De la guerre à la paix : les femmes kurdes prennent leur destin en main

Le peuple kurde, connu pour ses revendications indépendantistes, s’est particulièrement illustré dans la lutte contre Daech. La prise de Raqqa en 2017, capitale de Daech, en a été le symbole. Au coeur de cette lutte, les femmes occupent une place depuis toujours. En soutien au combattants ou armes à la main, elles ont décidé de s’imposer comme un recours face à l’obscurantisme de Daech afin de refonder, sur les cendres du Califat, une société pacifique et paritaire.

Au coeur du chaos, les femmes de la paix sont sur tous les fronts et pensent à l’avenir.

Par Simon DOUAGLIN

Les femmes combattantes en première ligne

Par les armes ou non, les femmes kurdes ont de tous temps pris part au combat. Participant aux soins des blessés, ou à l’approvisionnement des forces engagées, certaines ont choisis de prendre les armes. Dans les années 60, Margaret George Shello, peshmerga chrétienne surnommée la « mère du Kurdistan » s’est illustrée dans le combat face au gouvernement irakien. Gülnaz Karatas, est elle devenue une icône de la lutte féministe des kurdes en se jetant d’une falaise pour éviter d’être capturée…

Dans leur sillage, des femmes combattantes du Rojava, région autonome syrienne, prennent part au combat aux côtés des hommes. D’abord intégrées aux unités masculines (YPG), des unités féminines ont, par la suite, été instituées telles que les « unités de défense de la femme » (YPJ). « Les combats qui ont lieu sont de l’ordre de la guérilla, ils ne nécessitent pas une force physique particulière » affirme Sandrine Alexie de l’Institut kurde de Paris. « Les femmes remplissent donc les mêmes missions que les hommes. Elles ont même la réputation de faire de meilleurs snipers parce qu’elles seraient plus patientes. »1

Au-delà de leur habilité au combat, les femmes kurdes ont un impact mental puissant sur les combattants de Daech. Ceux-ci redoutent en effet la mort reçue des mains d’une femme, le supplice ultime. Contre Daech, les femmes kurdes sont donc une arme de terreur qui s’accompagne d’une communication de grande ampleur, propre à façonner la légende.

Des combats et un engagement mis en lumière par de nombreux artistes. La chanson « Revolution » interprétée par la chanteuse kurde Helly Luv présente, dans son clip, le combat des femmes kurdes contre l’Etat islamique en arborant le slogan « stop the violence » au son de « Brothers and sisters we all come from one ». Une marnière populaire de promouvoir l’action engagée des combattantes au service de la reconstruction d’une société d’après-guerre plus pacifique et égalitaire.

Une reconstruction difficile

La fin des combats signifie un retour à la vie civile pour ces femmes qui doivent alors se confronter à de nouveaux enjeux quotidiens.

Un retour souvent synonyme de précarité pour ces femmes qui ont pourtant acquis une légitimité au combat. « Au delà de la question du combat armé et de l’image hollywoodienne de la femme combattante, la guerre a laissé des séquelles auprès de ces femmes kurdes. Beaucoup d’entre elles ont ainsi délaissé leurs études et leurs familles pour s’engager dans la guerre contre l’EI. Suite à la fin des combats, nombreuses sont celles qui souffrent d’un manque de perspective pour l’avenir. Misère sociale, dépendance économique aux hommes, mutilations physiques, souffrance psychologique : le résultat de la guerre est désastreux et souvent occulté par une image enjolivée et parfois biaisée de la combattante. » déplore Seve Aydin Izouli, avocate au barreau de Paris, Présidente de la déclaration de Damas-France.

Ces revers de la guerre poussent ainsi les femmes à poursuivre le combat, un combat pacifique en faveur de l’acquisition de nouveaux droits qui les amènent aussi à prendre une part active dans la reconstruction du pays.

