Protégeons les enfants pris pour cible dans un Sahel dévasté

La recrudescence de la violence armée et la détérioration de la situation sécuritaire au Burkina Faso, au Mali et au Niger, a un impact dévastateur sur la survie, l’éducation, la protection et le bien-être des enfants, mais aussi sur l’ensemble des communautés, des sociétés et des économies. 

Région au potentiel immense, le Sahel a pour autant toujours été l’une des régions les plus vulnérables d’Afrique. Elle abrite ainsi plusieurs pays ayant les indicateurs de développement les plus faibles au monde.

Par Mélanie BENARD-CROZAT

La forte augmentation des attaques armées contre les communautés, les écoles, les centres de santé et les autres institutions et infrastructures publiques a atteint des niveaux sans précédent. La violence perturbe les moyens de subsistance et l’accès à l’éducation et aux soins de santé. L’insécurité exacerbe les vulnérabilités chroniques qui sévissent déjà dans le Sahel, notamment les niveaux élevés de malnutrition, le faible accès à l’eau potable et aux installations sanitaires.

En novembre 2019, 1,2 million de personnes étaient déplacées.1 Plus de la moitié étaient des enfants.« Cela représente un doublement du nombre de personnes déplacées par linsécurité et les conflits armés dans les pays du Sahel central au cours des 12 derniers mois, et cinq fois plus de personnes déplacées au Burkina Faso.* » explique le Bureau Régional pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre (Dakar, Sénégal) du Fonds des Nations Unies pour l’Enfance dans son plaidoyer pour la région du Sahel Central publié début 2020 et d’ajouter « Atteindre les personnes dans le besoin est de plus en plus difficile. La forte augmentation de linsécurité, de la violence et des opérations militaires, au cours de l’année dernière, a entravé l’accès des acteurs humanitaires aux populations touchées par le conflit. »

Insécurité galopante

Au cours des deux dernières années, les groupes armés ont intensifié leurs attaques dans certaines parties du Burkina Faso, du Mali et du Niger. « L’insécurité se propage à un rythme inquiétant. Les femmes et les enfants sont les premières victimes de la violence. » alerte l’UNICEF appelant à « des efforts renouvelés, accrus et concertés (…) pour endiguer la violence en cours dans ces trois pays et lempêcher de se propager davantage dans les pays voisins. »

Au cours des trois premiers trimestres de 2019, 571 violations graves contre des enfants ont été enregistrées au Mali, contre 544 en 2018 et 386 en 2017. A la fin du mois de septembre 2019, 277 enfants ont été tués et mutilés, soit plus du double du nombre total d’enfants en 2018.2Au Niger et au Burkina Faso, des enfants ont ainsi été victimes d’enlèvement, de meurtre, de recrutement et d’utilisation par des groupes armés.

Dans cette région 8 enfants sur 10 ont connu la violence. Pour subsister ou survivre, les taux de mariage d’enfants, d’exploitation économique ou de migrations dangereuses augmentent en cas de forte insécurité. « Les adolescentes sont exposées à des abus sexuels, au mariage denfants ou à des grossesses précoces en plus des inégalités de genre préexistantes. Près de 60% des filles sont mariées avant l’âge de 18 ans, (76% au Niger dont le taux est le plus élevé dans le monde) et plus de 18% des filles sont mariées avant l’âge de 15 ans.»3souligne l’UNICEF.

L’éducation en première ligne

En raison de cette violence, l’éducation représente l’un des défis majeurs à relever. Au Burkina Faso, au Mali et au Niger, plus de 8 millions d’enfants âgés de 6 à 14 ans ne sont pas scolarisés, soit près de 55% des enfants de cette tranche d’âge.4 Entre avril 2017 et décembre 2019, les trois pays ont connu une multiplication par six des fermetures d’écoles. En décembre 2019, ce sont plus de 3 300 écoles qui ont été fermées, affectant près de 650 000 enfants et plus de 16 000 enseignants. « Et la situation continue dempirer avec une recrudescence des menaces et de la violence autour des écoles, des élèves et des enseignants au point de devenir un phénomène régulier.» explique l’UNICEF « Plus de 20 attaques directes contre des écoles et le personnel éducatif ont été signalées pendant les vacances scolaires d’été au Burkina Faso et à la rentrée scolaire au Niger et au Mali, entre juillet et octobre 2019.»5

