La sécurité de l’eau au coeur des territoires de confiance

Partout dans le monde la pression hydrique s’accentue. Augmentation de la population, sécheresse, cultures intensives : l’eau est déjà à l’origine de tensions importantes et la tendance s’alourdie.

La problématique de l’eau se situe au carrefour des grands enjeux d’avenir : santé, agriculture, économie, géopolitique. L’approvisionnement et le traitement sont deux défis majeurs à relever dans les années à venir. Tout l’enjeu sera de fédérer les acteurs et d’encourager l’innovation à des fins de protection de la ressource et de la biodiversité.

Par Simon DOUAGLIN

Menaces et enjeu stratégique

Les risques de vandalisme, de pollution industrielle, d’actes malveillants ont favorisé le développement d’installations de transport et de traitement de l’eau particulièrement résilientes. Pourtant, on pourrait voir émerger des menaces plus ciblées et revendiquées notamment dans un contexte de risque terroriste.

La progressive raréfaction de la ressource hydrique pointe déjà des dysfonctionnements du circuit et les nécessaires besoins d’investissements. « Pour faciliter l’échange d’eau entre les territoires, il faut des dispositifs permettant de les connecter entre eux et ils ne sont pas toujours en place. En effet, ces dernières années lors de sécheresses dans certaines régions, l’eau potable a dû être acheminée. Cela témoigne du manque d’investissement dans ce domaine. C’est un enjeu majeur auquel il faudra réfléchir à l’avenir. » plaide Frédéric Van Heems, directeur général de Veolia Eau France et président de la Fédération Professionnelle des Entreprises de l’Eau (FP2E). A cela s’ajoute une difficulté de répartition de la responsabilité, souvent inadaptée à la gouvernance des territoires. « Les crises liées à l’eau peuvent impliquer différentes zones géographiques, et donc des autorités de périmètres très différents: depuis la petite zone rurale jusquau bassin fluvial de grande taille. Il peut en résulter des difficultés institutionnelles : à titre dexemple, cest le maire qui est autorité de police générale alors quune crise affectant la distribution deau potable affectera presque toujours un territoire dépassant celui de la commune, une agglomération par exemple. La gestion des crises frontalières risque d’être particulièrement délicate dès quil sagira de décider, dimposer et de faire respecter des contraintes à la population. » concède le Préfet André Viau, président d’ARES audit et co-fondateur d’Aqua Sûreté.

Pour la 14e édition, le Forum économique mondial a présenté son rapport dans lequel il pointe le risque de pénurie d’eau comme une menace majeure et un éventuel facteur de déstabilisation globale. « Plusieurs grandes villes sont menacées par le « jour zéro », ce moment où plus une seule goutte deau ne sortira de leurs robinets. Elles doivent alors mettre en place des restrictions pour tenter de contrer le compte à rebours. »1

Ce risque pourrait toucher de plus en plus de mégapoles, du fait de l’urbanisation ou des changements climatiques. S’il se généralisait, ce choc sociétal pourrait exacerber les inégalités, entrainer des conflits et perturber les systèmes de santé. « Ce risque pourrait être atténué par une meilleure planification en période d’abondance, une meilleure sensibilisation des consommateurs et une meilleure récupération des eaux. » ajoute le rapport.

Innovation et confiance

« L’innovation est essentielle pour améliorer les technologies de traitement et d’approvisionnement de l’eau. Les usines de traitement sont déjà équipées de capteurs et de balises permettant de contrôler la quantité et la qualité des eaux en temps réel mais il s’agit de poursuivre cette évolution en mettant l’accent sur la sécurité des installations afin de garantir l’intégrité de la ressource dans une perspective de confiance avec les usagers. » poursuit Frédéric Van Heems. « Un travail particulier est effectué sur la blockchain qui pourrait devenir une solution susceptible de faciliter le traçage des boues d’épuration épandues et compostées. »

