Financement des Start up et PME innovantes : les clés du succès et le réveil européen ?

Selon l’indice mondial 2019 de l’innovation publié chaque année par l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle1, la France occupe la 16e place mondiale et la 9e européenne. Si ce rang est honorable, d’aucuns s’inquiètent de la stagnation de notre pays en la matière. Celle-ci étant d’autant plus prégnante pour les entreprises s’occupant de nouvelles technologies, de numérique ou de défense, secteurs pourtant extrêmement porteurs. Il semblerait que la cause majeure de cet état de fait réside dans la frilosité des investissements. Comment réinventer le financement de ces entreprises pour que demain, la France et l’Europe occupent une place de choix dans le paysage mondial de l’innovation ?

Par Sarah Pineau

L’innovation en France, la « belle endormie » ?

Regardée d’un point de vue générique, l’innovation en France semble bien se porter, notamment depuis 2017 et la volonté gouvernementale affichée de faire de la France une « start up » nation : « Une start-up nation est une nation où chacun peut se dire qu’il pourra créer une startup. Je veux que la France en soit une» déclarait le président de la République, Emmanuel Macron, en mars 2017.Cet engagement a coïncidé avec une période de forte accélération pour l’écosystème des start-up en France. Een témoigne l’inauguration de la Station F en juin 2017 par le candidat devenu président, méga incubateur parisien dont le succès ne se dément pas. Plus de 1000 start-up sont accompagnées chaque année pour plus de 11 000 candidatures reçues depuis l’ouverture pour rejoindre l’un des programmes d’accélération du méga-campus. Côté financement, au cours de sa deuxième année, Station F a également vu ses start-up lever 317 millions de dollars, contre 250 millions de dollars lors de l’année de lancement2. Par ailleurs, côté dépôt de brevets, la France reste le deuxième pays déposeur en Europe, derrière l’Allemagne, et le 4e dans le monde, derrière les USA, l’Allemagne et le Japon. Enfin, l’île-de-France est la région la plus innovante d’Europe, après la Bavière3.

Néanmoins, si l’innovation est bel et bien dynamique en France, d’autres indicateurs invitent à voir le verre à moitié vide, notamment dans les secteurs défense, sécurité et numérique. En dépit d’un potentiel important dans les « deep tech4 » du fait d’un vivier de talents et de centres de recherche dynamiques, la France accuse un retard certain en termes d’investissements et peine, de fait, à assurer une croissance solide de ces innovations ainsi que leur passage à l’échelle. Aussi, alors que la France représente plus d’un quart des start-up deep tech en Europe, les deep techs françaises en photonique et électroniques ne concentrent que 5 % des investissements, celles des biotechnologies 2 %, et à peine 1 % pour les drones, la robotique ou la blockchain….

De même, bien qu’à l’étranger la qualité académique française et celle des publications scientifiques – avantages non négligeables dans l’innovation – soit saluée, Yann-Maël Larher, expert de l’Institut Sapiens, estime cependant que le pays est handicapé par la lourdeur de ses institutions et souffre d’un cloisonnement des disciplines… Pourtant, l’avenir est clairement à la fertilisation croisée, terme désignant les aller-retour entre recherche universitaire et entreprises : « Les entreprises ont besoin de personnes à l’esprit vif, autonomes, aux qualités communicationnelles réelles et capables de comprendre rapidement une thématique ou des enjeux émergents5 ». Repenser l’intégration de la recherche et de ceux qui la font -doctorants – dans toutes les entreprises, en la voyant comme un investissement et non comme un coût doit donc être une priorité.

Présente mais limitée en croissance, l’innovation en France peut être qualifiée de « belle endormie ». Faiblesses de financement et lourdeurs institutionnelles sont les principaux obstacles à son réveil. Quelles pistes dès lors pour assurer, demain, la croissance et la compétitivité des entreprises innovantes ?

Le prince charmant de l’innovation ? Le financement !

La question du financement des start-up et PME innovantes en matière de défense, sécurité et numérique est complexe. En effet, les dispositifs publics de financement sont nombreux en France, souvent plus qu’ailleurs. De manière très générique on trouve le Crédit Impôt Recherche, plus spécialisées sont les solutions Astrid et Rapid6 proposées par le ministère des Armées pour soutenir l’innovation dans les PME, sans oublier Definvest et Definnov fonds d’investissements de BPI France destinés aux entreprises stratégiques de Défense. Le groupe Glémot par exemple – entreprise familiale qui fabrique des produits haut de gamme pour des marché de niche – a vu Definvest entrer à son capital en février 2019. R. Glémot son président en est très satisfait : « quand je suis allé voir des financeurs privés, on m’a parlé « rendement ». Avec Definvest on a parlé  « projet ». L’entrée au capital de Definvest me permet de sécuriser mon entreprise sur le long terme ». Sans oublier le gain en crédibilité auprès des grands donneurs d’ordre : « malgré le Pacte Défense PME, les grandes entreprises sont encore parfois frileuses à notre égard. Le soutien de BPI nous permet de combler auprès d’elles un déficit de légitimité ». En revanche, concernant l’opportunité du CIR pour les PME / ETI, l’adéquation est moins évidente : « le problème du CIR est que vous n’êtes pas à l’abri d’un redressement fiscal. Or, une grande entreprise a les moyens juridiques de répondre, les PME /ETI non. Donc elles préfèrent ne pas y avoir recours ».