Santé, nutrition et eau potable : les chiffres alarmants

L’aggravation des conflits pèsent sur les budgets des gouvernements réduisant les investissements dans les services sociaux au bénéfice de la dimension sécuritaire. Cette réduction complique sérieusement l’accès à l’éducation, aux soins de santé, à la nutrition, à l’eau potable et aux autres services sociaux. « De nombreux enfants n’ont plus accès aux services de vaccination de routine en raison de la violence armée et de l’insécurité, qui endommagent et affaiblissent les systèmes de santé (…) et détournent les faibles ressources humaines et financières de la santé vers des priorités de sécurité. » explique l’UNICEF et de poursuivre « lorsque les femmes et les enfants déplacés ainsi que leurs communautés daccueil nont pas accès aux services de santé de base, ni à l’eau potable et à l’assainissement, cela augmente les risques de maladies infectieuses, notamment les infections respiratoires aiguës, la diarrhée, le paludisme et la rougeole. »Des maladies figurant aujourd’hui parmi les principales causes de mortalité infantile.

Pour répondre aux menaces de sécurité accrues, « les gouvernements du Sahel ont dû augmenter considérablement leurs dépenses dans ce secteur. Cela représentait en moyenne autour de 22% des budgets publics en 2018, au dépend des prestations de services publics. » souligne Axel Van Trotsenburg, directeur général des opérations de la banque mondiale.6 Face à cette situation, l’UNICEF interpelle les gouvernements sur la nécessité de maintenir à tout le moins, les engagements nationaux en faveur des budgets pour les services sociaux.

Il y a urgence. Alors que le nombre de personnes exposées au risque d’insécurité alimentaire pourrait atteindre un total de 14,4 millions, un niveau qui n’a pas été atteint depuis 2012, ce serait près de 709 000 enfants âgés de moins de 5 ans qui souffriront de malnutrition aiguë sévère (MAS) au Burkina Faso, au Mali et au Niger en 2020.7 Par ailleurs, d’après les dernières projections en matière de sécurité alimentaire et de nutrition8 plus de 4,8 millions de personnes pourraient être en situation d’insécurité alimentaire pendant la période de soudure, de juin à août 2020, soit une augmentation de 50% par rapport aux prévisions de mars 2019.« L’insécurité alimentaire, aggravée par un accès limité aux services de santé et à l’eau potable, ainsi que des connaissances insuffisantes sur les pratiques optimalesd’alimentation des enfants auront un impact sérieux sur leur état nutritionnel et sur les capacités des communautés à rebondir plus tard, si rien nest fait pour les protégeret prévenir la malnutrition aiguë menaçant leur survie. » alarme l’UNICEF. « Le conflit dans le Sahel central est une crise en cascade qui s’étend à toute la région, mettant en danger toute une génération d’enfants. Des centaines de milliers d’enfants sont privés d’éducation, vulnérables à l’exploitation et exposés au risque de malnutrition. Les enfants et les jeunes continuent à payer le prix le plus élevé pour une crise dont ils ne sont pas responsables. Nous devons agir maintenant avec nos partenaires pour éviter une tragédie. »déclare Marie-Pierre Poirier, directrice régionale d’UNICEF pour l’Afrique occidentale et centrale.

Les déplacements et l’insécurité accrue ont perturbé l’accès à l’eau potable, l’hygiène et l’assainissement (WASH) et ralenti les investissements dans des infrastructures d’approvisionnement en eau déjà limitées. Au Burkina Faso, 1,9 million de personnes ont besoin d’une assistance WASH. Quant à l’accès à l’eau potable, il a diminué de 11% de 2018 à 2019, dans les zones où les déplacés internes représentent plus d’un cinquième de la population. Certaines zones enregistrent une baisse de plus de 40%.9

Une situation alarmante qui fait redouter un retour des épidémies, à l’image de celle de choléra qui avait touché quatre régions du Niger en 2018. Les femmes et les enfants âgés de moins de 15 ans avaient été les plus touchés, représentant respectivement 56% et 44% des cas. Pour éviter de futures épidémies, l’UNICEF continue de surveiller la qualité de l’eau dans les ménages et fournit des purificateurs d’eau qui neutralisent les microbes et les virus. Avec l’appui de ses partenaires, l’UNICEF s’emploie à améliorer l’accès à l’eau potable, à l’assainissement de base, aux dispositifs de lavage des mains et à l’hygiène dans les écoles, à informer les populations sur les bonnes pratiques d’hygiène et à renforcer la capacité des pays en matière de surveillance, préparation et réponse aux épidémies.

