Seule la solidarité internationale sauvera l’humanité

Le continent africain fait face à de multiples menaces parmi lesquelles l’extrémisme violent, la criminalité transnationale, l’insécurité maritime, le problème de gouvernance des espaces et des ressources ou encore la cybercriminalité.

A cela vient s’ajouter la crise sanitaire, économique et humaine du COVID-19 dont aucun continent ne sortira vainqueur seul.

Dans l’adversité, c’est un renouveau de la coopération internationale, le renforcement d’une solidarité capable de servir les intérêts de l’humanité et la concrétisation d’une véritable politique de paix qui sont inexorablement attendus pour pouvoir affronter le futur.

Rencontre avec le Général Amadou Anta Guèye, Directeur-général du Centre des Hautes Etudes de Défense et de Sécurité (CHEDS) – Sénégal

Enjeux de sécurité et de paix

Face à la montée de l’extrémisme violent et des groupes armés qui sévissent sur l’ensemble du continent, c’est un travail de concertation impliquant tous les acteurs ; de sensibilisation des forces de défense et de sécurité sur leur fonction essentielle de protection des populations et des devoirs qui leur incombent, qui permettra de recréer un dialogue, un lien de confiance entre les forces des Etats et la population. Cela s’entend dans les Etats de droit, qui ne sont pas à l’origine des violences nationales, avec lesquels nous travaillons activement. Pour instaurer cette confiance, le recrutement au sein des forces doit être universel, et nous devons délivrer une formation adaptée aux objectifs de protection de la population. Dans cette perspective, nous avons lancé avec nos partenaires Suisses, le Département Fédéral des Affaires Etrangères (DFAE) et le Centre pour le Contrôle Démocratique des Forces Armées (DCAF) un projet mené dans plusieurs Etats, comme le Niger, le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Togo, la Centre-Afrique, le Burkina Faso et bien entendu, le Sénégal pour recueillir les doctrines qui encadrent l’action des forces de défense et de sécurité avec un socle légal et juridique intégrant notamment la condition essentielle du respect des droits de l’homme.

S’agissant de la gestion des espaces et des ressources naturelles, nous avons la nécessité de repenser, une fois encore, nos modèles. Posséder des ressources naturelles devrait être apprécié comme une opportunité et non comme un facteur potentiel de conflit par la population. Lorsque nous avons découvert du pétrole entre le Sénégal et la Mauritanie, la population a exprimé sa peur. En effet, ces richesses sont l’objet de telles convoitises qu’elles font craindre le pire. Les Etats ont une grande responsabilité. Ils doivent assurer une sécurité sur des zones isolées et s’engager à mener une exploitation et une gestion transparente des ces ressources qui appartiennent à la nation entière y compris aux les générations futures.

Cela contribuera à l’émergence de ce climat de confiance, de projets collectifs au bénéfice de la population qui pourra alors mesurer concrètement les avancées dont elle a pu directement bénéficier. C’est en instaurant un cercle vertueux de cet acabit que nous pourrons réellement inverser la tendance et enfin créer les conditions d’un futur prometteur pour tous les Africains.

La sécurité numérique doit enfin être une priorité pour notre continent. Elle contribue fortement au PIB et selon la Commission Economique pour l’Afrique des Nations Unies, 300 milliards de dollars seront générés dans ce domaine d’ici à 2025.

Il s’agit donc d’un moteur incontournable au service de l’économie et de la sécurité puisque la cybercriminalité investit le champ numérique mondial. Nous devons donc mettre en place une stratégie associant la formation des jeunes, l’appropriation de cette nouvelle technologie, l’instauration d’accords et de conventions de coopération entre Etats africains et enfin l’harmonisation de la règlementation en matière de lutte contre la cybercriminalité.

