L’industrie française en ordre de marche pour les JOP 2024

Anticipation, développement de solutions éthiques et transparentes, travail conjoint entre grands groupes, PME et start-up. Les entreprises françaises n’ont qu’un objectif en tête : être opérationnelles pour assurer la sécurité de la Coupe du monde de rugby en 2023 et les JOP 2024.

Par Lola Breton

« Les Jeux Olympiques et Paralympiques 2024 sont un projet très visible mais aussi très varié en termes de besoins et de donneurs d’ordres. Les solutions de sécurisation de ce grand événement doivent donc être coordonnées pour que la sécurité soit assurée. » Marc Darmon, président du comité stratégique de filière industries de sécurité, compte donc sur le travail conjoint des entreprises du secteur. Parmi les 4000 entreprises – grands groupes, PME, ETI et start-up – qui composent la filière, nombreuses sont celles qui sont prêtes à se positionner. En dehors de ce consortium, d’autres industriels français sont aussi à pied d’œuvre pour se faire une place olympique.

Vidéoprotection, systèmes d’information, gestion des flux et contrôle d’accès sont autant d’éléments que l’industrie française est aujourd’hui en mesure de sécuriser. Les entreprises du secteur disposent de l’ensemble des solutions technologiques pour le faire mais entendent utiliser ces trois prochaines années pour continuer à les perfectionner, avant la coupe du monde de rugby, en 2023 et les JOP l’année suivante. « Beaucoup voient 2024 comme un avenir lointain, mais c’est dès aujourd’hui qu’il faut travailler, rappelle Marc Darmon. Le souvenir des JOP de Londres occupe tous les esprits. » En 2012, les organisateurs des Jeux avaient notamment fait appel à une société privée pour assurer la sécurité. Face à l’ampleur de l’événement, l’entreprise, G4S, n’avait pas pu tenir ses engagements – particulièrement en matière de recrutements – et l’armée britannique avait dû prendre le relais. Pour 2024, le travail conjoint engagé entre industries, État français (Direction de la Police Nationale, Gendarmerie, Préfecture de Police de Paris, avec le soutien de l’ANSSI, du SGDSN, du CEA et de la DGE) et organismes olympiques doit permettre d’éviter que se reproduise une telle situation. Comme le souligne Daniel Le Coguic, Senior Vice President, secteur Public et Défense d’Atos et responsable du Programme structurant « Sécurité des grands événements et des Jeux Olympiques et Paralympiques 2024 » au sein du CSF, « le programme recouvre trois objectifs : assurer le succès des Jeux en toute sécurité ; contribuer à la mise en œuvre d’une stratégie dans un continuum de sécurité en mettant des technologies et innovations à disposition des forces de sécurité ; accélérer la structuration et développer la filière des industries de sécurité françaises. »

Coopérer pour mieux anticiper

« L’anticipation est un principe essentiel pour organiser les JOP. D’autant qu’une partie des menaces de 2024 nous sont encore inconnues à l’heure actuelle », prévient Daniel Le Coguic.

Avec 13,5 millions de spectateurs, 15 000 athlètes, 50 000 volontaires attendus, concentrés sur 37 sites olympiques – dont l’un situé à 15 700 km de Paris – et 300 sites actifs, les risques sécuritaires s’accumulent. « En matière de cybersécurité, les infrastructures, les accès peuvent être attaqués, détaille Marc Darmon. Il faut également pouvoir lutter contre le terrorisme et les actions violentes, contre d’éventuels accidents industriels, contre la délinquance et la criminalité, les fausses informations, les menaces écologiques. »

La cybersécurité est en effet un volet prégnant de la sécurisation des grands événements à venir. La massification des flux de données et la multiplication des objets connectés d’ici 2024 placent les attaques cyber comme l’un des risques majeurs des prochaines années – par le Secrétariat général de la défense de la sécurité nationale (SGDSN). Pour EGERIE, PME spécialisée dans l’analyse et la gestion de ce type de risques, cette phase de préparation très en amont est indispensable et inscrite dans son ADN : « La menace cyber sur les grands événements est indéniable. Il est donc essentiel de se positionner à travers une approche par anticipation en réfléchissant à toutes les éventualités liées à la sécurité, et ce dès à présent », appelle Jean Larroumets, co-fondateur et président d’EGERIE. Et d’ajouter « D’ici 2024, la modélisation des risques sera de plus en plus fine et leur phase d’analyse la plus automatisée possible pour prendre des décisions éclairées ». « Il nous faut agréger les savoirs des différents orchestrateurs des Jeux pour avoir une vue globale est ainsi rationnaliser les menaces. » insiste-t-il. Et de rappeler « Les crises que nous traversons aujourd’hui nous font prendre conscience de la nécessité d’agir dès maintenant et de devancer les obstacles. D’autant que, qui dit contrainte de temps, dit contrainte de coûts. »

« Mobiliser l’ensemble de l’industrie française »

« Nous devons maîtriser le calendrier, les coûts et la compétitivité », martèle Marc Darmon. C’est certain, la pandémie de Covid-19 a légèrement ralenti l’avancée des tests technologiques en préparation des JOP. Depuis la signature du contrat de filière en janvier dernier, le CSF a prévu de réunir les industriels pour « réfléchir sur les cas d’usage et commencer les expérimentations ». Pour Marc Darmon, il est essentiel de lancer ces études dans l’année : « Nous devons comprendre ce que les technologies apportent, quels sont les risques et les avantages de chaque solution. » Le président du comité stratégique espère pouvoir commencer les études cet été.