Pour Jean-François Blanchet, dirigeant de BRL, entreprise dont l’activité consiste à gérer la ressource dès le milieu naturel : « l’innovation permet d’avoir un regard plus avancé sur l’optimisation du fonctionnement du réseau. Nous avons doté nos installations d’un système de comptage des fuites d’eau et d’évaluation de la pression hydrique. Cette remontée de données issue des installations permet d’avoir un aperçu en temps réel de la situation sans avoir besoin de se déplacer. Cela permet aussi de comprendre plus rapidement les besoins et et daccompagner notre trajectoire de transition énergétique et écologique, en monitorant mieux les impacts de nos actions. C’est un aujourdhui un réel outil daide à la décision pour le management des installations. L’innovation est un gage d’efficacité et pour les utilisateurs finaux un gage de qualité et de confiance. » Et d’ajouter : « Aussi nous développons une stratégie dinvestissement ciblé : investissements physiques et équipementiers, approche renforcée du digital et des capacités de surveillance physique avec l’installation de capteurs de détection de présence, accompagnés de caméras et de détecteur de mouvement. Contrairement à une usine dont la localisation est fixe, la répartition en réseaux des installations de traitement et d’approvisionnement en eau, sur l’ensemble d’une région augmente, par la même, la surface de menaces. Les outils numériques deviennent ainsi indispensables pour obtenir une vue globale. Pour analyser ces flux d’informations, nous développons également des innovations croisées autour de l’intelligence artificielle au sein de l’institut interdisciplinaire d’intelligence artificielle (ANITI) de Toulouse. » détaille Jean-François Blanchet. Cet élan d’innovation pourrait s’inscrire, à terme, comme un gage d’efficacité et de confiance dans les territoires.

Mais la digitalisation des installations accentue la menace cyber. « Toute technologie est à la fois une avancée et une menace. On observe une forme de course entre la menace cyber et les moyens que nous mettons en place symétriquement pour lutter contre cette celle-ci. Il s’agit continuellement de penser, réfléchir et organiser la réponse face à ce risque invisible mais présent en permanence. L’enjeu de l’eau est tel que pour prévenir chaque menace nous prévoyons une réponse spécifique et une source d’approvisionnement alternative. » explique Jean-François Blanchet. Et Franck Galland, chercheur associé pour la Fondation pour la Recherche Stratégique, co-fondateur d’Aqua Sûreté et directeur général d’Environmental Emergency and Security Services (ES²), d’ajouter : « Les installations sontsous la menace de prises de contrôle à distance et des attaques en déni de service. C’est pourquoi nous devons muscler notre système de défense du système d’information industriel. Même Israël, pourtant à la pointe en matière de défense cyber, a essuyé début mai 2020, une attaque sur son réseau de transport d’eau. C’est dire l’importance que revêt la protection des installations hydrauliques et son volet cyber dans le continuum de sécurité. »

Le caractère vital de l’approvisionnement et du traitement de l’eau peut être vecteur de tentatives de déstabilisation informationnelle et de défiance de la part de la population. « Il faut bien sûr maîtriser la communication publique particulièrement délicate dans ce domaine où les craintes peuvent être alimentées par les fausses informations. » confirme le Préfet André Viau.

Face à la pandémie, les entreprises de confiance

Parties intégrantes de la chaine sanitaire, les entreprises de l’eau et les collectivités locales ont été particulièrement engagées dans la lutte contre la pandémie.« Comme lOMS la confirmé, le virus est totalement détruit par les outils habituels de traitement. » rassure Frédéric Van Heems. « Mais au-delà de cette crise sanitaire, il faut renforcer la confiance dans notre eau du robinet. C’est le produit alimentaire le plus contrôlé, un produit écologique, comparé aux eaux en bouteille, et très bon marché. C’est un élément essentiel de confiance pour les Français et leur pouvoir d’achat. »

Elément constitutif de nos territoires, l’eau sera également un élément stratégique à l’heure de l’émergence des territoires de confiance. « L’avènement de la smart city amène le besoin de contrôle de la qualité de l’eau en temps réel. Sur le modèle des outils de régulation de la circulation ou de gestion d’approvisionnement énergétique, la ville intelligente se verra dotée de capteurs connectés à l’entrée et à la sortie des installations de traitement et de stockage d’eau. L’installation de capteurs directement sur le réseau est ainsi souhaitable : à l’entrée et à la sortie des bâtiments sensibles comme les hôpitaux ou les bases militaires. L’enjeu final est de pouvoir évaluer l’état de la ressource, identifier les potentielles altérations – volontaires ou non – et agir en conséquence. Le contrôle se fait par la température, la conductivité de l’eau distribuée, mais également par son acidité, le chlore résiduel qui s’y trouve ou d’autres paramètres. » détaille Franck Galland. « Cette implantation des capteurs doit s’accompagner d’une centralisation du recueil de toutes les données de sécurité urbaine à l’image de ce que fait Suez pour la ville de Dijon, permettant ainsi au décideur public de disposer d’une vision large de la situation sur le terrain. »

