Lutte antiterroriste : l’évolution de la doctrine française et européenne depuis 2015

La série d’attentats perpétrée en 2012 et 2015, a replacé la lutte antiterroriste au cœur de nos politiques publiques en matière de sécurité intérieure et de défense nationale. Un enjeu majeur qui, depuis près de cinq ans, bouleverse l’institution des multiples services concernés, l’organisation judiciaire ainsi que le débat public et parlementaire.

Par Florian BUNOUST-BECQUES

Le renforcement de la doctrine nationale

Le quatrième Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, publié le 29 avril 2013 en réaction aux attaques perpétrées par Mohamed Merah en 2012, décrivait le terrorisme comme une « menace majeure et persistante » requérant le maintien du plan Vigipirate instauré en 1995. L’électrochoc des attentats terroristes d’inspiration islamiste de 2015, commis en région parisienne (148 morts et 433 blessés) et ressentit au-delà de nos frontières, a invité la France à renforcer sa posture s’appuyant sur une doctrine nationale de plus en plus riche. Aujourd’hui, il n’est plus surprenant de découvrir que la menace terroriste se positionne comme le premier enjeu prioritaire de la Stratégie nationale du renseignement publiéeenjuillet 2019 qui rappelle l’importance de son articulation avec l’action judiciaire.

A l’aune du quinquennat d’Emmanuel Macron, la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017 est, quant à elle, venue souligner la fragilité de la résilience nationale face au phénomène terroriste par la « diffusion d’idéologies remettant en cause les valeurs et les principes de la République » accentué par les moyens numériques, vecteur de la diffusion des outils de radicalisation, en particulier envers les publics les plus vulnérables. Le 23 février, 2018, le Premier ministre Edouard Philippe a présenté le Plan d’action contre la radicalisation et le terrorisme (PART) qui vise à renforcer les effectifs de la DGSI (de 3 301 en 2014 à 4 038 en 2018) et du renseignement territorial (de 1 967 à 2 600 sur la même période) et à déployer un schéma national d’intervention hexagonal pour renforcer la réactivité des forces de sécurité intérieure (FSI) dont les événements de l’époque avaient pointé les faiblesses. Conformément aux engagements du PART, le Plan d’action contre le terrorisme (PACT) est publié le 13 juillet 2018. Ce nouveau plan prévoit la mise en place de 32 actions basées sur cinq priorités (connaître, entraver, protéger, réprimer et l’Europe qui protège), pour répondre à l’évolution des menaces caractérisées par la répétition d’attaques conduites par des acteurs endogènes. Enfin, le Gouvernement a souhaité lancer une grande réflexion visant à la publication d’un prochain Livre blanc de la sécurité intérieure. En effet, depuis le dernier Livre blanc de la sécurité publique de 2013, le climat sécuritaire intérieur nécessitait, à l’instar des armées, une nouvelle dynamique globale ardemment réclamée par les acteurs de terrain et les institutionnels, à l’image de Thibault de Montbrial, Président du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure (CRSI), dans sa tribune du 7 juin 20181.

La création du parquet national antiterroriste

L’électrochoc de 2015 avait également conduit à de nouvelles dispositions législatives visant à accroitre les capacités de la France en la matière. A ce titre, ce ne sont pas moins de six lois (hors état d’urgence et prorogation) qui, non sans débats passionnés et controversés, furent adoptées depuis 2012. Cependant, l’initiative sans doute la plus significative reste la création du Parquet national antiterroriste (PNAT), second parquet national de France avec le Parquet national Financier (PNF). Une création qui répond à une exigence de spécialisation du parquet et qui offre une visibilité institutionnelle au procureur en particulier sur le plan international. En vigueur depuis le 1er juillet 2019, il apporte dorénavant la compétence au procureur pour la poursuite, le jugement et l’exécution des peines dans le domaine des infractions terroristes, celles relatives à la prolifération d’armes de destruction massives et de leurs vecteurs, les crimes contre l’humanité et crimes de guerre, les crimes de tortures commis par les autorités étatiques et les crimes de disparition forcées. Un PNAT qui vient remplacer l’historique section C1 du parquet de Paris, héritière du service central de lutte antiterroriste d’Alain Marsaud créé en 1986, dans un contexte marqué par les attentats d’Action directe, du Front de libération populaire de la Palestine, du GIA ou encore du Hezbollah. Ainsi, on apprenait récemment que dans le cadre de l’information judiciaire ouverte sur l’attentat de Nice du 14 juillet 2016, (86 morts et 458 blessés), le PNAT a requis la mise en accusation devant la Cour d’assises de neuf personnes, dont quatre pour association de malfaiteurs terroristes criminelle dans la perspective d’un procès en 2022.

