De la force des valeurs universelles du sport

Conscient des bénéfices en matière de santé et d’accomplissement personnel, Pierre de Coubertin milite pour la démocratisation du sport auprès des Français dès le début du XXe siècle. Dans le même temps, il crée les Jeux Olympiques modernes pour développer la pratique sportive et les valeurs universelles du sport dans le monde. Ces mêmes valeurs de paix et de goût de l’effort que l’on célèbre aujourd’hui encore à la veille des Jeux Olympiques et Paralympiques de Tokyo 2021 et Paris 2024.

Face à un individualisme grandissant, une concurrence exacerbée, la résurgence de rejets entre individus et aux inégalités sociales persistantes, les valeurs universelles de respect et de courage au cœur du sport pourraient bien nous redonner le goût du collectif.

Par Simon DOUAGLIN

Une origine martiale

Le sport prend sa source dans la discipline militaire mais efface les velléités guerrières au profit de la paix et du dépassement de soi. « Le sport rassemble en son sein des valeurs précises et des symboles qui rappellent la guerre et l’agressivité de l’homme, en les sublimant dans la seule forme d’agression acceptable à une époque civile où la solution des controverses ne passe pas par le recours à l’expérience brutale de la guerre. » souligne Angela Teja dans Militaires et sportifs, une longue histoire.1 Au même titre que la discipline militaire, le sport renforce les liens entre les individus, encourage le dépassement de soi et donne aux athlètes le goût de l’effort. « Même les sports originairement qualifiés « de type anglais », et pas seulement la gymnastique, ont une origine militaire. Ils étaient utilisés car ils développent l’esprit de corps, la sociabilité, l’entente, le respect des règles et de la discipline. » ajoute Angela Teja.

La Première Guerre mondiale va être à l’origine de la démocratisation de la pratique sportive en France. « [La] directive [du général Pétain] du 3 juin 1917 précise qu’« à l’arrivée au cantonnement, la troupe doit être laissée au repos absolu pendant le temps voulu, pour qu’elle puisse se détendre moralement et physiquement ». Sans être explicitement cité, le sport occupe une place essentielle dans le règlement de la grave crise morale que traverse alors l’armée française. »2

Il sera aussi vecteur d’émancipation au profit du droit des femmes et des minorités. Durant la Grande guerre, les femmes développent leur pratique du sport avec à leur tête, Alice Milliat, qui co-fondera, en décembre 1917, la Fédération des Sociétés Féminines Sportives de France. A la suite du conflit, ce sont les nombreux blessés de guerre qui se retrouvent dans la pratique du handisport notamment avec la création en 1918 de la Fédération Sportive des Sourds-Muets de France.

Des valeurs olympiques et européennes

De tout temps, la pratique du sport est un moyen reconnu pour promouvoir la paix. Il surpasse les limites des frontières géographiques et les classes sociales. Il joue aussi un rôle significatif dans la promotion de l’intégration sociale et du développement économique dans les différents contextes géographiques, culturels et politiques. Il est un outil puissant de renforcement des liens et des réseaux sociaux, et de promotion des idéaux de paix, de fraternité, de solidarité, de non-violence, de tolérance et de justice. Le devoir de faire face aux problèmes des pays en situation de post-conflit peut être facilité par la présence du sport qui a la capacité d’unir les peuples.

Il enseigne des valeurs telles que l’équité, le travail d’équipe, l’égalité, la discipline, l’inclusion, la persévérance et le respect. Les valeurs de l’olympisme inspirent l’excellence, l’amitié et le respect qui s’ajoutent alors aux valeurs universelles de l’Union européenne : la dignité humaine, la liberté, l’égalité et la solidarité. Quant aux valeurs paralympiques, elles reflètent l’esprit et le mérite des athlètes : la détermination, l’égalité, l’inspiration et le courage.