Ceci n’est pas sans nous rappeler la menace pour les plus fragiles et démunis, que représente la pandémie COVID-19 qui s’abat sur le monde entier depuis décembre 2019. En effet, des taux accrus de maltraitance et d’exploitation des enfants ont été enregistrés lors de précédentes urgences de santé publique. Les fermetures d’écoles lors de l’épidémie du virus Ebola en Afrique de l’Ouest de 2014 à 2016 ont contribué à l’augmentation du travail des enfants, de la négligence, des abus sexuels et des grossesses chez les adolescentes. En Sierra Leone, les cas de grossesse chez les adolescentes ont plus que doublé par rapport à la période précédant l’épidémie, pour atteindre 14 000.

L’UNICEF lance donc un appel de 651,6 millions de dollars US dont 405 millions de dollars US pour son intervention dans les pays en situation d’urgence. « Avec le soutien de la communauté internationale, nous pouvons, ensemble, renforcer les plans de préparation et d’intervention dans les pays dont les systèmes de santé sont plus faibles. Nous pouvons accélérer l’accès à des services de lavage des mains et d’assainissement appropriés, étendre notre engagement auprès des communautés pour leur fournir les informations dont elles ont besoin pour éviter la contagion. Nous pouvons maintenir un flux constant d’équipements de protection individuelle et continuer à travailler avec les gouvernements pour renforcer les services de protection, le soutien psychosocial et les possibilités d’apprentissage à distance pour tous les enfants, et en particulier pour les enfants les plus vulnérables, » a déclaré Henrietta Fore, directrice générale d’UNICEF.

Vers des actions coordonnées derésilience, de gouvernance et de sécurité

Face à l’urgence de la situation, l’UNICEF multiplie les appels auprès de tous les États à protéger les enfants du Sahel, à respecter leurs obligations en vertu du droit international et à mettre immédiatement fin aux violations commises à l’encontre des enfants. Elle appelle à une coopération de tous les acteurs, une coordination affinée afin d’assurer le maintien des services vitaux : une éducation de qualité et sûre, un accès aux soins et à l’eau potable. « Nous exhortons toutes les parties à protéger les installations et les personnels de santé et d’éducation et à faciliter laccès aux services de santé et à l’assistance humanitaire conformément à leurs obligations en vertu du droit international des droits humains et humanitaire. »

L’organisme public international demande que tous les survivants d’abus sexuels et de violence sexiste soient assistés de manière rapide et appropriée à leurs besoins, et rappelle que les enfants associés à des forces armées et des groupes armés non-étatiques sont avant tout des victimes de recrutement illégal, ce qui constitue une violation de leurs droits. « Les enfants ayant été arrêtés pour avoir été associés à un groupe armé doivent être transférés à desautorités locales compétentes le plus rapidement possible afin de faciliter leur retour dans leur famille et leur communauté. » exporte l’UNICEF ajoutant « les gouvernements et les forces de sécurité doivent respecter les droits des enfants, éviter la détention ou lutiliser en dernier recours et uniquement dans le respect des standards internationaux en matière de justice juvénile. »

Rappelant également le droit à l’identité « Il est essentiel de renforcer les systèmes d’état civil et de fournir des actes de naissance afin que les enfants aient une identité et puissent accéder aux services. », l’UNICEF met en place des programmes d’enregistrement à l’état civil : « la première étape pour reconnaître lexistence légale des enfants et protéger leurs droits. »

Enfin, l’organisation appelle les gouvernements et des différents partenaires à renforcer les systèmes et institutions nationaux de préparation aux situations d’urgence, afin d’être prêts à mettre à l’échelle les services essentiels en cas d’insécurité atteignant leurs frontières ou en cas d’afflux de personnes déplacées et invite tous ses partenaires à s’engager à travers la Stratégie Intégrée des Nations Unies pour le Sahel (SINUS) pour mettre à l’échelle des actions de résilience, de gouvernance et de sécurité.

