L’administration publique africaine à l’épreuve du numérique en temps de crise sanitaire

Alors que le Covid-19 commence à se propager dans l’ensemble des Etats africains, la continuité des services en temps de crise est primordiale pour limiter les effets du virus sur les populations. La crise sanitaire représente l’occasion d’accélérer le développement numérique du continent. Dans la plupart des domaines, le numérique s’est montré indispensable voire salvateur, notamment dans la gestion des hôpitaux, la pérennisation des emplois pouvant se faire en télétravail, dans la continuité de l’enseignement à distance des élèves, etc. Mais bien des carences en matière de développement numérique persistes. L’Alliance Smart Africa qui réunit 30 Etats africains a fait de sa vocation celle d’accélérer la transformation numérique du continent.

Par Hugo Champion

Le numérique assure la continuité des services de l’Etat

La pandémie du Covid-19 met à mal les services des Etats alors que les pays comme l’Estonie, dont l’administration est à 100% dématérialisée, ne connaissent pas d’interruption. « Le succès de la gestion de la pandémie va dépendre de la préparation du pays par rapport au numérique », souligne Lacina Koné, directeur général de Smart Africa. Et d’ajouter : « Les pays africains qui assurent une continuité des services de l’Etat et du gouvernement seront ceux qui réussiront leur gestion de crise ». Une réponse rapide et efficace doit être apportée aux Etats africains qui connaissent des systèmes de santé plus fragiles, une prolifération de l’économie informelle et une surpopulation urbaine. C’est pourquoi l’Alliance Smart Africa a lancé un appel à projet « urgent » pour trouver des solutions numériques pour les gouvernements afin de lutter contre la pandémie du COVID-19 en Afrique. L’Alliance soutiendra alors des projets de services de santé numériques qui auront pour objectifs d’évaluer le risque individuel et guider la prise de décision, d’aider les populations à trouver des sites de test à proximité, de fournir des mises à jour et des alertes fiables auprès des autorités de santé publique, et de suivre et signaler les transmissions.

La continuité des services s’illustre également en Côte d’Ivoire qui dispose d’outils digitaux ayant notamment permis au conseil des ministres de se tenir. « En termes de leadership, d’engagement et de conduite du changement, c’est un atout majeur qui va changer la donne pour l’après-Covid », souligne Luther Kouassi, Chef de Département Etudes de l’ANSUT, acteur du secteur des télécommunications-TIC en Côte d’Ivoire.

Au Maroc, l’Agence du développement digital (ADD), chargée de réaliser la stratégie de l’Etat en matière de développement du numérique a mis en place plusieurs dispositifs à destination des administrations, notamment le bureau d’ordre digital, le guichet électronique des courriers et le parapheur électronique. Ces mesures, et notamment le bureau d’ordre digital, permettent aux citoyens, entreprises, administrations et organismes publics de déposer leurs courriers aux administrations concernées avec un accusé de réception.

La crise sanitaire accélère l’innovation

Les Etats africains font appels au savoir-faire des start-up du continent qui se mobilisent dans la lutte contre la pandémie. L’APEBI (Fédération marocaine des technologies de l’information, des télécommunications et de l’offshoring) a ainsi lancé dès le 21 mars l’appel à projets innovants HackCovid qui a rapidement enregistré plus de 100 candidatures spontanées, issues de start-up, de TPE, PME, de groupes d’étudiants, d’écoles, d’universités, d’acteurs associatifs, etc. Xhumanisa, un collectif de partenaires qui accompagne le changement de l’écosystème de la santé connectée en Afrique et dans le monde a mis en place une caravane de l’innovation MySafeChain basée sur la blockchain qui va œuvrer à la traçabilité et la sérialisation des médicaments. Depuis le Cameroun, Emmanuel Assom, fondateur de la start-up Asta, a développé l’application OuiCare qui permet aux patients de disposer de leurs données personnelles et aux médecins d’accéder rapidement au dossier médical du malade pour une meilleure prise de décision. « Après le décès de mon père, j’ai découvert que la majeure partie des décès en Afrique Subsaharienne était due à l’absence d’historiques médicaux des patients qui entrave grandement leur prise en charge. Seulement 35% de la population d’Afrique subsaharienne a accès aux institutions de santé modernes. C’est inacceptable ! C’est donc pour répondre à ces problèmes que mon équipe et moi avons choisi de concevoir la solution OuiCare », explique le jeune entrepreneur.

L’accélération de la maturité digitale

« L’Afrique est sur le point d’accéder à une nouvelle ère économique prometteuse », annonce l’essayiste américaine Jeremy Rifkin. En effet, les bénéfices liés à la création d’une « Afrique digitale » constitue un potentiel de transformation réel et considérable pour le continent dont la moitié de la population en 2050 devrait avoir moins de 25 ans et où 70% de l’économie est informelle. « La seule chose qui inquiète la population africaine et notamment subsaharienne aujourd’hui sont les transactions monétaires », explique Lacina Koné. Pour palier à cette problématique, les opérateurs de téléphonie mobile ont remis à zéro les frais de paiements mobiles. La crise sanitaire accélère et favorise l’utilisation des outils numériques. En Côte d’Ivoire, l’initiative du gouvernement de mettre en place des caravanes nationales « jeunesse numérique » visent à former les citoyens au numérique. « Les citoyens découvrent que le digital peut permettre de dynamiser l’activité et de gagner en visibilité en termes de vie socio-économique », souligne Luther Kouassi. Ces indicateurs et ces initiatives montrent que la transformation numérique est en bonne voie. Néanmoins, « aujourd’hui, l’expression s’adapter ou disparaître est encore plus vraie que jamais. En Afrique, il y a des Etats qui étaient prêts quant à la transformation numérique mais à différents niveaux de dématérialisation. Le challenge est aujourd’hui à tous les niveaux : cybersécurité, connectivité, équipements intelligents, renforcement de capacités, etc. », résume Lacina Koné.

De nombreux défis attendent le continent africain. Pour y répondre, Liliane Massala, secrétaire générale au ministère de l’économie numérique du Gabon invite Smart Africa à réfléchir la mise en place d’une plateforme africaine pour permettre à tous les pays africains d’accélérer la transformation numérique.