Accéder à de nouvelles responsabilités

Fortes de leur légitimité acquise en qualité de combattantes, les femmes kurdes ont pu obtenir de nouvelles responsabilités politiques. « Les choses ont évolué depuis les années 90 où en Irak, par exemple, les femmes kurdes noccupaient que 6 sièges de parlementaires sur les 105 au Parlement régional kurde. […] Aujourdhui, des quotas sont mis en place. Les femmes sont ainsi bien représentées au sein des assemblées parlementaires. Au parlement régional du Kurdistan irakien, un tiers des 111 sièges sont réservés aux femmes ; après 2008, au gouvernement du Kurdistan irakien il y avait 3 femmes sur 42 ministres ; 40 % des élus du Kongra-Gel (le Congrès du peuple kurde, parlement du KCK, pro-PKK) sont des femmes et la présidence de certains organes politiques peut être attribuée aux femmes. »2 explique Mélanie Dubuy, maître de conférence à l’université de Lorraine. « Beaucoup de femmes sont arrivées à des postes de dirigeants, parmi lesquelles Ilham Ahmed, co-présidente du Conseil démocratique syrien, Pervin Buldan co-présidente du parti démocratique des peuples (HDP), Vana Farid, présidente provisoire du parlement du Kurdistan irakien ou encore Bayan Sami Abdul Alrahman, ambassadrice du gouvernement régional du Kurdistan aux Etats-Unis. Elles sont présentes en nombre à la tête des partis politiques et des administrations. Ceci n’aurait pas été possible sans la légitimité acquise au combat depuis des dizaines d’années. » souligne Seve Aydin Izouli.

D’autres femmes s’illustrent non pas en politique mais xdans la diplomatie afin de peser dans les processus de reconstruction et de paix à l’image de la colonelle Nahida Rachid, devenue diplomate après sa carrière militaire et sa participation aux combats dans les années 90 puis de contre Daech plus récemment.

Face à l’adversité, les premières victoires

La paix et la reconstruction passent par un équilibre des responsabilités et le respect de la moitié de la population. Un changement des mentalités est donc vital mais aussi très complexe dans un environnement dominé par les hommes et une culture où la femme n’est que peu considérée. Leila Mustapha, nouvelle maire de Raqqa, doit alors s’imposer, comme Kurde et comme femme. Ingénieure de formation, elle participe à faire évoluer les mentalités pour bâtir une société plus égalitaire. « Sous le joug de Daech et avant, sous le régime de Damas, les femmes et les minorités étaient profondément discriminées. Ce n’est pas si facile de changer les mentalités » explique t-elle. « Ça ne viendra pas du jour au lendemain. L’évolution des mentalités prendra des années. » et de conclure : « Si la femme est épanouie dans ses responsabilités et que ses droits sont respectés, sa famille est heureuse, la société se porte bien et le pays s’enrichit»

Abir Massoud, directrice kurde d’une prison de détenus djihadistes, fait face, quotidiennement, à des hommes imprégnés d’une idéologie radicale islamiste. Sûre de sa méthode de déradicalisation, elle exhibe désormais des dessins de prisonniers montrant des femmes libres. « Cette femme non-voilée porte une torche. C’est un dessin offert pas un prisonnier, symbolisant une femme libre. » Le respect des droits de la femme est ici porté comme un trophée montrant l’évolution de la mentalité de ces hommes gagnés, un temps, par l’idéologie de Daech. Une première victoire.

« Les femmes représentent la clé pour résoudre de nombreux problèmes et doivent être impliquées davantage dans la construction d’une paix durable entre les communautés. Avec la voix et la participation des femmes, notre société peut changer en profondeur. » revendique alors Nadia Murad, prisonnière de Daech pendant plusieurs mois, d’origine kurde et yézidie.

Avec courage, peur, conviction et détermination, ces femmes ont décidé de s’investir sans relâche dans la construction d’une société de demain qu’elles veulent pacifique et égalitaire.

C’est dans cette société d’après-guerre, que les combattantes continuent leurs batailles. Avec des armes nouvelles : l’éducation, la politique, la diplomatie, elles entendent prendre leur destin en main et tracer ce nouveau chemin, encore long, qui conduira à la paix.

1 Interview accordée à 20 minutes – 8 octobre 2014

2 La contribution des femmes à la revendication du peuple kurde à l’autodétermination, dans Civitas Europe, Mélanie Dubuy