Territoires de demain : le défi de la confiance sur les 5 continents

« Experimental Prototype City of Tomorrow » [Prototype expérimental de la ville de demain] pourrait être un nouveau projet de smart ou de safe city. Pourtant, c’est le nom d’un des parcs à thèmes imaginé par Walt Disney en Floride. Mêlant les enjeux d’urbanisme aux cultures de différents pays du monde et autres arts de vivre, le parc voit la technologie numérique devenir le trait d’union qui transcende les cultures et rassemble les peuples autour de valeurs universelles.

Une approche déjà visionnaire des territoires de confiance émergents ?

Par Louis Tufin

Repenser les aires urbaines

Dans une perspective de réduction de la pollution et du gaspillage, au sein de villes où la population croît de façon exponentielle, il s’agit de repenser l’avenir de nos aires urbaines. Des acteurs proposent des alternatives innovantes et disruptives pour faire face à ces problématiques et dans le but d’encourager le vivre-ensemble. « Le concept de smart city se caractérise par des villes bien agencées, intelligentes et responsables. Nous mettons un point d’honneur à développer des solutions durables, plus justes et inclusives pour le plus grand nombre. » partage Calvin Chu Yee Ming, managing partner de l’Eden Strategy Institute et auteur du rapport intitulé Top 50 Smart City Governments 2018/2019. « Plus smart, plus décarbonnée, plus efficace. » voici la vision de la ville de demain résumée par Carine Staropoli, maître de conférences à la Paris School of Economics et spécialiste de la smart city.

Face à l’augmentation des besoins de la population, il s’agit de trouver un nouveau modèle permettant aux collectivités de ne pas avoir à augmenter les budgets, généralement limités. « Il sera important dans la ville de demain de faire mieux avec moins de moyens. On ne juge pas une ville sur son budget consacré à l’innovation mais plutôt sur sa capacité à mettre en place des outils plus efficaces et plus rapides sans augmenter les coûts. C’est ce que l’on appelle l’innovation sociale. » détaille Calvin Chu Yee Ming, et Carine Staropli d’ajouter « La smart city est un tryptique réunissant acteurs publics, opérateurs privés et citoyens. Les opérateurs, force dinnovation technologique, se mettent au service de la ville et des citoyens. Les pouvoirs publics, quant à eux, sont garants de la confiance au sein de la ville intelligente : ils mettent ces technologies au service des citoyens mais régulent aussi les activités privées. »

La crise de la COVID-19 a notamment montré les limites de la ville d’aujourd’hui avec une exode des citadins en quête d’un cadre de vie plus agréable. Une aspiration qui pourrait perdurer selon les experts immobilier qui voient en cette période post-déconfinement en France, une recrudescence des recherches en zones péri-urbaines, villes moyennes ou petites villes.

Des aspirations différentes

Les villes choisissent des orientations différentes pour fonder les futurs territoires de confiance. La Chine et Singapour ont choisi de développer un modèle technologique assumé mais dont les conceptions varient. La Chine s’oriente vers une autonomisation des villes à grande échelle. Déjà, « l’entreprise chinoise Tencent a annoncé qu’elle investira 500 milliards de yuans au cours des 5 prochaines années pour développer de nouvelles infrastructures, notamment l’informatique en nuage, l’intelligence artificielle, la blockchain, les centres de super calculateurs, l’informatique quantique et les centres de données. » détaille Françoise Halper, spécialiste en anthropologie numérique.

Quant à Singapour, la ville-Etat prône l’intégration et l’inclusion de tous à l’image de l’entreprise Genashtim, spécialisée dans la formation en ligne qui met un point d’honneur à accueillir les personnes en situation de handicap. « En tant qu’entreprise basée sur le cloud, nous offrons un emploi durable à des [personnes] marginalisées dans le monde entier. Cet emploi permet à des […] personnes handicapées de faire entièrement partie de l’équipe et d’apporter leur contribution à la société. » expliquent les responsables de l’entreprise.

De la ville intelligente aux territoires de confiance

Les territoires connaissent des mutations profondes induites par de nouvelles approches conceptuelles (smart city, résilience) et par la transformation numérique. Une économie nouvelle se développe rapidement autour des données et des nouveaux usages. La sécurité des villes et des territoires intelligents s’inscrit comme un élément essentiel à maîtriser pour garantir la tranquillité, la résilience et l’attractivité des territoires. La protection de l’ensemble des données et leur utilisation pertinente ne peuvent se faire qu’en appliquant les principes de sécurité dès la conception des produits et services (privacy and security by design).

« L’enjeu de la gestion des données est central dans la ville intelligente. Celles des citoyens collectées à grande échelle et gérées par les opérateurs privés doivent être assorties d’une garantie forte de respect de la confidentialité pour éviter toute dérive. Obtenir la confiance des citoyens sera à ce prix et les acteurs publics doivent jouer le rôle de tiers de confiance au risque de tomber dans l’effet inverse. Le règlement européen RGPD va dans ce sens, c’est bon signe pour l’avenir. » partage Carine Staropoli.

