Le paysage du renseignement français pourrait-il être bouleversé ?

Avant la fin de l’année, le Parlement devra une nouvelle fois légiférer sur le renseignement. Une perspective qui peut faire palpiter au regard du contexte mondial de crise, qui fait du « Rens », le second pilier de la souveraineté après la dissuasion nucléaire.

Par Florian BUNOUST-BECQUES

Evolution des prérogatives

Si ses objectifs, définis dans la stratégie nationale du renseignement de 20191, font consensus, la question de l’usage des moyens divise, notamment autour du respect des libertés fondamentales. Chaque réforme en la matière fait désormais l’objet d’une attention particulière et d’un débat passionné. La loi du 24 juillet 2015, qui avait notamment fait reconnaitre dans le droit certaines techniques de surveillance, arrive à sa période de révision. Bien que le texte ait déjà été modifié six fois, en adaptation aux attentats perpétrés depuis 2015, le Parlement entend renforcer les dispositions législatives et judiciaires des services et, si besoin, les recadrer.

A l’inverse du modèle anglo-saxon, l’intrusion du politique dans le contrôle du renseignement français est relativement récente avec la création en 2007 de la Délégation parlementaire au renseignement2 (DPR) chargée de suivre l’activité générale et les moyens des services. A partir de 2013, son contrôle s’accroit avec la loi de programmation militaire3 (LPM) 2014-2019 qui voit les prérogatives de la DPR élargies à l’évaluation de la politique publique en la matière.

Diverses perceptions quant à la « révision »

Si la « révision » semble soutenue par l’Elysée4 (qui abrite le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) ; le préfet Pierre Bousquet de Florian), et Matignon, pas question toutefois de jouer aux apprentis sorciers. Pour superviser l’ensemble, l’Elysée a demandé en mars aux services du premier cercle (DGSE, DGSI, DRM, Tracfin, DNRED, et DRSD) une remontée des principales attentes d’évolution de la loi suivant le Plan national d’orientation du renseignement (PNOR) qui fixe et qui axe leurs priorités. Alors que le gouvernement fait face à une situation sanitaire inédite, les informations relayées dans Le Monde avant la crise faisant état d’une révision a minima pourraient éventuellement se voir compromises avec des possibilités de réorganisation plus profondes des services, notamment la refonte de la DGSE ou la création de nouveaux services. Au Parlement, et en particulier pour la députée Yaël Braun-Pivet, présidente de la Commission des lois et membre de droit de la DRP, « Le droit est là pour s’adapter aux menaces et aux nouvelles technologies qui évoluent sans cesse et le Parlement a son rôle à jouer, il ne doit pas abandonner les questions de renseignement aux seuls experts et aux services » (Le Monde). Un interventionnisme temporisé par son homologue sénateur Philippe Bas « très circonspect sur l’idée de faire un nouveau texte », mais qui concède que le système actuel n’est pas encore parvenu à maturité.

Le renseignement français doit-il être réformé et dans quelle mesure ? Le dernier rapport de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement5 (CNCTR) révèle que la modification juridique de 2018 concernant les « dispositions relatives aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales » ont été modifiées pour la première fois pour améliorer « l’articulation de ces mesures avec les techniques de surveillance intérieure. Les dispositifs de contrôle ont été renforcés en conséquence ». De plus, si la CNCTR a émis un avis favorable sur le recours à certaines techniques pour certains services (accès aux données de connexion en différé ; géolocalisation en temps réel ; balisage ; interception de sécurité réalisée via le GIC ; captation de paroles à titre privé et la captation d’images en lieu privé), et sur la possibilité de placer dans un lieu privé une balise ou un dispositif de captation de paroles ou d’images, la Commission aimerait peser sur le contenu de la future loi pour modifier sa propre organisation interne. Elle souhaiterait également renforcer le contrôle a priori des bases de données des services ou créer « un droit de notification », aux personnes ayant été mises sous surveillance dans le cadre d’interceptions internationales.