C’est dans le but de répondre à l’ensemble de ces objectifs que nous avons lancé au sein du CHEDS plusieurs actions dont nous espérons que les résultats et les objectifs soient remplis d’ici à la fin de l’année 2020. Nous travaillons à l’élaboration d’une stratégie de sécurité nationale pour le Sénégal sur les directives du Président de la république, Son Excellence Macky Sall, qui s’inscrit dans une démarche holistique. Notre dimension interministérielle et interdisciplinaire nous amène à dispenser une formation d’excellence destinée à nos auditeurs composés pour l’essentiel de hauts fonctionnaires civils et des forces de défense et de sécurité (FDS). Nous projetons d’effectuer des recherches dans la zone aurifère à l’Est du pays pour dresser un état des lieux afin de mesurer l’impact sécuritaire des activités d’exploitation de l’or dans cette zone en vue de préconiser des mesures pour enrayer le développement des menaces identifiées.

Multilatéralisme en souffrance

Les Etats africains comptent grandement sur la coopération internationale notamment avec l’Occident pour préserver la paix et la stabilité. Au-delà de l’aspect financier, ces besoins concernent l’équipement des forces de défense et de sécurité, l’acquisition de savoir-faire, notamment dans la lutte contre la cybercriminalité. La surveillance de nos frontières constitue aussi un domaine prioritaire du fait de leur porosité. Une approche multilatérale impliquant de travailler de façon collective est essentielle. Pour autant, nous voyons certains de nos partenaires privilégier le bilatéralisme. Cette évolution est inquiétante car le multilatéralisme permettait de rassembler toute la communauté internationale autour des problèmes du continent et de les régler de façon efficace, alors que le bilatéralisme débouche plus sur la juxtaposition des forces et des moyens, comme nous pouvons le constater, par exemple, au Mali.

La crise que nous traversons trouvera sa solution dans la collaboration à travers une politique de paix et non une politique de puissance comme c’est actuellement le cas.

Ces politiques se traduisent par un traitement des conflits à deux vitesses dans le monde. Ce manque criant de coordination des acteurs internationaux, cette désorganisation profite alors à nos ennemis communs, les groupes armés et extrémistes.

Mais il faut aussi reconnaître que les Etats africains ont leur part de responsabilité. Nous devons nous interroger sur le mécanisme de déploiement de nos actions et nous assurer que nous avons mis en œuvre tout ce qui était en notre pouvoir pour assurer la sécurité et la paix à la population avant d’attendre une aide et appeler à l’exemplarité des puissances étrangères qui viennent, pour certaines, évidemment servir leurs intérêts sur notre continent comme ailleurs… « Les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts » disait le Général de Gaulle.

Crise COVID-19

Nous sommes inquiets, bien entendu, quand nous voyons les pays les plus développés, industrialisés, les puissances mondiales disposant de nombreuses capacités de résilience, d’un système de santé à la pointe, si durement touchés.

Pour l’heure, au Sénégal, nous avons réagi vite en prenant des mesures hardies comme la fermeture des frontières. Le gouvernement sénégalais a également agit au plan financier pour limiter les conséquences économiques néfastes de la crise. Le résultat d’un confinement à Dakar ne serait pas le même qu’à New York, Paris ou Berlin. C’est donc la sensibilisation et l’état d’urgence qui doivent nous permettre de freiner la propagation de l’épidémie.

La sensibilisation de la population aux gestes barrières est essentielle, elle est notre carte de survie tout comme l’aide alimentaire que nous avons déployée auprès des plus démunis. Nous restons en alerte. Le pic de l’épidémie est attendu pour le mois de juin en Afrique selon les experts scientifiques.

Sur le plan économique, notre état d’esprit est le même, combatif et lucide. La fragilité du continent africain pourrait être mise à rude épreuve, une nouvelle fois. Cette catastrophe pourrait plonger des millions de personnes dans la plus grande précarité et misère. Nous savons que cela aura des répercutions sécuritaires majeures faisant tout à la fois les affaires des groupes armés et extrémistes mais qui pourraient aussi conduire à un soulèvement citoyen sans précédent, avec des émeutes sanglantes… La responsabilité politique à ce stade est majeure. Nous avons l’obligation de nous interroger dès à présent, d’anticiper et de penser les mesures à mettre en place pour éviter ce scénario fatal !