La gestion des données au sein des territoires intelligents est si décisive qu’elle influence désormais l’avenir des projets. Celui de Quayside, porté par l’entreprise Sidewalk Labs, qui devait voir émerger une smart city sur 5 hectares à Toronto, a été remis en cause en raison des difficultés financières mais également en raison de la défiance que suscitait la gestion des données. Lorsqu’il a été annoncé que les tiers de confiance pouvaient avoir accès aux données clients sans anonymat, Ann Cavoukian ancienne commissaire à la vie privée de l’Ontario démissionne. « Je n’avais pas le choix, car Sidewalk Labs m’avait dit que toutes les données collectées seraient désidentifiées à la source. Vos informations personnelles, votre vie privée sont essentielles. Il ne s’agit pas seulement d’un droit fondamental de l’homme. Il constitue le fondement de notre liberté. »1 explique-t-elle. Il s’agit donc de réfléchir en amont à cette question cruciale de la gestion des données et à la forme que doit prendre l’indépendance du tiers de confiance.

Des solutions existent comme en témoigne le projet Decidim à Barcelone, plateforme participative, qui met un point d’honneur à redonner du lien social, à encourager la participation citoyenne tout en garantissant le respect des données personnelles.

Autre exemple en Espagne, Saragosse dont l’une des forces « est sa culture d’implication et de participation citoyenne. […] Avec le retour de la démocratie au début des années 80, les citoyens de Saragosse savaient que la relance de leurs communautés et le développement des infrastructures civiques dépendraient de la prise en main des choses par eux-mêmes. […] Cela a débouché sur des plans et des actions qu’ils ont inspiré pour construire des centres civiques de quartier, des jardins d’enfants, des centres pour personnes âgées, des bibliothèques publiques et des centres sportifs. Dans les premières années de la démocratie retrouvée, les citoyens et les urbanistes de Saragosse ne pouvaient pas imaginer que, des décennies plus tard, au début du 21e siècle, la ville deviendrait un modèle de transition entre une vision axée sur la technologie à une vision de la ville intelligente centrée sur le citoyen. La confiance dans l’innovation citoyenne était ancrée dans la culture de Saragosse, attendant d’être nourrie et développée.»2 souligne Daniel Sarasa, Urban Innovation Planner à Saragosse.

S’adapter à chaque territoire

Les technologies développées au service des territoires de confiance doivent servir le même objectif mais s’adapter au cadre et contraintes locaux pour obtenir l’assentiment des populations. « Face aux nombreuses contraintes propres et spécifiques à chaque territoire, le concept de smart city s’illustre comme une alternative propre à apporter des solutions innovantes et universelles à ces problématiques locales. Pourtant, il ne s’agit pas seulement de développer des outils technologiques pour eux-mêmes et de manière globale. Au contraire, ces nouvelles technologies doivent être implantées au bon endroit et pour un usage bien défini en tenant compte des besoins et des moyens des territoires. C’est en apportant des solutions concrètes et innovantes aux populations locales, que la smart city pourra devenir une alternative plébiscitée par les populations. » explique Calvin Chu Yee Ming. « Il ne faut pas oublier le caractère singulier de chaque culture et de chaque territoire. Il est important de prendre en compte ces différences dans l’organisation et la gestion du territoire. »

Ainsi, un partenariat et un financement public-privé renforcés sont recherchés. « Avec la transformation numérique apparaissent de nouveaux services proposés par des plateformes directement aux citoyens, qui peuvent être contraires aux objectifs de politiques urbaines ou, à l’inverse, complémentaires de l’offre de services publics existants. Si les collectivités locales, garantes de l’intérêt général, sont légitimes pour réguler le comportement des nouveaux acteurs de la ville intelligente, elles doivent veiller à ne pas dissuader les initiatives privées, principal moteur de développement pour la ville de demain. »3 détaille Carine Staropoli.

Et Calvin Chu Yee Ming d’ajouter « Les municipalités doivent toutefois garder le contrôle, surtout s’il s’agit de réguler l’action de certaines entreprises n’allant pas dans le sens de l’intérêt général. »

L’Arbre de confiance

Mesurer et renforcer la Confiance contribue directement à l’Objectif 16 du Développement Durable (ODD 16) de l’ONU : « Promouvoir l’avènement de sociétés pacifiques et inclusives aux fins du développement durable, assurer laccès de tous à la justice et mettre en place, à tous les niveaux, des institutions efficaces, responsables et ouvertes à tous. »

A l’échelle d’un territoire ou d’un État « la confiance constitue un facteur-clé de stabilité politique, de croissance économique, de développement humain et environnemental. » explique Pierre Winicki, fondateur et PDG de TrustInside, qui travaille à mesurer le taux de confiance au sein des populations afin de pouvoir, dans un second temps, améliorer cette confiance. S’appuyant sur les acquis que sont les valeurs morales, les compétences et l’histoire des organisations, le concept d’Arbre de confiance, proposé par Trustinside se présente comme une solution pour développer la coopération des acteurs, l’acceptation du risque, l’empathie, l’indépendance de jugement et la justice dans les territoires.

