Défis d’anticipation et de coopération au coeur de la sécurité des expatriés

Dans un contexte de menaces polymorphes interconnnectées, les risques qui pèsent sur les expatriés sont multiples. Prise d’otage, attaque terroriste, violence ou vols de données, les menaces prenant pour cible des expatriés se font de plus en plus nombreuses.

L’augmentation des déplacements dans le monde explique en partie cette croissance du nombre d’incidents à l’étranger. Si les collaborateurs sont de plus en plus mobiles, ils sont aussi, proportionnellement, plus exposés aux risques internationaux, qu’ils soient sécuritaires ou sanitaires. La crise de la COVID-19 en a été un reflet majeur.

Par Louis Tufin

Un expatrié ou un voyageur d’affaires est susceptible d’être exposé à des risques sanitaires et/ou sécuritaires. Aux maladies infectieuses et épidémies, à la faible qualité des structures médicales locales, ou à l’accès difficile aux médicaments, s’ajoutent les risques d’agressions, d’escroqueries, de prise d’otage, de terrorisme, de piraterie terrestre et maritime, d’insurrections, de coups d’état et de risques naturels : séismes, tsunamis ou typhons. Les entreprises sont alors plus que jamais confrontées à l’obligation de protéger leurs collaborateurs expatriés en mettant en œuvre des stratégies de prévention et de gestion des risques conformément aux obligations légales et jurisprudentielles qui incombent à leur dirigeant.

Des risques élevés

Pour assurer la sécurité des expatriés, la France met en oeuvre un dispositif éprouvé, renforcé par une coopération avec des entreprises de sécurité spécialisées dans la gestion des risques à l’international. « Les Français à l’étranger sont parfois présents sur des théâtres d’opération ou bien directement confrontés aux risques d’assassinats et d’enlèvements. Ils peuvent également être les victimes collatérales de violences urbaines et même de révolutions. » explique le sénateur des Français de l’étranger, Olivier Cadic. Particulièrement impliqué sur ce sujet, le sénateur témoigne de l’urgence de protéger les Français lorsqu’ils sont à l’étranger. « Lors de ma visite à Madagascar en 2018, on dénombrait pas moins de 8 enlèvements et 4 assassinats d’entrepreneurs français depuis le début de l’année. Avec madame l’ambassadrice, nous avons rencontré le Premier ministre de Madagascar et obtenu la nomination d’un procureur malgache dédié à ces affaires. Suite à l’élection du président Rajoelina, la spirale infernale a été stoppée net. » Le sénateur a également présenté une proposition de loi « qui étend aux personnes inscrites au registre des Français établis hors de France, le bénéfice du fonds d’urgence créé pour faire face à l’épidémie de la covid-19. Elle prévoit également la création d’un fonds d’urgence et de solidarité pour les Français de l’étranger pour tous les cas de catastrophes naturelles ou de guerre.1 »

L’enjeu est tel qu’au« 1er janvier 2020, environ 1,8 M [de Français étaient] inscrits sur les registres consulaires. Cette inscription n’étant pas obligatoire, le nombre global de Français vivant à l’étranger est estimé à environ 2,5 millions. 75% dentre-eux résident en Europe et aux Amériques selon le MEAE. » précise Bertrand Pauvert, universitaire et administrateur de l’Association française de droit de la sécurité et de la défense (AFDSD), spécialisé dans la sécurité et la gestion des risques collectifs.

Sensibilisation et anticipation

Selon le pays de destination, le niveau de sécurité assuré n’est pas toujours équivalent à celui offert par la France. Tenant compte de la situation locale, des mouvements de population, des révolutions récurrentes, et d’une situation d’insécurité globale, la sécurité fait partie intégrante de la préparation au départ.

Le système français de protection des expatriés s’appuie sur la sensibilisation des personnes et l’anticipation des risques. Si les entreprises privées sont tenues de préparer un plan de protection de leurs employés à l’étranger, incluant analyses de risques, plan de prévention, de sensibilisation et d’actions détaillant les moyens mis en oeuvre pour assurer la sécurité et gérer la crise (plan d’évacuation d’urgence ou de prévoir un service d’accompagnement psychologique), les emprises diplomatiques sont chargées de constituer la liste des expatriés afin d’alerter et de faciliter l’évacuation en cas de nécessité.

