Développement : troisième pilier de la stabilité

Contre le terrorisme ou pour parer à l’alliance dévastatrice entre dérèglement climatique et conflits, un continuum s’impose. En alliant sécurité, défense et développement, à tous les niveaux de décision, nous créerions, peut-être, une paix durable.

Par Lola Breton

Allemagne, Belgique, Danemark, Estonie, France, Mali, Niger, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Suède et République tchèque. Tous, unis contre la menace terroriste au Sahel. Le 27 mars 2020, ces 13 États se sont regroupés dans la task force Takuba, intégrée au commandement de l’opération Barkhane, en France. Ce nouveau programme d’appui devra prendre en compte un pilier longtemps oublié de la stabilité étatique : le développement. « Force est de constater que malgré des efforts gigantesques de la communauté internationale et des acteurs locaux, l’alliance entre développement et opérations de sécurité et de défense peine à s’améliorer », note Jean-Michel Jacques, député, vice-président de la commission des Armées. À Gao, le député et co-rapporteur de la mission d’information sur le continuum sécurité-développement a remarqué l’absence des institutions maliennes. « Sans administration d’État et sans force de sécurité intérieure présente, un entrepreneur qui voudrait développer un projet sur le territoire avec les populations se retrouve sans interlocuteur », déplore-t-il.

Acteurs et fonds disponibles

Pas question ici de besoins financiers. De nombreux fonds sont avancés pour participer à la restauration de zones en conflits ou en reconstruction. L’Agence française de développement (AFD) joue son rôle de banque publique à destination de 115 pays à travers des prêts et des dons. Les pays du Sahel font partie des 19 pays prioritaires de la politique de solidarité de la France. « En 2019, pour ne parler que des financements sur le fonds Minka, dédié à la consolidation de la paix, l’AFD a financé 120 millions d’euros de projets au Sahel », dévoile Charles Tellier responsable de la division Fragilités, crises et conflits. Parce que « les conflits sont à l’origine de 80 % des besoins d’aide humanitaire et amputent la croissance du PIB de deux points de pourcentage par an en moyenne », la Banque mondiale, elle, accorde des prêts depuis 1977, parfois à hauteur de plusieurs centaines de millions de dollars. La Côté d’Ivoire a, par exemple, bénéficié de 120 millions de dollars entre 2007 et 2016, dans le cadre d’un projet d’assistance post-conflits. Or, selon Jean-Michel Jacques, « pour déployer un projet, ses représentants doivent avoir accès à des interlocuteurs sur le terrain. Pour cela, les investissements doivent se faire dans des structures et du matériel. Cela éviterait que l’argent international ne soit jamais décaissé ». Quand il l’est, cela peut permettre la rénovation d’infrastructures publiques essentielles. Le Burkina Faso a pu restaurer la gare routière de Dori, au Nord-Est du pays, grâce aux fonds du Programme d’appui au développement des économies locales (PADEL), encadré par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Quant au centre hospitalier régional de Dori, c’est le Projet d’aménagement territorial intégré (PATI), appuyé par le G5 Sahel qui l’a financé, à hauteur de 250 millions de francs CFA.

Ce ne sont pas non plus les acteurs qui manquent. En plus des instances internationales, créditrices ou non, États et régions s’impliquent, eux aussi. En Afrique, les communautés économiques régionales ont mis en place des politiques de reconstruction post-conflit et de développement. À l’ouest, la Cedeao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) encadre des programmes de paix et de sécurité. Les efforts de désarmement, démobilisation, réintégration (DDR) en Côte d’Ivoire au début du siècle ont été coordonnés par l’organisation régionale. À l’échelle continentale, l’Union africaine a mis en place, en 2001, le NEPAD (Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique). Parmi ses objectifs premiers : « Éradiquer la pauvreté, placer les pays africains, individuellement et collectivement, dans la voie d’un développement et d’une croissance durable, mettre fin à la marginalisation de l’Afrique dans le processus de mondialisation et accélérer l’autonomisation des femmes. » L’agenda 2063 de l’agence est en cours de réalisation, mais chacun des 54 pays avance à son rythme. Si l’Union africaine estime 33  % des objectifs continental globaux atteints, les buts en matière de sécurité – restauration et pérennisation de la paix, structures institutionnelles adaptées pour la mise en œuvre des objectifs – atteignent 47  % de réalisation. Un résultat à nuancer par l’écart conséquent entre le Zimbabwe (100  %), le Niger (33  %) et l’Égypte (0  %), par exemple.