Besoin de financement pour 2020

Un financement urgent est nécessaire pour répondre aux besoins humanitaires des enfants dans ces différents pays. Le soutien financier aidera à répondre aux besoins des enfants touchés par la crise et à renforcer les liens entre les programmes humanitaires et de développement. Ce financement permettra à l’UNICEF de fournir des services essentiels de santé, d’eau, d’assainissement et d’hygiène, de protection de l’enfance, de nutrition et d’éducation aux enfants les plus vulnérables et à renforcer la préparation aux situations d’urgence. Fin novembre 2019, les programmes humanitaires de l’UNICEF pour les enfants au Burkina Faso, Mali et Niger étaient à 59% sous-financés. Le Bureau régional de l’UNICEF pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre plaide pour un investissement et des politiques centrés sur l’enfant dans cette région. « Guidés par la Convention relative aux Droits de lEnfant, nous travaillons avec des organisations internationales, régionales et nationales dans toute la région pour accélérer les progrès vers les Objectifs de Développement Durable des Nations Unies et l’Agenda 2063 de lUnion Africaine. » souligne t-il.

Une solidarité internationale pour établir la paix et la prospérité au Sahel

Compte tenu de ces tensions et du nombre croissant de personnes vivant dans la pauvreté, la région du Sahel est une priorité pour l’Association internationale de développement (IDA), le fonds de la Banque mondiale pour les pays les plus pauvres. « Au cours des trois dernières années, nous avons augmenté notre appui de 50 % et nous irons encore plus loin dans les trois prochaines années avec plus de 7 milliards de dollars pour le Sahel. » explique Axel Van Trotsenburg. Le soutien de l’IDA viendra compléter les efforts des organisations humanitaires et ceux des acteurs dédiés aux questions sécuritaires. Les forces internationales, y compris les Nations Unies, ont appuyé la force conjointe du G5 Sahel et de l’Union européenne pour établir d’une réponse militaire crédible à la violence dans la région. Mais pour une paix durable, il faut y ajouter des investissements sérieux dans le développement afin de s’attaquer aux causes profondes des conflits. « Des programmes visant à réduire la pauvreté, créer des emplois et améliorer les services publics seront essentiels, tout comme l’amélioration des infrastructures et le renforcement des institutions et de lEtat de droit. » détaille Axel Van Trotsenburg et d’ajouter « Il sera aussi important daider les pays à s’adapter aux effets du changement climatique, qui exacerbent les tensions liées à l’insécurité alimentaire, la pénurie d’eau et la réduction de lespace réservé au pâturage. »

Parmi les actions déjà lancées, le projet d’autonomisation des femmes et de dividende démographique au Sahel de 295 millions de dollars de la Banque mondiale, renforce déjà l’autonomie des femmes et des filles de la région en améliorant leur accès aux services de santé reproductive, infantile et maternelle. Il soutient également l’éducation et enseigne aux jeunes filles et aux femmes des compétences professionnelles et des compétences de vie. « En continuant à financer ce genre de projets dans des zones de conflit actif nous resterons engagés pour préserver les institutions clés et le contrat social, et maintenir les services de base ainsi que favoriser lemploi et le développement de petites et moyennes entreprises qui fournissent près de 80 % des emplois dans des situations fragiles. » témoigne Axel Van Trotsenburg.

Mais c’est bien la coopération de tous les acteurs et l’implication des Sahéliens qui fera la différence « une coopération étroite avec les agences humanitaires et les forces de sécurité est essentielle. » souligne Axel Van Trotsenburg et de conclure « Le chemin vers la paix et la prospérité reste long, mais cest avec la détermination des Sahéliens, une meilleure sécurité et des politiques inclusives que le Sahel y parviendra. »

1. Portail des données opérationnelles du HCR au 30 novembre 2019 (Burkina Faso, Mali, Niger), OCHA Burkina Faso, Aperçu de la situation

  • Comparaison entre January 2029 to End-November 2019

2. Informations vérifiées par l’ONU

3. Bases de données mondiales de l’UNICEF, MICS/EDS (2010-2018)

4. EDS Burkina Faso 2010, EDS Niger 2012, MICS Mali 2015

5. Cluster/Groupes de travail sur l’éducation en situations d’urgence et Ministère de l’éducation, groupe de travail du MRM au Mali

6. Alwihda info

7. Estimations issues du PIH de 2020 (Niger et Mali) et AHE de l’UNICEF (Burkina Faso); les chiffres pourraient évoluer au cours de l’année en fonction de toute détérioration de la situation constatée

8. Cadre Harmonisé (système régional d’analyse pour l’identification des zones à risque et des populations vulnérables en Afrique de l’Ouest et au Sahel), Novembre 2019

9. Groupe sectoriel WASH du Burkina Faso, Octobre 2019

Sources