Quelles perspectives pour le nouveau texte ?

Pour préparer le futur texte, le bureau de la commission des lois de l’Assemblée nationale a validé le 6 février dernier la création d’une mission d’information d’évaluation de la loi de 20156, co-présidée par la Yaël Braun-Pivet et le député Guillaume Larrive, ayant déjà procédé à 16 auditions. Le nouveau texte viendra-t-il combler le fossé entre l’Etat de droit et les progrès technologiques des moyens de surveillance ou se bordera-t-il à dresser le simple procès-verbal des services ? Ces débats souligneront-ils le fait que les nouveaux outils de surveillance, en matière de lutte contre le terrorisme, souffrent encore de l’absence de certains décrets d’application depuis 2015 ? Cette révision fera-t-elle évoluer le fonctionnement de la DPR, dont la composition reste inchangée depuis 2007 alors même que celle-ci regrettait que ses propositions d’évolution n’aient pas été retenues dans le cadre de la LPM 2019 – 20257 ?

Cette révision de l’architecture du renseignement peut être une opération audacieuse qui, si elle est précipitée, pourrait fragiliser l’édifice qui depuis 2015 a semble-t-il démontré sa pertinence à l’instar des 12 projets d’attentats déjoués depuis janvier 20208. A la menace terroriste s’ajoute la recrudescence des actions violentes et la multiplication des troubles à l’ordre public et des menaces d’insurrection (groupuscules d’extrême-gauche et d’extrême-droite amalgamés à la crise des gilets jaunes) qui sont d’ailleurs redoutées après le déconfinement.

L’après COVID-19 pourrait en effet laisser apparaitre une contestation sociale du « jour d’après » comme le laissait entendre le Ministre de l’Intérieur lors de son audition à l’Assemblée nationale le 9 avril 2020 dans le cadre de la mission d’information parlementaire sur l’impact, la gestion et les conséquences de l’épidémie de coronavirus9.

Depuis 2015, les services de renseignement peuvent capitaliser sur des réussites et tirer les enseignements des événements sur la période : actes de terrorisme, situations en milieu pénitentiaire, défi face à la multiplication des cyberattaques, etc. Le nouveau texte de loi est une opportunité de parfaire notre système à travers cette prise du recul, insuffisamment employée lors de la rédaction et du vote du précédent texte, élaboré dans l’urgence en cohérence avec l’état dans lequel le pays se trouvait alors. Les parlementaires et les citoyens attendent de celui-ci qu’il structure et organise efficacement les activités et les opérations des services de renseignement français.

1. Economie.gouv.fr. 2020. La Stratégie Nationale Du Renseignement. https://www.economie.gouv.fr/files/20190703-cnrlt-np-strategie-nationale-renseignement.pdf

2. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000252177

3. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000028338825&categorieLien=id

4. https://www.challenges.fr/entreprise/defense/comment-l-elysee-chapeaute-les-services-de-renseignement_670835

5. https://www.cnctr.fr/8_relations.html#les-rapports-annuels-d-activite-de-la-cnctr

6. https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/04/24/renseignement-l-assemblee-veut-une-nouvelle-loi-en- 2020_5454222_3224.html

7. https://www.defense.gouv.fr/portail/enjeux2/la-lpm-2019-2025/le-dossier/la-lpm-2019-2025-le-dossier

8. https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2017/09/12/97001-20170912FILWWW00335-12-projets-d-attentats-dejoues-depuis-janvier.php

9. Audition du Ministre de l’Intérieur Christophe Castaner dans le cadre de la mission d’information parlementaire sur l’impact, la gestion et les conséquences de l’épidémie de coronavirus, le 9 avril 2020

Florian Bunoust-Becques est Membre du Pôle renseignement du Centre d’Etude de la Sécurité et de la Défense (CESED) et Directeur du Pôle Armées du Centre international de Recherche et d’Analyse (CIRA)