Le trafic de stupéfiants à l’épreuve du confinement

Le confinement, épisode inédit de notre histoire, a bouleversé les pratiques délinquantes. Si une baisse des cambriolages a été constatée par les services de police, on a aussi observé une recrudescence des attaques informatiques. Le trafic de stupéfiants a lui-même été très impacté au même titre que les méthodes de travail de l’OFAST, l’office anti-stupéfiants, inauguré par le ministre de l’Intérieur en février dernier. « Durant le confinement on a observé un mouvement de ralentissement global du trafic de 30%. » confie Stéphanie Cherbonnier, contrôleuse de la Police Nationale et cheffe de l’OFAST, (office anti-stupéfiants).

Par Simon DOUAGLIN

L’annonce

La perspective du confinement et la rapide mise en place de celui-ci ont favorisé un bouleversement des pratiques. « Le réseau routier est le principal vecteur d’approvisionnement en stupéfiants en France à hauteur de 90% ce qui a donné un important coup d’arrêt aux réseaux d’approvisionnements. Parallèlement, l’arrêt progressif du transport aérien a coupé la voie d’approvisionnement par le système de mules, depuis la Guyane notamment. En réaction, on a donc vu se former des files d’attente devant les points d’approvisionnement. » explique Stéphanie Cherbonnier. « Il faut rappeler qu’à la veille du confinement, personne ne savait quelle serait la durée de ce dernier, ce qui a accentué un sentiment d’impuissance et une volonté pour les consommateurs d’anticiper la pénurie. » complète Thierry Colombié, économiste et spécialiste du crime organisé.

Le rebond

Les acteurs du trafic ont adopté une stratégie de contournement, le commerce illicite s’est adapté aux contraintes. « Malgré le ralentissement des échanges internationaux, les trafiquants ont profité des voies d’échanges alimentaires telles que les containers qui continuaient d’arriver sur le territoires. D’autres moyens ont également été utilisé pour contourner les voies d’approvisionnement traditionnel à l’image de deux voiliers contenant 5 tonnes de résine arrêtés par les services de police espagnols durant le confinement. Pendant cette période, une « ubérisation » du marché a été constatée, s’appuyant sur les réseaux sociaux tels que Snapchat et WhatsApp qui ont permis aux clients de se faire livrer directement à domicile. » poursuit Stéphanie Cherbonnier. « La culture « indoor », sur le territoire de l’Hexagone, a également permis de compléter les approvisionnements comme en témoignent les saisies majeures réalisées pendant cette période. »

La pénurie

Ces nouveaux procédés n’ont pas permis d’apaiser les tensions durablement. Face au ralentissement de l’approvisionnement, des conflits importants sont apparus dans les quartiers. « On estime une augmentation de la violence de l’ordre de 20%, résultant des conquêtes et reconquêtes de territoires notamment dans les villes de province comme Rennes, Strasbourg ou Bordeaux et une augmentation de 40 à 60% des prix de tous produits confondus. Toutefois, ce phénomène a été moins observé dans les régions frontalières notamment celles situées à proximité de l’Espagne ou des Pays-Bas. » indique Stéphanie Cherbonnier.

Quel bilan à l’heure du déconfinement ?

« Le trafic a repris son cours normal depuis la fin du confinement et la crise a montré la grande capacité d’adaptation de ces réseaux face aux contraintes. » explique Thierry Colombié. « De notre côté nous avons mis en place une stratégie d’entrave pour essayer d’empêcher l’entrée du produit sur le territoire. Pour se faire, nous avons continué à beaucoup échanger avec nos homologues de Belgique, des Pays-Bas, du Brésil et de Colombie. » précise Stéphanie Cherbonnier.

Quelles évolutions des pratiques envisager ?

« Au-delà des trafics habituels dans les quartiers, on voit se dessiner de nouveaux modes de productions, de nouvelles pratiques et de nouveaux espaces. La crise a montré l’implication de plus en plus importante des zones périurbaines dans lesquelles on voit apparaître des cultures professionnelles de cannabis. » détaille Thierry Colombié. Et Stéphanie Cherbonnier d’ajouter : « Loin d’une culture de subsistance on voit apparaître une réelle professionnalisation de la production dans l’Hexagone. Là où les territoires d’Outre-Mer représentaient une grande partie de la production, depuis deux ans, il y a une explosion du phénomène en métropole. Le matériel est acquis sur le darknet et de grands moyens logistiques sont déployés pour produire. »

Par ailleurs, « on voit apparaître une demande et un développement de la kétamine qui transite depuis l’Asie par les nouvelles routes de la Soie. » partage Thierry Colombié. Un phénomène qui pourrait prendre son essor dans les années à venir.

Une réponse sur le temps long

« En tant qu’acteur du deuxième cercle du renseignement, l’OFAST doit poursuivre la structuration de son outil de renseignement, encadrer le recours aux informateurs et poursuivre le développement de la technique au service de l’investigation. La force de l’office repose sur la complémentarité des ressources. » souligne Stéphanie Cherbonnier.

Gendarmes, policiers, douaniers, contractuels échangent et partagent leurs compétences. Il faudra continuer à travailler avec les territoires : déjà 11 antennes sont implantées et 2 autres verront le jour prochainement en Outre-Mer pour un objectif de 240 personnels à l’horizon 2022. La lutte contre le trafic de stupéfiant est une lutte globale : de la coopération internationale, au contrôle des frontières en incluant la lutte contre le blanchiment. Et Stéphanie Cherbonnier de conclure : « Il s’agit de décloisonner les corps et les compétences pour inscrire la lutte sur le long terme. »