Les maras en Amérique centrale : une brique dans le mur de l’insécurité régionale

« Mata, viola, roba, controla »1, telle est la devise d’un des gangs les plus médiatisés pour sa violence inouïe, la Mara Salvatrucha, ou MS-13. A l’instar de son groupe criminel rival, le Barrio 18 (B-18), la MS-13 opère principalement dans les pays constituant le Triangle du Nord – El Salvador, le Honduras, le Guatemala -, ainsi qu’aux Etats-Unis, et notamment à Los Angeles où ils fondent leurs gangs dans les années 1980. A la fois victimes d’inégalités sociales effroyables et auteurs d’actes de violence extrême, les maras forment une véritable brique dans le mur de l’insécurité régionale.

Par Hugo CHAMPION

La genèse des maras

Premièrement, « il faut faire la distinction entre les pandillas et les maras, car ces derniers constituent une exception dans l’histoire des gangs en Amérique centrale », explique Dennis Rodgers, ethnologue et sociologue Suisse. Les pandillas représentent des phénomènes communs dans la plupart des pays d’Amérique centrale jusque dans les années 70. A la suite des mouvements révolutionnaires, « les pandillas ont sociologiquement disparu » au profit « d’acteurs beaucoup plus puissants », rappelle Dennis Roddgers. On date le retour des gangs dans les années 80 et 90 en Amérique centrale, dans un contexte particulier, où le pouvoir politique et les acteurs armés étaient affaiblis par la guerre civile longue de vingt ans. Les maras apparaissent dans le Triangle du Nord à partir de 1992 puis 1996, lorsque les Etats-Unis ont renvoyé les réfugiés et leurs enfants salvadoriens, guatémaltèques et honduriens, vivant notamment à Los Angeles, dans leurs pays respectifs. De 1993 à 1999, 60450 ressortissants du Triangle du Nord (NTCA) ont été expulsés des États-Unis, dont 32,9% ont été classés comme « criminels ». Bien que les Salvadoriens représentent 35,7% du total des renvois, ils représentent 47,5% des expulsés « criminels », selon le Département de Justice américain. « On a vu beaucoup de jeunes qui ont fait partie de gangs aux Etats-Unis arriver au Salvador, au Guatemala et au Honduras », rappelle le chercheur suisse. Et d’ajouter : « Ils ne connaissaient pas leur pays d’origine et leurs points de référence étaient la culture de gang ». Les maras ont ainsi remplacé les pandillas dans ces pays-là, au prix du sang. La distinction fondamentale entre ces groupes est que « les maras sont des groupes désimbriqués de leurs contextes locaux de par leurs origines transnationales, cela explique aussi leurs niveaux de violence extrême », rappelle Dennis Rodgers.

Gang local et groupe criminel transnational

Lorsqu’on parle de maras, on fait référence à la Mara Salvatrucha et à la Barrio-18, qui trouvent leur origine dans les gangs de Los Angeles. Arrivés dans des quartiers urbains défavorisés, de nombreux enfants et adolescents, notamment salvadoriens, se sont regroupés pour se protéger. Certains ont rejoint des gangs chicano, comme le gang de la dix-huitième rue (B-18). D’autres ont créé la Mara Salvatrucha, qui sera plus tard connue sous le nom de MS-13. « On parle souvent de gangs transnationaux et homogènes. Il existe des liens entre membres dans différents pays mais les experts s’accordent plutôt pour dire que l’on observe essentiellement des formes de franchises informelles qui imitent les mareros originels plutôt qu’une organisation hermétiquement soudée », souligne Dennis Rodgers.Néanmoins, les groupes se distinguent par leurs opérations illicites. « La MS-13 a réussi à dominer le trafic de drogue tandis la B-18 s’est cantonnée dans l’extorsion », ajoute l’ethnologue suisse. Il est fondamental d’intégrer cette distinction dans l’analyse pour comprendre l’impact de ces deux groupes à la fois sur l’insécurité régionale et sur l’insécurité locale. La B-18 apparaît donc comme un gang local, avec des ramifications dans différents quartiers des pays de la NTCA, alors que la MS-13 pourrait devenir un groupe criminel transnational en raison de son activité illégale qui génère des gains bien plus élevés que l’extorsion. « On peut peut-être qualifier la MS-13 comme l’équivalent d’un cartel mexicain de moyenne taille », compare Dennis Rodgers. Les liens entre la MS-13 du Salvador et des Etats-Unis sont difficiles à prouver bien que des indices laissent penser qu’il en existe. Les politiques anti-migratoires américaines actuelles s’appuient sur cette idée pour légitimer son refus intégral des populations centraméricaines. Dernièrement, l’United States Southern Command, service du Département de la Défense des États-Unis a estimé que 70 000 membres, toutes maras confondues, agissent dans le Triangle du Nord.