Ainsi, le chef de l’Etat sénégalais a souhaité constituer, autour du CHEDS, une mission s’appuyant sur un groupe de réflexion dédié à la crise du COVID-19 avec l’ensemble des personnes qui travaille sur la crise sanitaire et économique au Sénégal et dans le monde. Elle aura la responsabilité de tirer les enseignements de cette crise, et de sa gestion pour permettre de dessiner des outils, de construire des systèmes de santé résilients, et bien plus encore, afin assurer l’avenir de nos populations et des générations futures.

Coopération réincarnée

Nous devons renforcer les axes de coopération et appeler à l’unité internationale : « Le temps n’est pas aux divisions ou aux querelles politiques, mais bien à l’unité et à la coopération. » soulignait très justement le 15 avril dernier, le Président de la République française, Emmanuel Macron.

Les structures de coopération déjà existantes en Afrique doivent être renforcées. L’architecture africaine de paix et de sécurité, le conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine montrent les premiers efforts d’une coopération continentale, en théorie. En pratique, les actions sont compliquées compte tenu du manque de ressources, de moyens et de capacités pour résorber les problèmes d’ordre national. Difficile dans une telle situation d’appeler à la mobilisation pour survenir aux problèmes continentaux. La coopération avec l’Union européenne est aussi très avancée. Mais je crois que nous devons revoir nos modèles de coopération, nos mécanismes afin de faire émerger des armées républicaines, structurées et formées pour être en capacité de répondre et de réagir lorsque cela est nécessaire.

Il nous faut redéfinir nos objectifs et conduire des missions en intégrant une finalité commune: encourager la participation populaire, le développement au profit de la population, pour amener la sécurité et la paix durable sur le continent.

« Faire taire les armes en Afrique n’est pas un choix mais c’est une nécessité absolue », déclarait en octobre 2019, la Conseillère spéciale des Nations Unies sur l’Afrique, Bience Gawanas.

La détermination de l’Union africaine à débarrasser l’Afrique des conflits et à « faire taire les armes » est absolument essentielle. Bien que nous n’ayons pas relevé le défi de 2020, et que nous en soyons loin, cette vision, cet objectif sont les bons et c’est en ce sens que nous devons poursuivre notre action. Nous devons enfin nous appuyer sur la jeunesse pour lutter contre les menaces à la paix et à la sécurité.

Solidarité toujours

Le monde est en crise. Le virus ne connaît pas de frontières. Aucune région du monde ne peut l’emporter seule dans la lutte contre le COVID-19. « Seule une victoire totale, incluant pleinement l’Afrique, pourra venir à bout de cette pandémie. » ajoutait Emmanuel Macron. La gestion de cette crise appelle une réponse internationale forte, guidée par un impératif de solidarité et de responsabilité partagée.

Tous dépendants et interconnectés, nous sommes aussi tous vulnérables ! Cette crise sanitaire nous rappelle que toutes les technologies du monde, bien qu’utiles, ne peuvent pas tout. L’humain est tout à la fois la seule richesse face à cette crise, et finalement bien peu de choses quand la nature frappe… Nous devons donc nous interroger sur nos actions, nos priorités… et sans aucun doute penser une réponse qui sert les intérêts de l’humanité.

Réussir à combattre la violence pour que l’Afrique aille de l’avant doit être un combat qui nous unit. Nous devrons sortir de cette épreuve plus fort et alliés plus que jamais, pour retrouver notre liberté. Nous pourrons alors construire un continent prospère doté d’une bonne gouvernance, respectueux des droits de l’homme, encourageant la participation populaire, le développement et la paix !