Du côté des PME, chez Rohde & Schwarz Cybersecurity, on espère aussi pouvoir rapidement lancer le travail de co-construction avec les autres acteurs. « La situation actuelle nous oblige à accélérer plutôt qu’à prendre notre temps. La prochaine étape est donc le lancement des ateliers techniques orientés sur les solutions », attend Stéphane de Saint Albin, président de la branche française.

Prendre du retard pourrait donner l’opportunité à des industriels étrangers de se positionner. « Ce serait un comble ! s’exclame Marc Darmon. Le risque de se voir dépasser par la concurrence étrangère viendra surtout de la pression du temps, si l’on en vient à acheter des solutions ‘sur étagère’ déjà utilisées à Tokyo, par exemple. Or, chaque événement a des contraintes précises, qu’il faut prendre en compte. » Pour le président du CSF et directeur général adjoint de Thales, en charge des systèmes d’information et communication sécurisés, les JOP 2024 sont « l’occasion de créer une référence française d’industriels ». Les grands groupes qui composent la filière ont déjà assis leur savoir-faire et leur position de leaders à l’étranger : « Airbus dans les communications des forces de sécurité en Europe, Thales, Atos et Orange dans la cybersécurité des réseaux mondiaux, Idemia et Thales dans la sécurité, l’identité numérique et les titres sécurisés dans le monde », souligne-t-il. Pour identifier les sociétés françaises prêtes à participer à la sécurisation des Jeux, le CSF, sous l’égide du SGDSN et du pôle Safe de la région PACA, a lancé des appels à manifestation d’intérêt (AMI). À leur suite, plus de 260 dossiers ont été reçus et 135 technologies ont été labellisées.

Alors que le marché de la sécurité est aujourd’hui dominé par les États-Unis, Israël et la Chine, l’un des objectifs du groupe de travail sur les Jeux est de « mobiliser l’ensemble de l’industrie française et accélérer sa structuration », rappelle Daniel Le Coguic. Et ce avec un objectif clair : la souveraineté et l’indépendance de la France dans le domaine de la sécurité et de la cybersécurité. Le pays aura ainsi davantage de poids pour contribuer au développement de la politique industrielle européenne. Pour cela, les grands groupes industriels se sont engagés à coopérer et à agréger des start-up et PME dans les projets de sécurisation. Axis Communications s’est également engagé à intégrer au maximum des algorithmes et logiciels français à ses caméras réseaux, comme l’explique Vincent Paumier, responsable de l’activité Villes et JO dans la société. « Participer à la sécurisation des JOP 2024 est un challenge fantastique, appuie David Ofer, vice-président d’ITrust. Cela va permettre à la technologie française de rayonner au niveau international. C’est une chance pour faire progresser les algorithmes et la capacité de cyberdéfense française. » Une volonté partagée par Stéphane de Saint Albin, qui ajoute : « Ce serait formidable si l’organisation de la sécurité des Jeux marquait le début d’un partenariat pérenne entre les PME et les grands groupes, notamment avec Atos. »

Développer des solutions éthiques

Les entreprises françaises, petites ou grandes, disposent aujourd’hui de multiples compétences en matière de logiciels et applications sécurisés by design et éthiques, de cloud de confiance, de protection des données personnelles et de données sensibles. « La filière des industries de sécurité ne se limite pas au projet structurant de sécurisation des grands événements. » rappelle Marc Darmon. Les entreprises du CSF sont engagées sur les enjeux d’identité numérique, de cybersécurité et de sécurité de l’Internet des objets, de ville intelligente et de cloud de confiance. Le président de la filière détaille ce dernier projet : « Il s’agit d’élaborer des cloud souverains, libres du Cloud Act [loi américaine qui permet aux forces de l’ordre d’avoir accès aux données stockées sur les serveurs américains, qu’ils soient situés sur le sol étatsunien ou non, NDLR]. Nous avons aujourd’hui un catalogue d’offres, provenant d’OVH, Outscale, Thales, Atos ou Capgemini, et des solutions en SaaS avec des fonctions au moins aussi riche que celles des GAFAM ou des BATX. »

Lors de la coupe du monde de rugby et des JOP 2024, assurer la protection et l’intégrité des données de la compétition et de toutes celles adjacentes à son organisation – contrôle d’accès des athlètes et des employés, lecture des billets d’entrée des spectateurs, etc. – est un enjeu majeur. Stéphane de Saint Albin l’assure, « R&S Cybersecurity saura sécuriser les données sur des cloud non-européens, même si la souveraineté doit rester l’objectif. »

Entraîner les algorithmes

« Les solutions existent, mais l’offre continue à évoluer », résume Stéphane de Saint Albin. Rohde & Schwarz Cybersecurity souhaite fournir une prestation de sécurité des applications et des données sensibles. « Le principe est de chiffrer les données sensibles – qu’elles le soient à un moment donné, avant la publication des résultats de compétition, ou en permanence – en les liant au ‘droit à en savoir’. Ainsi, seules les personnes habilitées pourront y accéder », explique le président de R&S Cybersecurity France. Le but pour 2024 : avoir travaillé avec les développeurs d’applications « pour que, dès la phase de design, une politique de sécurité soit générée en fonction de la nature de l’application », ce qui renforcerait la sécurité intrinsèque des logiciels.

