permettent aujourd’hui de les rapprocher des grands groupes.

La stratégie d’open innovation choisie par Airbus permet de tisser des « collaborations win-win », souligne Christophe Richard, co-fondateur avec Yves Chemla de United Biometrics, start-up spécialisée dans les solutions d’identifications biométriques sécurisées. Une collaboration qui « nous a permis de bénéficier de l’aide financière d’Airbus et de son réseau, essentiel pour le développement de l’entreprise », explique Christophe Richard, et d’ajouter « nous avons ainsi pu développer notre solution d’authentification forte multibiométrique et déposer des brevets, notamment aux USA ».

Station F, plus grand campus de start-up au monde épouse le modèle d’un autre type, celui de l’incubateur. Jouant un rôle essentiel dans la maturation d’un projet innovant, les incubateurs concourent à la formation d’un écosystème propice à l’émergence mais aussi au développement de start-up. A travers 21 programmes d’accélération de projets, les start-up peuvent concourir à gagner en visibilité et espérer développer leur produit pour accéder au marché français puis international.

Le financement : une problématique au cœur des enjeux du scale-up

Le financement des start-up devient problématique dès lors que le montant dépasse les 50 millions d’euros. L’enjeu aujourd’hui est de favoriser en France la transformation des start-up en PME puis ETI, et d’endiguer le basculement de celles-ci sous pavillon étranger. C’est dans cette optique qu’une série de mesures pour compléter la chaîne de financement de l’écosystème technologique français a été prise par Emmanuel Macron en septembre 2019. Ce financement institutionnel a pour objectif de garder ces start-up et PME dans le giron français et d’encourager les futures ETI à intégrer la bourse de Paris, plutôt que la Nasdaq, indice boursier américain de référence dans la Tech. « Les fonds français sont rarement capables de financer des tickets supérieurs à 30 millions d’euros. D’après France Invest, ils n’ont financé, en 2018, que deux tickets supérieurs à 30 millions d’euros et ont investi un montant compris entre 15 millions et 30 millions d’euros dans seulement neuf entreprises, pour un montant total de 271 millions », expliquait Philippe Tibi, ancien président de l’association française des marchés financiers (Amafi) et d’UBS investment bank en France, dans le rapport publié à l’issue de sa mission sur le financement des entreprises technologiques françaises.

Un choc des cultures à résorber

Souvent associée à l’agilité, la flexibilité et à des capacités d’innovation prononcées, la culture start-up peut connaître un choc dès lors qu’elle collabore avec un grand groupe. « Une start-up a deux ans pour se développer, et un grand groupe peut mettre deux ans à prendre une décision », résume Fabrice Marsella, directeur du Village by CA de Paris.

Les start-up et les grands groupes partagent le même constat, à savoir que le processus entre la prise de contact et la prise de décision est lent. Alors que 60% des start-up le pensaient en 2018, elles sont 84% en 2019. Du côté des grands groupes, 70% partageaient ce sentiment en 2018 contre 60% en 2019, selon l’enquête de Village by CA et Capgemini. Ces indicateurs illustrent une discordance sur la perception des évolutions. « Le délai entre la prise de décision et le premier contact, et le moment du paiement sont structurants pour les start-up. (…) Le décalage est une question de vie ou de mort pour la start-up, voire de rachat », confirme Seddik Jamai, en charge du Digital Financial Services & FinTech au sein de l’entité Services Financiers chez Capgemini Invent. Par ailleurs, le développement du produit de la start-up peut être limité par le grand groupe auquel elle est adossé. « C’est pourquoi Oxibox s’est adressé dès le départ au marché des PME-TPE qui représentent le gros du tissu économique français », explique François Feugeas, directeur général Oxibox et d’ajouter « ce choix nous permet d’être particulièrement libre dans la production et la conception du produit ».

S’il n’y a pas de modèle unique de collaboration, la création d’un écosystème français fort passera par des efforts concentrés sur l’adaptation des grands groupes à l’agilité des start-up, afin que celles-ci puissent développer leur produit, sans perdre leur capacité d’innovation. Par ailleurs, la dynamique collective doit également être pensée à l’échelle européenne. Renforcer l’émergence de cette équipe européenne est primordial. Alors que plusieurs pistes se dessinent pour que les partenaires européens puissent profiter davantage du marché unique européen, Frédéric Mazzella, co-fondateur de Blablacar, rappelle l’importance d’une mise en œuvre « de dispositifs de fiscalité adaptés ».

1. Baromètre du capital-risque du cabinet de conseil EY, 2018.