La Francophonie : un nouvel outil de puissance ?

« Edifier un Commonwealth à la française » c’est la vision qu’entretenait Léopold Sedar Senghor, ministre français et premier président de la République du Sénégal, vis-à-vis de la Francophonie. 5e langue mondiale, 300 millions de locuteurs, parlée sur les cinq continents, la langue française est teintée d’universel. Alors que l’Organisation Internationale de la Francophonie s’illustre comme un bel exemple de coopération, à l’occasion des 50 ans de la création de l’organisation, retour sur les enjeux de la francophonie.

Par Simon DOUAGLIN

Le soft power à la française : un outil à valoriser

La langue française est la langue officielle de 32 Etats et gouvernements, pourtant sans politique active de la part de la France, l’espace francophone pourrait rapidement être dépassé par les espaces arabophone, hispanophone ou encore lusophone.

« La plupart des universités américaines créent et financent sans laide de la France des départements de littérature française et d’études francophones. » constate Alain Mabanckou, écrivain franco-congolais. Le défi pour la France est donc de promouvoir la langue et la culture française dans une perspective stratégique. « L’effacement progressif des frontières nationales impose dautres critères dappartenance identitaire. La langue et la culture constituent en effet la nouvelle géographie. » témoigne le rapport Attali remis au Président Hollande en 2014.

L’espace géolinguistique économique de la francophonie inclut ainsi les pays francophones non membres de l’OIF (Algérie) ; les pays où une proportion de la population parle le français (Israël) ou encore les pays dits « francophiles » qui ont un intérêt économique à apprendre le français, à l’image du Nigéria afin de « renforcer son autorité sur une sous-région majoritairement francophone ».

Il inclut également les diasporas francophones, les réseaux d’anciens élèves de l’enseignement français. A cela s’ajoutent les 50 millions d’apprenants du français comme langue étrangère à travers le monde, ainsi qu’une élite de plusieurs milliers d’« influenceurs francophilophones ». Autant de pays qui pourraient devenir, à terme, des relais d’influence de la France dans le monde, propres à soutenir les intérêts économiques, diplomatiques et militaires de notre pays sur les cinq continents.

Entre économie et politique : un outil stratégique sous-exploité

La francophonie, actuellement 6e espace géopolitique par sa population pourrait passer en 4e position à horizon 2050. Pour y parvenir et enrayer un possible recul de l’espace francophone, miser sur le développement économique est une nécessité. « Au total, lensemble des pays francophones et francophiles représente 16 % du PIB mondial, avec un taux de croissance moyen de 7 %, et près de 14 % des réserves mondiales de ressources minières et énergétiques, alors que les francophones ne représentent encore que 4 % de la population mondiale. » développe le rapport Attali, qui encourage l’accroissement de ces échanges. Deux pays partageant des liens linguistiques tendent en effet « à échanger environ 65 % plus que sils nen avaient pas. » Les échanges commerciaux induits par le partage du français entre une trentaine de pays francophones sont à l’origine de 6 % de la richesse par habitant en moyenne pour ces pays et de 0,2 point de taux d’emploi. « En France, lappartenance à cet espace francophone a engendré un gain de 710 euros par habitant en 2006 et une réduction de 28 600 du nombre de chômeurs. » précise le rapport.

Face aux deux blocs que représentent les Etats-Unis et la Chine, la francophonie pourrait alors dessiner une troisième voie. « Bien que les pays membres de la francophonie ne partagent pas toujours les mêmes intérêts politiques, beaucoup pourraient voir dans la francophonie un complément crédible de coopération face à l’affrontement de la Chine et des Etats-Unis. » explique Thierry de Montbrial, président-fondateur de l’IFRI. « Le moment est propice pour faire évoluer l’OIF en profondeur à l’heure des doutes qu’entretiennent beaucoup de pays dans leurs rapports aux Etats-Unis » souligne Thierry de Montbrial et d’ajouter : « Beaucoup de choses restent encore à construire, mais la nomination de Louise Mushikiwabo devrait apporter une impulsion positive à l’organisation. »

Le rapport Attali présente alors 3 évolutions majeures qui pourraient accélérer la croissance économique des pays francophones d’ici à 2050 : le nombre de francophones atteindra 770 millions ; le besoin en infrastructures pourrait porter la croissance des pays francophilophones et le développement des nouvelles technologies pourrait accélérer leur développement (paiement mobile, e-santé, big data, etc.)

Cependant, faute d’un effort majeur, on pourrait assister à un recul de l’espace francophilophone. Un déclin qui entraînerait une perte de parts de marché pour les entreprises françaises, un effondrement du droit continental au profit du droit anglo-saxon des affaires, ainsi qu’une perte d’attractivité pour les universités, la culture et les produits français et en français. « Cela entraînerait la destruction de 120 000 emplois en France dès 2020, soit 0,5 points de chômage en plus, et un demi-million en 2050, soit 1,5 points de chômage en plus. » selon le rapport Attali.