A cela s’ajoute le suivi approfondi de la situation politique et sécuritaire locale.

Cette mission est coordonnée depuis le Centre de crise et de soutien (CDCS) du Ministère de l’Europe des Affaires étrangères. « Comptant près de 80 agents, professionnels de la gestion de crise (diplomates, analystes, experts opérationnels et humanitaires, logisticiens, médecins et psychologues), il a géré, depuis sa création, près de 300 situations de crise. » indiquent les responsables du CDCS.

La cellule de crise parisienne est en lien avec les cellules locales activées au sein du réseau diplomatique français.« Le Centre agit en coordination avec différents partenaires extérieurs: professionnels du tourisme, compagnies aériennes, assisteurs, entreprises. » détaille Bertrand Pauvert.

Aux fiches de « conseils aux voyageurs » certifiées ISO 9001 comptabilisant 8 millions de visites en 2016, s’ajoute le Fil d’Ariane, fichier permettant d’évaluer le nombre et la répartition des ressortissants Français.

Pour identifier les zones sensibles, les entreprises peuvent également consulter des cartographies des risques médicaux et politiques ainsi que les recommandations de divers instituts (Institut Pasteur, Institut de veille sanitaire…).

« Le modèle français de protection des expatriés est un des meilleurs au monde permettant de nourrir une importante confiance dans les institutions lors des voyages à l’étranger. C’est très confortable, notamment pour les touristes qui se sentent protéger à l’étranger. Encourager les Français à voyager, permet, d’un point de vue stratégique de faire rayonner la France et les intérêts français partout dans le monde » explique Alexandre Hollander, président d’Amarante International.

Un partenariat équilibré

Des canaux de communication directs mis en place par le Quai d’Orsay entretiennent le dialogue et fluidifient les échanges entre l’Etat et les entreprises. « Il y a quelques années, lors d’un épisode de prise d’otages, impliquant 13 ou 14 personnes, l’Etat a autorisé le recours aux entreprises privées pour se concentrer sur les cas les plus critiques. Amarante a, parmi d’autres, rempli son rôle et mis son expertise au service de la résolution de certains cas.» complète Alexandre Hollander. « Il y a une vraie complémentarité entre les moyens de l’Etat, les directions sûreté des grandes entreprises et les prestataires de sûreté à laquelle s’ajoute une réelle prise de conscience et une confiance de la part de l’Etat qui souhaite de plus en plus pouvoir s’appuyer sur les capacités et les savoir-faire des entreprises privées de la sécurité. » partage Alexandre Hollander.

Le numérique : entre nouvelles menaces et opportunités

Les systèmes d’information et l’environnement numérique sont devenus la principale vulnérabilité des institutions publiques et des opérateurs privés. « Il semble indispensable de sensibiliser à grande échelle les cadres des entreprises françaises à la sécurité informatique. Le risque est accru lorsquils sont en voyage à l’étranger car lespionnage industriel fait rage. » plaide le sénateur Cadic.

Mais le numérique, nouveau terrain de jeu des criminels, constitue aussi une formidable source d’opportunités, notamment grâce à l’avènement du Big Data et à l’exploitation de données au bénéfice du renforcement de la sécurité des collaborateurs. « Cette masse de données doit être triée, vérifiée et hiérarchisée pour pouvoir devenir une information saine et utile pour le dirigeant. » souligne Alain Vernadat, directeur général de Deveryware.

« Nous avons donc impérativement besoin d’outils technologiques à l’état de l’art pour nous accompagner. » complète Alexandre Hollander.