En revanche, côté financement privé la France est moins bien lotie : le capital-risque structuré pour répondre aux problématiques spécifiques de ces technologies est presque inexistant. Gilles Daguet, Managing Partner d’ACE Management, filiale de Tikehau Capital, groupe de gestion d’actifs alternatifs et d’investissement le constate : « Notre expérience de plus de 25 ans dans l’investissement des entreprises de défense et de sécurité nous a permis d’anticiper l’importance du sujet cyber pour l’économie. Nous sommes ainsi le seul fonds français dédié à la cyber sécurité et le plus important en Europe continentale » souligne Gilles Daguet et de poursuivre « le marché de la cyber est hyperdynamique en France et a fortiori en Europe. De plus, en France nous avons la chance d’avoir une école de mathématique d’excellent niveau ce qui permet d’avoir un important vivier de start-up. Autant d’atouts dont il était intéressant de tirer profit ». Confiant dans l’avenir, Gilles Daguet explique « Il y a en France des outils pour le financement d’amorçage, d’une part, et pour des besoins qui vont jusqu’à 20 millions d’euros d’autre part. En revanche, dès que l’on dépasse ces montants les chefs d’entreprise ont tendance à se tourner vers les USA où l’offre de capitaux est plus abondante. Or dans la sécurité, la défense et le numérique, les innovations dépassent souvent ce montant. Raison pour laquelle sous l’impulsion présidentielle et dans le sillage du rapport de l’économiste Philippe Tibi, un consortium d’investisseurs institutionnels français (assureurs, bancassureurs, mutualistes ou encore fonds de retraite) s’est engagé à investir davantage dans la tech : 5 milliards d’euros sur 3 ans. Ceci va permettre de financer les start-up pour leur phase d’hypercroissance. » Si la croissance du financement de l’innovation par les fonds privés aux côtés des dispositifs publics est une excellente nouvelle, la question de la coordination des efforts reste entière pour ces entreprises qui s’occupent, à divers degrés, de sécurité nationale et donc, in fine, d’intérêt général. C’est la raison pour laquelle Claude Tarlet, président de la Fédération Française de Sécurité Privée qui regroupe 30 000 entreprises et 300 000 salariés appelle de ses vœux la création d’un fonds structurant et souverain. « L’objectif de cet outil ne serait pas de remplacer les fonds existants ou de gérer l’argent à leur place. Il agirait simplement comme un outil de centralisation et de coordination de toutes les aides / possibilités de financement existantes. Un tel fonds soutiendrait l’émergence d’un écosystème cohérent d’entreprises innovantes et permettrait d’orienter efficacement les choix stratégiques à la fois de ces entreprises et du pays ».

Enfin, si les perspectives pour le financement de l’innovation en France semblent plutôt prometteuses, envisager la situation sous le prisme européen est plus délicat. Compte tenu du sujet des entreprises visées, la souveraineté des investissements qui les concernent est un enjeu majeur, davantage pour l’heure que l’horizon européen. Comme le souligne Claude Tarlet « La vision européenne est encore à construire ». Et la France peut largement y contribuer, l’une des recommandations du rapport Tibi étant de faire de Paris le Nasdaq européen, un marché boursier spécialisé dans les valeurs technologiques.

1
OMPI, « Indice mondial de l’innovation » 24.07.2019, [En ligne], [Disponible], https://www.wipo.int/pressroom/fr/articles/2019/article_0008.html

2
FABRION M., « Deux ans après son ouverture, quel bilan pour Station F ? », frenchweb.fr, juin 2019, https://www.frenchweb.fr/decode-deux-ans-apres-son-ouverture-quel-bilan-pour-station-f/364922

3
TASSART B ., « Economie, la France toujours championne de l’innovation », rtl.fr, [En ligne], 13.03.2019, URL : https://www.rtl.fr/actu/conso/economie-la-france-toujours-championne-de-l-innovation-7797193323,

4
selon la définition de Bpifrance ce secteur rassemble des startups qui « proposent des produits ou des services sur la base d’innovations de rupture. (…) Aujourd’hui, elle se concentre principalement sur les logiciels, le matériel informatique et la biologie. »

5
LAHRER YM., « Le modèle d’innovation français est-il obsolète ? », Tribune, 05.09.2019, les Echos, [En ligne], URL : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/le-modele-dinnovation-francais-est-il-obsolete-1122333

6
ASTRID : Accompagnement Spécifique des Travaux de Recherche et d’Innovation Défense, RAPID : Régime d’Appui à l’Innovation Duale