La francophonie : néo-colonialisme ou espace d’entraide ?

Héritée de la période coloniale, l’organisation de la francophonie est empreinte de critique vis-à-vis de l’influence française, en Afrique notamment. L’exploitation des ressources économiques, la mainmise financière ou encore les nombreuses installations européennes sont la cible des critiques de la part des mouvements anti-colonialistes. Les liens économiques qui lient l’Europe et l’Afrique peuvent questionner. A t-on à faire à des échanges « gagnant-gagnant » comme le prône les partisans de l’organisation ou plutôt à la théorie de « l’échange inégal » comme le prétendent les nouveaux mouvements anti-coloniaux ? « La Francophonie est malheureusement encore perçue comme la continuation de la politique étrangère de la France dans ses anciennes colonies. » déplore Alain Mabanckou dans une lettre ouverte adressée au Président de la République, Emmanuel Macron. Nombre de reproches sont en effet adressés à la France soulignant une relative complaisance envers des régimes autoritaires. « […] le grand reproche quon adresse à la francophonie institutionnelleest quelle na jamais pointé du doigt en Afrique les régimes autocratiques, les élections truquées, le manque de liberté d’expression, tout cela orchestré par des monarques qui sexpriment et assujettissent leurs populations en français […] ».

Des propos nuancés par Thierry de Montbrial qui constate que« Le risque de néo-colonialisme nest pas du côté de la francophonie mais plutôt de la Chine ou dautres puissances prédatricesqui cherchent à s’accaparer les richesses du continent. » et de poursuivre « Il faut parvenir à dépasser le discours sur la colonisation afin de valoriser ce bien commun, qui a été enrichi par chaque peuple francophone comme au Rwanda, au Sénégal ou encore en Côte d’Ivoire, pour en faire un véritable atout. »

Quel avenir pour la francophonie ?

Parmi les grands défis de demain, la programmation quadriennale de l’OIF 2019-2022 affiche ses ambitions au service de l’égalité homme/femme, le soutient à la jeunesse, l’aide au développement du numérique et la protection de l’environnement.

La mission de valorisation de l’emploi des jeunes et des femmes bénéficie d’un budget de 2 366 000 € réparti entre 2019 et 2022 afin de favoriser une croissance « durable et équitable » avec pour cible principale les activités économiques innovantes et productives dans les secteurs à forte valeur ajoutée. « Certaines actions du programme cibleront en particulier les PME disposant dun fort potentiel de croissance, de création de richesse et demplois, opérant dans un secteur d’intérêt national et ayant un fort impact économique et social. » précise la programmation quadriennale.

Le développement de l’égalité homme-femme au sein des pays membres se traduit par un accompagnement de l’éducation des plus jeunes. « La France a souvent joué un rôle d’avant-garde et la francophonie est un moyen de poursuivre ces avancées. » souligne Thierry de Montbrial. Il s’agit donc de « faire en sorte que filles et garçons suivent, sur un pied d’égalité, un cycle complet denseignement primaire et secondaire gratuit et de qualité, qui débouche sur un apprentissage véritablement utile » décrit le plan quadriennal de l’OIF.

Autre défi et non des moindres, l’accompagnement des pays membres dans les grandes transformations du numérique. « […] l’OIF joue un rôle de catalyseur et de facilitateur de la transformation numérique pour les pays francophones en développement, notamment en développant les capacités de création de ressources et les services numériques endogènes. » et ce dans le but« [d’]accroître nettement laccès aux technologies de linformation et de la communication et faire en sorte que tous les habitants des pays les moins avancés aient accès à Internet à un coût abordable dici à 2020 ».

Une politique économique francophilophone pourrait créer ou maintenir 360 000 emplois en France, et autour d’un million en 2050.

La France a vocation à être un acteur majeur au sein de deux zones intégrées : l’Union européenne et le monde francophone.« Il s’agit d’un enjeu stratégique pour une France forte sur la scène internationale. » rappelle le rapport Attali.

Appartenir pleinement à une union francophone et soutenir la diffusion de la langue française dans le monde est moteur de croissance durable et de création d’emplois pour la France et pour les autres pays francophones. Négliger cette dimension linguistique identitaire, c’est prendre le risque de sortir du jeu de l’économie mondiale, sur les terrains du numérique, de la recherche et des échanges.

Partageant ainsi une langue et des valeurs communes, le développement progressif d’une organisation multilatérale s’appuyant sur une coopération thématique, représente une perspective d’évolution pour l’OIF. La coopération en matière de sécurité pourrait ainsi prendre plus d’ampleur, et Thierry de Montbrial d’interroger : « La sécurité étant liée à la défense d’une identité, peut-on parler d’une identité francophone ? »