Pour les spécialistes de la donnée d’ITrust, la sécurisation des données sportives est également au cœur des réflexions. « En plus de devoir faire de la prévention cyber sur les équipements physiques, pour contrer les tentatives de cyberattaques internes ou externes, il ne faut pas oublier de protéger les données de compétition, appuie David Ofer. Elles ont une valeur extrêmement importante, notamment à travers les paris sportifs. Les sommes engagées vont être colossales. Il s’agit donc de s’assurer de la véracité des informations transmises. » Pour cela, la start-up spécialiste de la cybersécurité des SOC compte s’appuyer sur l’intelligence artificielle. « Pendant les JOP, il faudra savoir traiter des pics de données sur des durées très courtes, prévoit David Ofer. Nos data scientists travaillent déjà à l’entraînement des algorithmes existants et à en développer de nouveaux, qui sauront détecter les comportements anormaux dans une grosse masse de données. » Pour s’assurer de la fiabilité de ces algorithmes pour un événement aussi massif que les Jeux olympiques, ITrust espère pouvoir les entraîner lors de prochaines rencontres sportives, lorsque la saison reprendra.

L’heure est aussi au développement de l’IA chez Drone Volt. L’entreprise a vu trois de ses solutions drones labellisées « Grands événements dont les Jeux Olympiques Paris 2024 » en novembre 2019. « L’enjeu est désormais de travailler sur la détection de mouvements de foules ou de comportements anormaux », explique Olivier Gualdoni, son PDG. Les premiers tests ont commencé en mars.

Le temps des Jeux

« Nous pourrons coupler les briques d’algorithmes IA avec des drones filaires, automatiques, assure Olivier Gualdoni. Il faudra cependant délimiter un rayon de sécurité pour s’assurer que les drones ne survolent pas directement les gens. » S’il est question de survol, la loi évoluera. À quatre ans des Jeux en France, l’enjeu de la reconnaissance faciale interroge également la législation. « Techniquement, la reconnaissance faciale fonctionne très bien. Désormais, l’État doit se l’approprier dans le cadre des Jeux, sur les sites olympiques », appelle Vincent Paumier, en charge du projet Villes et JO chez Axis Communications. « Il n’est évidemment pas question de restreindre les libertés publiques de la population, mais d’assurer la sécurité d’un grand événement en s’appuyant sur des technologies qui ne portent pas atteinte aux données personnelles des citoyens. » Dans le contexte des JOP, il voit se détacher trois utilisations possibles de la reconnaissance faciale : « autoriser l’accès à certains sites, assurer la sûreté de l’État – en la liant aux fichiers de police existants et, à posteriori, trouver l’auteur d’une infraction. » En attendant, Axis affirme pouvoir se positionner sur la sécurisation des Jeux au travers de ses solutions existantes : contrôle d’accès des personnes accréditées par QR code, la vidéosurveillance des sites de compétition et d’entraînement, des villages des athlètes et des médias. Mais aussi au travers de solutions d’analyse vidéo et d’intelligence artificielle, telle que la détection d’intrusion, la vidéoverbalisation ou encore le comptage de véhicules et de personnes. Du côté de Drone Volt, la pandémie a permis à l’entreprise d’Olivier Gualdoni de « programmer des réseaux neuronaux pour identifier si les passants portent des masques ; sans que l’algorithme ne soit porté par un drone, d’ailleurs ».

L’équipe France semble donc prête à sécuriser les Jeux 2024. La suite du programme est déjà cadencée par le groupe de travail présidé par Daniel Le Coguic : « La fin d’année 2020 sera, dans la mesure du possible, dédiée à l’étude détaillée et à la définition d’une première maquette générale de sécurité. En 2021, nous pourrons commencer la conception et l’intégration des premiers sous-systèmes et expérimenter les technologies. 2022 sera l’année de l’implémentation et de la construction de la plateforme finale de sécurité, pour pouvoir la mettre à disposition de la sécurité de la coupe du monde de rugby, en 2023. »

Plus qu’un défi à relever et une opportunité de croissance, participer à l’événement et à son organisation s’ancre aussi dans les valeurs intrinsèques des entreprises. Jean Larroumets, président d’EGERIE, appuie : « L’olympisme, c’est le partage, l’exigence commune, le dépassement de soi. Des valeurs qui doivent être cultivées par les entreprises et se retrouver dans le développement de leurs technologies. »