L’enjeu de la lutte contre la radicalisation

Créé en 2015, le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) a vu le nombre de signalements passer de 4 000 en 2016 à plus de 21 000 en mai 2019. La typologie d’attentats et leurs auteurs ont fait émerger l’épineux problème de la radicalisation dans les rangs de l’administration comme les forces de l’ordre et en milieu carcéral. C’est un fait, si l’uniforme est une cible privilégiée, le danger peut également surgir de l’intérieur. A titre d’exemple, l’attentat de la Préfecture de Police de Paris, le 3 octobre 2019 (4 morts et 2 blessés) par un fonctionnaire, a ouvert le débat quant à la gestion de ces signaux faibles ou forts, isolés mais réels. Ainsi, on apprenait que 27 fonctionnaires de la Préfecture de Police de Paris ont été signalés pour radicalisation en 20192. De manière concomitante, un rapport révélait qu’une trentaine de militaires français a depuis 2012, rejoint la zone de guerre irako-syrienne3. Enfin, si l’efficacité des outils de la lutte antiterroriste a mécaniquement fait augmenter le nombre de condamnations, il a accru le risque de la radicalisation carcérale qui interroge quant à l’attitude des détenus remis en liberté. La crise sanitaire de la Covid-19 a invité la Garde des Sceaux à accélérer la sortie de détention de 8 000 détenus dont 25 radicalisés arrivant en fin de peine. Le Parlement examinera cet été une proposition de loi visant à renforcer le suivi et la surveillance des profils les plus inquiétants pour prévenir, et non punir, alors qu’on apprend que 534 individus étaient détenus en mars pour terrorisme et que 153 sont éligibles à la libération d’ici trois ans (42 en 2020, 64 en 2021, et 47 en 2022)4.

La difficile coopération européenne

Loin d’être un problème uniquement national, les attentats de 2015 ont mis en exergue la porosité du système transfrontalier européen qui a permis la circulation sans encombre des hommes et des armes d’un Etat membre à un autre (de la Belgique à la France) sans que les services de renseignements des pays respectifs aient la capacité d’identifier ces mouvements et de les interpréter. A titre d’exemple, près de 1 700 individus radicalisés ont d’une part réussi à se rendre en zone de guerre irako-syrienne mais pis, si 450 seraient morts, près de 300 seraient parvenus à rejoindre le territoire européen en se fondant dans les flux migratoires. L’Union Européenne, fortement sollicitée par ses membres, a progressivement pris conscience de la mesure de la menace qui frappait à ses portes et de sa responsabilité pour accroitre les interactions entre services nationaux afin de mieux prévenir la menace endogène exponentielle. Le 29 janvier 2020, le Sénat a entamé le processus législatif du projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée, visant à faire coïncider les compétences des parquets nationaux avec le nouveau Parquet européen. Le texte vise notamment à ajuster les compétences du PNAT afin d’en faire l’interlocuteur de la Cour pénale internationale (CPI) dans le cadre de l’entraide judiciaire et de lui attribuer une compétence en matière de crimes et délits contre les intérêts fondamentaux de la Nation.

Florian BUNOUST-BECQUES est Membre du Pôle renseignement du Centre d’Etude de la Sécurité et de la Défense (CESED) et Directeur du Pôle Armées du Centre international de Recherche et d’Analyse (CIRA) de l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée (EGA).

1https://www.lefigaro.fr/vox/societe/2018/06/06/31003-20180606ARTFIG00316-pour-que-l-etat-ait-les-idees-claires-un-livre-blanc-de-la-securite-interieure-s-impose.php

2https://www.bfmtv.com/police-justice/attentat-a-la-prefecture-de-police-27-fonctionnaires-ont-ete-signales-pour-radicalisation-depuis-l-attaque_AV-201910210006.html

3http://cat-int.org/wp-content/uploads/2019/12/CAT-Militaires-Djihad.pdf

4 https://www.lefigaro.fr/actualite-france/des-mesures-de-surete-pour-les-terroristes-sortant-de-prison-20200617