Guinée-Bissau

En Guinée-Bissau, pays où la confiance dans l’Etat a été régulièrement altérée par des décennies de dictature, renforcer la stabilité politique entre le gouvernement et les principaux acteurs institutionnels, avec le soutien de la Banque Mondiale est au coeur des enjeux.

« Comment reconstruire la confiance quand elle a été gravement atteinte ? Cest une question qui moccupe actuellement, la Banque mondiale mayant confié la mission daccompagner le nouveau gouvernement de la Guinée-Bissau sur la voie de la reconstruction. Ce pays d’1,7 million d’habitants est le cinquième pays le plus pauvre dans le monde et na cessé, depuis la fin de la guerre d’indépendance, il y a quarante ans, daffronter putschs militaires et scandales de corruption. » explique Pierre Winicki.

Cameroun & Niger

Face au retard de développement que connaissent les zones rurales, les innovations disruptives de la smart city vont également accompagner l’éducation, la santé dans une perspective de confiance. Au Cameroun, le projet ambitionne de faire de l’Université Catholique d’Afrique Centrale (UCAC) l’Université de Confiance de l’Afrique Centrale. Au Niger, les efforts se concentrent sur la réussite la réforme de la politique de natalité, pour le Ministère de la Santé Publique, avec le soutien de la Banque Mondiale. « Les populations rurales vont avoir accès à un certain nombre de services qui, aujourd’hui ne sont pas accessibles ou pas de façon optimum. […] Au travers de la e-santé ou de la télé-médecine les villageois auront accès à des médecins. Nous n’avons pas suffisamment d’enseignants dans nos villages, le développement de la technologie permettra par exemple l’enseignement à distance pour le plus grand nombre. Notre objectif à terme est de désenclaver numériquement tous les villages administratifs du Niger. »4 expose Ibrahim Guimba-Saïdou, directeur général de l’Agence Nationale pour la Société de l’Information (ANSI) du Niger. En Ukraine, la réforme de l’éducation est en cours pour le Ministère de l’Éducation, avec le soutien d’une grande Fondation internationale.

Confiance et citoyens

En Ukraine, toujours, le projet de Kyiv Smart City propose un système de pétitions en ligne. Ces pétitions permettent de mobiliser autour des projets fédérateurs tels que l’écologie. Des pétitions ayant reçu le nombre requis de signatures sont d’ores et déjà étudiées par le conseil municipal, tels que la proposition de création d’un parc naturel en plein centre de Kiev sur des terrains en friche ou la réhabilitation des étangs pollués de Sovsky. Grâce à la mobilisation citoyenne et suite à une pétition, le lycée de physique et de mathématique de Kiev a également pu réouvrir.

L’implication graduelle des citoyens à la ville de demain se traduit également par la possibilité de participer aux choix de dépenses et la mise en place de projets citoyens. 62 projets ont été gagné en 2017 pour un budget de 50 millions d’UAH (environ 1,7 million d’euros) et 341 en 2019 pour un budget de 150 millions d’UAH (environ 5,1 millions d’euros). Enfin, à Kiev, 52,75 % de la population considère le vote en ligne comme permettant d’augmenter le taux de participation aux élections5.

En Suisse, le modèle de démocratie directe permet une consultation large de la population. « Lorsque la population est consultée de manière régulière, y compris pour prendre de petites décisions, c’est un bénéfice pour l’ensemble du pays. Le degré de participation du citoyen à la prise de décision collective est un facteur révélateur de la confiance de l’individu dans le collectif. Impliquer le citoyen est donc un enjeu majeur pour la ville de demain. Les outils numériques intégrés à la ville intelligente sont donc des atouts importants, susceptibles de donner facilement et régulièrement la parole aux citoyens. » souligne Calvin Chu Yee Ming.

A Melbourne, « les gens prennent plaisir à s’exprimer, notamment de manière artistique, ce qui donne lieu à des peintures murales à l’origine d’un climat apaisant et d’une atmosphère de confiance. De cette manière ils célèbrent leur culture si singulière, leur façon de vivre et leurs compétitions sportives. » déclare Calvin Chu Yee Ming.

1 Global News – https://globalnews.ca/news/4579265/ann-cavoukian-resigns-sidewalk-labs/

2 Bee Smart City

3 Rapport Terra Nova – Septembre 2018 – Smart City

4 https://www.youtube.com/watch?v=0uYKKJg00eo

5 Digital Smart City Index – 2019 IMD & SUTD