Zone Indo-Pacifique : équilibre contrarié de la stabilité internationale

« Une région sur laquelle le soleil ne se couche jamais », c’est ainsi que l’on pourrait décrire la région Indo-Pacifique, en proie à une multitude de tensions, que la compétition stratégique sino-américaine, le recul du multilatéralisme et la contraction de l’espace géopolitique tend à complexifier.

Puissance souveraine de la région, la France, avec ses partenaires européens et internationaux, entend dans ce contexte géopolitique extrêmement tendu, affirmer sa liberté d’action au service de la paix, de la sécurité et du développement.

Par Simon DOUAGLIN

La France : pilier de la stabilité dans la région

Avec 7 régions, départements et collectivités d’outre-mer, 1,6 millions de citoyens français, plus de 200 000 expatriés, 9 millions de km2 de ZEE, la France entend prendre une place particulière dans la montée en puissance de la zone Indo-Pacifique qui consiste, rappelons-le, pour la défense française, en un ensemble géopolitique étendu de Djibouti à la Polynésie.

Cet espace englobe plusieurs foyers de la croissance mondiale, où se croisent les principales voies de communication aériennes et maritimes, reliant ainsi les plus grands ensembles démographiques et économiques du 21e siècle.

« Cette zone se trouve être le théâtre de nombreuses évolutions géostratégiques, qui ont des conséquences directes sur les intérêts de la France et de ses partenaires. Dans ce contexte, la France entend endosser pleinement son rôle de puissance régionale, afin de protéger ses intérêts souverains, dassurer la sécurité de ses citoyens et de contribuer activement à la stabilité internationale. » souligne le ministère des Armées dans sa stratégie de défense française en Indo-Pacifique.

Des menaces multiples

Les programmes nucléaire et balistique de la Corée du Nord menacent la sécurité en Asie du Nord-Est, mais aussi l’ordre international et l’architecture de non-prolifération.

En mer de Chine méridionale, les travaux de poldérisation à grande échelle et la militarisation des archipels contestés ont modifié le statu quo et augmenté les tensions.

Le terrorisme constitue un autre défi, tout comme l’accès aux ressources sous-marines profondes, l’extension des capacités de projection de puissance et, parallèlement, de déni d’accès, ainsi que la centralité du cyberespace et des équipements satellitaires qui sont susceptibles d’attiser les rivalités inter-étatiques sur l’ensemble de l’Indo-Pacifique. « Cette situation témoigne de la remise en cause de l’ordre multilatéral au profit de politiques daffirmation de puissance qui menacent la stabilité de la région. » souligne le ministère des Armées.

L’enjeu pour la coopération internationale réside donc dans l’établissement d’un dialogue et d’un apaisement des conflits, avec, en dernier recours, l’intervention armée. La France renforce ainsi un maillage de partenariats de nature stratégique avec l’Inde, l’Australie, le Japon, la Malaisie, Singapour, la Nouvelle-Zélande, l’Indonésie et le Vietnam. « La France à elle seule na pas les moyens de sopposer militairement à la Chine, menace principale dans la région, surtout en cas de conflit majeur. » souligne Valérie Niquet, responsable du pôle Asie au sein de la fondation pour la recherche stratégique, « En revanche, son siège au conseil de sécurité de lONU lui confère un atout stratégique majeur pour peser dans la région. »

Une stratégie française globale

Dans le cadre de sa stratégie, la France tente ainsi d’intégrer une multitude d’acteurs de la région. « Des entrainements militaires, tels que l’opération Varuna, sont régulièrement organisés et la France a ouvert l’utilisation de ses bases de la Réunion, des Emirats arabes unis et de Djibouti aux forces navales indiennes. » explique Marianne Peron-Doise, chercheuse au sein de l’IRSEM.1 En tant que seule puissance européenne à disposer d’une stratégie Indo-Pacifique, la France tente d’impliquer l’Union européenne aux enjeux de cette zone. L’opération Atalante est un exemple de réussite européenne en matière de lutte contre la piraterie au sein de laquelle la France prend une part importante avec l’Allemagne.