Amarante International et le groupe Deveryware ont donc noué un partenariat stratégique qui a donné naissance en juin denier à HAVN, une solution souveraine au service de la sûreté des collaborateurs. Capitalisant sur l’expertise de Deveryware en matière de géolocalisation / geofencing et l’expérience éprouvée d’Amarante en anticipation des risques, HAVN met à la disposition des décideurs et collaborateurs une gamme de fonctionnalités leur permettant de s’informer (guides pays, alertes en temps réel, fiches pratiques), de communiquer (hotline sûreté 24/7, « panic button », messagerie intégrée) et de superviser (suivi automatique des voyageurs, validation des déplacements). Cette nouvelle solution permet une analyse en temps réel de la situation dans les pays à risque et sur les théâtres d’opérations. « L’interface intuitive et ergonomique nous donne déjà des retours très positifs de la part des premiers utilisateurs. Cette solution souveraine disruptive pourrait rapidement devenir indispensable dans la protection des expatriés. » ajoute Alexandre Hollander.

Covid-19 : l’enjeu d’un nouveau modèle de rapatriement

La crise de la Covid-19 a particulièrement éprouvé le savoir-faire français en matière de gestion de crise et de rapatriement des ressortissants français de l’étranger. « Les réflexes acquis dans le cadre de la gestion de crises n’étaient pas tous transposables dans le cas de la crise de la Covid-19. » explique Bertrand Pauvert.

L’organisation des opérations de rapatriement voit ordinairement se dessiner un ballet globalement bien rodé réunissant l’ensemble des acteurs, qu’il s’agisse des entrepreneurs de tourisme, tour-opérateurs et voyagistes ou des professionnels de l’assurance et du rapatriement.

« Cette fois-ci lune des difficultés concrètes la plus importante résidait dans la fermeture des frontières et les restrictions apportées à la liberté de circulation par différents Etats ; mesure ayant pour effet de rendre plus difficile les opérations de rapatriement, spécialement pour les ressortissants isolés dans les pays les plus lointains. » explique Bertrand Pauvert.

Pour le sénateur Cadic, cette crise a été révélatrice des forces et faiblesses de notre ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. « Il faut dabord saluer le formidable travail des ambassadeurs et des agents de nos postes diplomatiques, du MEAE, ainsi que ceux du Centre de crise et de soutien. Ils réussissent limpossible avec les moyens du bord, tributaires de lassentiment des autorités locales et du bon vouloir des compagnies aériennes. » et de souligner plusieurs faiblesses d’organisation sources de multiples frustrations : l’absence d’information quotidienne, l’accueil sanitaire inexistant, la procédure « marche à suivre » (inscription Ariane ; appel à l’ambassade ; communication des vols disponibles) qui a généré un travail trop abondant pour nos ambassades/consulats… « Mon expérience dentrepreneur ma incité à proposer la création dun groupe de travail pour analyser les fonctionnements de lorganisation en temps réel afin de gagner en efficacitéLe ministre a préféré s’en tenir au retour dexpérience lorsque la crise sera passée. Dommage. » déclare t-il.

La coopération européenne : une solution en devenir

La mission de protection des expatriés incombe généralement aux Etats mais l’Union européenne agit afin de fédérer les moyens et les volontés. Le Centre de coordination de la réaction d’urgence (ERCC) de l’UE a été l’outil par lequel la Commission a apporté son aide aux États membres afin de coordonner l’assistance et les opérations de rapatriement consulaire des citoyens de l’UE dans le monde entier.« Des requêtes en ce sens ont été émises par 19 Etats membres et cela a permis une assistance consulaire pour le rapatriement vers lEurope denviron 60000 citoyens européens. » poursuit Bertrand Pauvert. « Ce mécanisme a démontré l’efficacité de la coopération européenne synonyme de protection renforcée pour les citoyens. » complète le sénateur Cadic.

« Au phénomène de multiplication des risques, on s’aperçoit que les dirigeants d’entreprises sont tout aussi inquiets de la situation de leurs collaborateurs à l’étranger, qu’en France ! » affirme Alexandre Hollander. La hiérarchisation des risques s’estompent peu à peu. Plus que jamais « La gestion de crise est une discipline qu’il faut aborder de manière structurée, centralisée et globale, en favorisant les partenariats stratégiques et en renforçant une coopération « public-privé », nationale comme européenne.» conclut le président de la firme européenne.

1 Exposé des motifs : https://www.senat.fr/leg/exposes-des-motifs/ppl19-390-expose.html