L’Afrique au centre

C’est également vers l’Afrique que se tourne la majorité des programmes français. « Très vite, les travaux de la mission d’information sur le renforcement du continuum sécurité-développement nous ont emmené vers le Sahel et la force G5 Sahel », retrace Jean-Michel Jacques. Même attirance géographique et historique pour la Direction de la Coopération de Sécurité et de Défense (DCSD), rattachée au ministère de l’Europe et des affaires étrangères et dirigée par le général de corps d’armée Thierry Marchand : « La DCSD est liée à l’Afrique parce qu’elle naît, sous une dimension purement militaire et l’acronyme DCMD, au moment de la décolonisation. Aujourd’hui encore, trois-quarts de nos actions ont lieu en Afrique subsaharienne. »

Or, assurer la stabilité et le développement est indispensable sur l’ensemble des continents. La DCSD travaille déjà à étendre son champ d’action. En Afrique du Nord et au Proche-Orient, mais aussi en Asie, la France « développe la coopération par des niches particulières, explique le général Marchand. Dans la zone indopacifique, et notamment au Vietnam, en Malaisie et en Indonésie, c’est en termes de lutte anti-terrorisme que nous essayons d’apporter des moyens et de l’aide. Depuis 2015, la lutte antiterroriste a également permis le développement de la protection civile au sein de la DCSD. C’est une force essentielle pour la gestion de crise », souligne le général Thierry Marchand. Le « projet 3 frontières » s’appuie sur cette force. Mené par l’AFD, le programme recouvre Mali, Burkina Faso et Niger. Il a pour but de renforcer les filières agro-pastorales et la cohésion entre communautés. « L’idée est de faire revenir l’État dans ces régions à travers un service très visible et très utile aux populations », explique Charles Tellier.

À l’avenir, d’autres défis se feront plus pressants. Ils justifient déjà à eux seuls la nécessité de renforcer le continuum. C’est le cas du changement climatique et de ses effets planétaires, sur la migration, par exemple. « L’interaction entre climat et conflits est forte, souligne Charles Tellier. Les populations exposées aux effets négatifs du réchauffement climatique et à un épuisement des ressources naturelles sont moins résilientes et résistantes face aux chocs politico-sécuritaires qui les menacent. »

« Une vision stratégique partagée »

Les missions alliant sécurité, défense et développement nécessitent un ancrage stable et des partenariats pérennes sur les territoires aidés. La DCSD peut d’ores et déjà compter sur les partenariats de son ministère de tutelle et sur son « réseau d’experts déployés à travers le monde ; des ‘coopérants’ issus de la police, de l’armée, des douanes, envoyés pour des séjours longs dans les pays partenaires ». Ceux-ci, détaille le général Thierry Marchand, deviennent alors les référents pour le conseil et l’expertise.

Le rapport de mission parlementaire mené par Jean-Michel Jacques et Manuéla Kéclard-Mondésir conclut sur la nécessité d’intensifier les segments de la sécurité intérieure et de l’investissement privé pour renforcer le continuum sécurité-développement. Le député appelle donc à « une vision stratégique partagée, définie au plus haut niveau et qui se décline dans les territoires aidés, jusque dans les ambassades, pour favoriser le déploiement d’investisseurs privés ». Du côté de l’AFD, Charles Tellier approuve : « Nous devons continuer à articuler nos actions étroitement, nous, les acteurs français : ministère des Armées, Quai d’Orsay, AFD – dont Proparco, notre filiale secteur privé –, en lien avec les gouvernements et acteurs locaux. »

Le Général Thierry Marchand, lui, se réjouit du positionnement nouveau de l’Union européenne sur le financement de projets alliant sécurité intérieure et développement. La DCSD a déjà obtenu le financement par l’Europe de formations de centaines d’élèves africains dans cinq des 17 écoles nationales à vocation régionale (ENVR) d’Afrique. Jean-Michel Jacques ajoute : « Idéalement, le pilotage du continuum se ferait au niveau supérieur, celui de l’Europe. Mais sur les questions de défense, les intérêts sont parfois très différents entre les pays membres. » Et de nuancer : « Cela n’empêche pas la France de se positionner fortement, notamment au Sahel. La déstabilisation de cette région affecterait l’ensemble des pays européens. »