Un pilier de l’entreprise

« Le sport collectif c’est réussir en équipe, dans l’entrepreneuriat c’est la même chose. On ne réussit jamais seul, on réussit ensemble. » explique Patrice Bégay, directeur exécutif de Bpifrance. Si la discipline sportive n’exige pas de satisfaction client, ni de recherche du profit, le sport partage avec l’entreprise, plusieurs points communs. « Concrètement, deux valeurs essentielles les unissent : simplicité et proximité auxquelles on peut ajouter volonté et optimisme pour les coachs, les chefs d’entreprises et les dirigeants de clubs de sport. » précise Patrice Bégay.

De nombreuses études dont celle du Comité National Olympique Sportif Français (CNOSF) en partenariat avec le MEDEF, montre en effet que l’impact du sport en entreprise et du bien-être en général, se révèle être très positif pour l’entreprise dans sa globalité (employés et employeurs). Il s’agit d’embrasser un virage culturel où l’on accorde plus de reconnaissance aux salariés en les responsabilisant et en les rendant davantage acteur de leurs actions dans l’entreprise. « Sur le plan collectif, le sport solidifie l’esprit d’équipe et l’entraide entre les participants. Chaque situation de groupe permet aux salariés de partager un même objectif dans une activité extérieure au travail. La réussite collective permet de souder un groupe. Ce phénomène doit faciliter la sensation d’appartenance à une équipe . Le sport a donc des vertus de cohésion entre les différents membres de la société. Individuellement, les activités physiques et sportives favorisent le dépassement de soi, génère de la motivation et font office de « défouloir ». Sortir de sa zone de confort et éliminer les toxines doit aider les salariés à prendre du recul sur leur activité professionnelle et ainsi mieux analyser et appréhender les enjeux de leur travail au quotidien. Prendre du recul permet d’améliorer son efficience et par conséquent sa productivité. Sur le plan psychologique, le sport demande constamment de prendre des décisions individuelles et de renforcer la confiance en soi du pratiquant. La réussite sportive individuelle et collective redonne de l’assurance mais également de la sérénité pour appréhender les nouveaux challenges et les difficultés du travail. » souligne le rapport. « Le sport permet de prévenir et de limiter les situations de stress, et de contribuer au développement de chacun par le sport en tant que facteur d’équilibre, de bien-être et de performance. (…) Il fait écho aux valeurs de l’entreprise et notamment à celles du travail en équipe, de la faculté de savoir rebondir après un échec et un formidable vecteur d’aspirations dont l’entreprise a besoin pour grandir. » témoigne Jean-Pierre Rémy, Directeur Général Solocal Group, Lauréat du Trophée Sentez-Vous Sport 2014.

Isabelle Queval, philosophe du sport et directrice du laboratoire de recherche GRAP de l’INSHEA explique le sport comme un modèle pour le monde de l’entreprise « car il incarne le culte de la performance notamment par le biais de la transparence des règles du jeu et une certaine idée du fairplay. Ce qui n’est pas le cas du reste de la société où peuvent être instaurés des règles plus tacites et des fonctionnements plus opaques comme les passe-droits. » Et Michel Merckel, spécialiste du sport d’ajouter « Le sport possède la vertu de pouvoir remettre les individus en question là où la concurrence malsaine ne fait qu’encourager l’affrontement jusqu’à l’effondrement d’un des adversaires et la victoire totale de l’autre. »3

Il nous éclaire sur cette capacité du sportif à servir le collectif, au détriment de son propre intérêt : « La victoire de la France lors de la coupe du monde de football 2018 repose sur le travail du sélectionneur Didier Deschamps, qui a su optimiser les compétences individuelles au profit du groupe. Olivier Giroud, attaquant de l’équipe de France a par exemple créé des espaces énormes pour permettre au reste de l’équipe de marquer et de concrétiser la victoire. Il a d’ailleurs été moqué pour l’absence de but marqués mais c’est justement toute la force du sport : l’engagement individuel au profit de la réussite collective. » complète ainsi Michel Merckel.