Des solutions éclectiques

Le traitement de l’eau pourrait voir ses fondements évoluer pour faire face à la demande notamment en dissociant eau potable et eau usée traitée. « L’eau usée traitée pourrait être une solution pour des usages ne nécessitant pas d’eau potable tels que le lavage des voitures, pour arroser les plantes, le nettoyage des chaussées. On n’utilise seulement 1% de ces eaux en France mais à l’avenir on pourrait voir ce chiffre atteindre 10% ou 15%, comme en Espagne ou en Italie. Des pays comme Israël où la pression hydrique est beaucoup plus intense sont même arrivés à réutiliser 80% de ces eaux. Cela semble donc être une solution d’avenir pour notre pays. » indique Frédéric Van Heems.

La dessalinisation de l’eau pourrait également être une solution. Toutefois, « cela reste tout de même une solution à la marge pour notre pays. Dessaliniser l’eau de mer pour en faire une eau propre à la consommation demande beaucoup d’énergie. Cette solution coûteuse et nécessitant des technologies spécialisées ne paraît pas être une réponse aux enjeux auxquels la France est actuellement confrontée.» complète Frédéric Van Heems.

Aujourd’hui, la sécurité de l’eau est prise en compte par une coopération entre les acteurs privés et publics. « En matière de sécurité/sûreté les échanges réguliers entre les responsables de chacune des organisations en charge, publiques ou privées, doivent être encouragés. Ils permettront de mieux percevoir les signaux faibles, d’analyser et de prévoir les menaces émergentes, d’échanger sur les bonnes pratiques. C’est dans cet esprit quAqua Sûreté organise des rencontres entre les responsables sécurité/sûreté d’une cinquantaine dorganismes intervenant dans le domaine de leau avec notamment BRL, Véolia ou Phytocontrol. » souligne le Préfet André Viau. « Les responsabilités des autorités publiques (Etat et collectivités), celles des délégataires et des partenaires privés sont étroitement imbriquées. Une bonne coopération est indispensable, notamment en période de crise: cela implique la connaissance mutuelle préalable des acteurs engagés, des échanges dinformation efficaces, des décisions coordonnées et une communication cohérente. »

Pour faire face à l’enjeu, d’autres solutions sont à l’étude. « L’outil satellitaire dans son application terrestre ou le développement de progiciels spécialement adaptés à la gestion hydrique pourrait également voir le jour dans les années futures. La question de la gouvernance étant centrale, il faudra aussi trouver un point d’équilibre entre une gestion très locale des ressources et la représentation des intérêts nationaux à l’échelle internationale. » complète Jean-François Blanchet.

« Lorsqu’une problématique au niveau local n’est pas traitée ou s’envenime, elle s’étend au niveau national puis atteint l’échelon global. » affirme David Blanchon, professeur de géographie à l’université Paris Nanterre et et à l’Unité Mixte Internationale iGLOBES.

Mais si la raréfaction de l’eau peut engendrer des tensions, l’eau n’est jamais la seule cause d’un conflit. « Elle intervient plutôt comme un élément alimentant des crises déjà existantes. Dès lors, il ne semble pas envisageable de voir l’émergence de tensions de grande intensité liées uniquement à l’eau car il existe pour l’instant des solutions plus efficaces et moins coûteuses pour retraiter et générer de l’eau. Pourtant de manière générale, la qualité de l’eau s’altère et ce phénomène risque de s’accentuer encore à l’avenir. Il paraît donc déterminant pour tous les pays d’anticiper cette problématique dès à présent afin d’être prêt à faire face à la raréfaction de la ressource dans les décennies à venir. Les infrastructures nécessitent d’être pensées et construites sur le temps long. » conclut David Blanchon.

L’approvisionnement, le traitement et la sécurité de l’eau seront donc des éléments structurants à prendre en compte pour façonner les futurs territoires de confiance.

1 The Global Risks Report 2019, 14th Edition – World Economic Forum