Par ailleurs, « la France souhaite prioritairement dialoguer avec les acteurs concernés par le développement durable […]. ». La stratégie de défense Indo-Pacifique intègre l’anticipation de la sécurité environnementale conformément aux objectifs de l’Accord de Paris. C’est un enjeu de responsabilité collective et un formidable atout en faveur du multilatéralisme. Les armées françaises y contribuent par « l’analyse des risques environnementaux, le soutien à la recherche stratégique et à l’organisation d’évènements internationaux dans la zone. »2 Et Marianne Peron-Doise d’ajouter : « La France intervient régulièrement avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande pour venir au secours des populations du Pacifique Sud notamment face aux cyclones ou à la hausse du niveau des océans dans le cadre du volet sécurité environnementale de la stratégie de défense Indo-Pacifique ».

Mise à l’épreuve du multilatéralisme

« Le multilatéralisme recule et ses valeurs fondamentales – comme l’égalité souveraine, la non-ingérence, le respect des frontières – sont en déclin.» rappelle Florence Parly, ministre des Armées, lors du discours Shangri-La Dialogue.

L’insuffisance de régulation en matière de cyber ou de spatial, et la remise en questions de règles établies dans les espaces maritimes, aériens et polaires appellent un renforcement du dialogue multilatéral pour garantir la stabilité de la zone.

Non respect des dispositifs fondamentaux de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer ; exploitation croissante de la liberté de circulation dans les espaces aériens et maritimes au profit de trafics illicites et susceptibles de soutenir le terrorisme ; nouvelles convoitises autour de l’Antarctique pourtant « réserve naturelle consacrée à la paix et à la science » ; multiplication des acteurs étatiques et privés dans le spatial banalisant l’accès à l’espace exoatmosphérique : autant de phénomènes et situations dangereuses qui pourraient croître considérablement si le niveau de confiance entre les Etats venait à encore baisser.

Routes de la Soie : la Chine s’impose

« Ce projet de route de la Soie a été vu avec une relative inquiétude de la part des partenaires de la Chine qui se retrouvent rapidement dans une situation d’asymétrie. Beaucoup ont subi le « piège de la dette ». Face aux investissements colossaux de la Chine, les pays partenaires n’ont pas toujours été en mesure de rembourser les prêts, conférant ainsi à la Chine des moyens de pression et un ascendant politique, ce qui a été globalement perçu comme une forme de menace et d’expansionnisme économique dans la région. » explique Marianne Peron-Doise.

Mais selon Valérie Niquet ce n’est pas tant l’émergence de la Chine qui inquiète « mais la façon dont elle impose ses normes comme norme universelle au détriment des conventions internationales. La Chine a une vision très personnelle de la liberté de circulation en haute mer qui n’est pas celle partagée par les pays de la région, ni par la France, ni par l’Union européenne, ni d’ailleurs par les Etats-Unis. »

Par son expansionnisme dans la région, la Chine tend notamment à encercler l’Inde, un rival stratégique durable pour Pékin. « L’Inde se trouve particulièrement inquiète devant les avancées chinoises dans la région. Elle s’est sentie entrer dans une compétition stratégique directe avec la Chine et dépossédée de ses capacités d’influence traditionnelle dans l’Océan Indien qu’elle considère comme son arrière-cour. La théorie du « collier de perles », c’est-à-dire la constitution par la Chine d’un réseau de facilités portuaires à usage logistique civil et militaire, qui semblait irréaliste dans les années 90, tend à se concrétiser. Le port de Gwadar au Pakistan, la base chinoise à Djibouti et le port dHambantota au Sri Lanka, dont la gestion a été cédée pour 99 ans à la Chine, sont autant de points d’appui pour les intérêts chinois dans la région afin de sécuriser les voies d’approvisionnement maritime de Pékin. Pour l’Inde, cette stratégie est véritablement vécue comme une tentative d’encerclement. » explique Marianne Peron-Doise. « Si les infrastructures portuaires sur le tracé de la Route de la soie chinoise dans l’océan Indien sont pour linstant en majorité destinées à un usage civil et commercial, rien de les empêche d’être utilisées pour servir des desseins militaires.»

Posant comme principe la défense des valeurs démocratiques, la liberté et les droits humains, la promotion du dialogue dans la résolution des conflits et la garantie de la libre circulation des biens et des navires dans le respect du droit international, la France se pose comme défenseur de ces valeurs du multilatéralisme.

Elle tente ainsi de fédérer l’ensemble des partenaires en faveur d’une stabilité de la région et par essence même d’une stabilité internationale empreinte à un équilibre précaire remis en cause à la moindre occasion par des puissances instigatrices d’un jeu qui pourrait bien s’avérer auto-destructeur…

1 Les grands dossiers de Diplomatie n°53 – Octobre/novembre 2019

2 La stratégie de défense française en Indo-Pacifique