L’évolution culturelle est en cours, lente, mais elle est bien réelle : aujourd’hui 87% des gérants connaissent les bienfaits du sport en entreprise mais seulement 18% l’ont intégré dans leur structure.4 Pour le directeur d’Alizeum, Benoît Eycken, ancien entraîneur fédéral de ski acrobatique : « Le manager du troisième millénaire doit prendre conscience que la richesse de son entreprise, ce sont les hommes et les femmes qui la composent. Il doit donc oeuvrer à leur bien-être. »

Le sport peut tout changer

Le sport dispose en effet de nombreuses vertus, mais il ne peut pas tout. Intégré à l’ensemble de la politique de l’Etat et de la stratégie de l’entreprise, alors il pourrait se révéler un atout majeur.

Dans les zones où la fracture sociale est béante, le sport est souvent proposé comme alternative, une solution d’émancipation et de développement au service des plus vulnérables. « L’école, ça n’a pas été facile pour moi. Mais je pratique la lutte depuis l’âge de 8 ans et cela m’a permis de découvrir le dépassement de soi et une forme d’engagement ».5 explique Djamel, dirigeant du club de lutte d’Ivry-sur-Seine. Depuis, il lui tient à coeur de transmettre les valeurs du sport aux jeunes qu’il forme.

« Le sport a des vertus sur la civilité. » souligne Julian Jappert, directeur du think tank Sport et citoyenneté, « mais à lui seul, il n’a pas une capacité de réponse aussi grande que l’État l’espère. Ces politiques de la ville sont des échecs parce qu’elles ne sont pas intégrées à une réponse plus globale. On le voit particulièrement avec les migrants en ce moment : on utilise uniquement le sport pour les intégrer, et cela ne fonctionne pas » nuance-t-il.

A l’échelle de tout un pays, René Lasserre soulignait dans le portrait Allemand de 20065 : « Tout entière rassemblée derrière une équipe rajeunie et déterminée, l’Allemagne a démontré à la fois sa confiance en elle-même, la générosité de son enthousiasme et la sincérité de son ouverture au monde. L’événement ne pouvait tomber plus heureusement dans le calendrier, six mois après que le pays a exprimé sa volonté de sortir de l’immobilisme politique en portant au pouvoir un gouvernement de grande coalition et alors même que l’économie allemande renoue enfin avec la croissance. Le Mondial vient ainsi à point nommé pour conforter l’image d’un pays qui, soumis depuis quinze ans à la difficile épreuve de son unification, et au prix de multiples efforts, est en passe de surmonter ses doutes et regarde à nouveau l’avenir en face. »6

La France entend elle aussi « Faire mieux grâce aux Jeux ». Elle a ainsi lancé un plan gouvernemental « France 2024 » valorisant 170 mesures parmi lesquelles la promotion et d’accroissement de l’offre sportive à l’école, l’encouragement à la pratique de l’activité physique et sportive et la promotion du sport en entreprise avec notamment l’attribution d’un label « entreprise sportive » pour mettre en lumière les actions existantes et les initiatives locales et développer les chartes « entreprises actives ».

Le sport peut tout changer. C’est l’une des convictions de Paris 2024. « Vivre plus fort grâce aux émotions données par le sport. Vivre mieux grâce à la pratique du sport. Vivre ensemble autour des valeurs partagées par le sport. Opportunité unique, l’enthousiasme et l’énergie des Jeux et du projet Paris 2024 bénéficieront à toutes les générations, sur tous les territoires, en mettant le sport au centre des vies, en s’inspirant des valeurs du sports, des athlètes et de leur capacité à se dépasser. Paris 2024, révèlera « l’athlète » qui sommeille en chacun de nous. Paris 2024, sera une célébration fraternelle et universelle, le rendez-vous de tout un pays avec le monde entier! »

1Parution dans Confluences Méditerranée

2Ministère des Armées – https://www.defense.gouv.fr/terre/actu-terre/a-la-sueur-du-front

314-18, le sport sort des tranchées. Un héritage inattendu de la Grande guerre – Michel Merckel

4Rapport du CNOSF

5http://www.leparisien.fr/val-de-marne-94/profession-coach-d-insertion-par-le-sport-19-02-2019-8011197.php

6René Lasserre, « Patriotisme sportif et responsabilité économique », Regards sur l’économie allemande [En ligne], 77 | juillet 2006, URL : http://journals.openedition.org/rea/534