Des politiques de répression fortes et inefficaces

En réponse aux violences perpétrées par les maras, les autorités politiques des pays de la NCTA ont chacun leur tour appliqué la politique dite de mano dura2. Ces politiques de répression se basaient sur l’emprisonnement de masse et les rafles dans les quartiers pauvres. Les suspects ont été identifiés sur la base de preuves fragiles, telles que des tatouages alors même que ces derniers ont abandonné cette marque d’identification pour optimiser leur dissimulation vis-à-vis des autorités. « Les meilleurs alliés des maras et pandillas ont été les politiques de tolérance zéro ; la répression a échoué parce qu’on ne s’est pas attaqué à la cause qui est l’exclusion sociale », explique Julieta Castellanos, sociologue hondurienne. Les mesures prises par les autorités ont suscité une vive réaction des mareros. « On a observé que la violence engendrée par les politiques répressives a été sans précédent », indique Dennis Rodgers. Le 20 juin 2010, dix-sept personnes ont été tuées et quinze blessées à Mejicanos, au Salvador, lorsqu’un mini-bus a été incendié. La même année, des membres guatémaltèques du MS-13 ont enlevé et décapité quatre victimes au hasard et ont laissé leurs têtes dans la rue (l’une d’entre elles devant le Congrès national) dans le but de contraindre les autorités à abroger les mesures contre les membres de gangs emprisonnés. Pour comprendre la décision des politiques centraméricaines et les échecs consécutifs des pourparlers, il faut assimiler que ces systèmes, formellement démocratiques, sont en réalité oligarchiques. La mano dura a également conduit les mareros à renforcer leur système de direction, à organiser des opérations criminelles et recruter de nouveaux membres en prison, véritable incubateur de la criminalité. Les prisons salvadoriennes sont parmi les plus surpeuplées du monde, avec un taux d’occupation d’environ 330% de la capacité en 2019, selon l’Institute for Criminal Policy Research.

Vers de nouvelles négociations de paix ?

Au Salvador, il est difficile d’entrevoir les prémices de la paix. Ayant abandonné en 2014 la trêve promulgué en 2012 par le gouvernement de Mauricio Funes, El Salvador est revenu à la criminalisation par défaut des maras. En 2015, la Cour suprême salvadorienne avait d’ailleurs reclassé MS-13 et B-18 comme organisations terroristes, criminalisant ainsi toute collaboration avec eux. Le nouveau président Nayib Bukele, élu en juin 2019, a donné une nouvelle impulsion à la politique de la mano dura. A l’heure de l’état d’urgence sanitaire provoqué par la pandémie de la COVID-19, le président salvadorien a pris des mesures qui risquent de favoriser l’émergence de nouveaux épisodes de violence dans le pays. « L’unification des gangs dans les cellules fait courir un risque absolu de mutineries ou d’assassinats sélectifs ou collectifs dans les prisons », a averti Miguel Montenegro, coordinateur de l’ONG Commission des droits de l’Homme au Salvador (CDHES). Néanmoins, un deuxième scénario reste probable, celui d’un pacte de non-agression entre les maras réunis dans les mêmes prisons. Des éléments semblent montrer « qu’un accord a été conclu entre les principales bandes rivales », relève Jeannette Aguilar, chercheuse à l’Université Centro-Américaine (UCA). Si la situation est relativement similaire au Honduras, le Guatemala a opéré un changement de paradigme afin de lutter contre les crimes des maras. En témoigne la réduction de moitié du taux d’homicides au cours des dix dernières années, bien que les chiffres doivent être maniés avec précaution, étant parfois la cible de manipulation par les pouvoirs politiques. Un bureau spécialisé pour lutter contre les extorsions avec des unités distinctes dédiées au MS-13 et au B-18 a été créé en 2015. Une hotline pour signaler les extorsions a été rendu accessible en permanence et fournit un soutien aux victimes, tandis qu’une application pour smartphone téléchargeable gratuitement a été créée pour éviter les extorsions.

Les conditions d’une paix durable 

Les violences générées par les maras apparaissent comme un mal incurable. Alors que les Etats-Unis avaient un plan de développement de l’Amérique centrale, baptisé l’Alliance pour la prospérité, le président Donald Trump a coupé les fonds. La coopération internationale est ainsi mise à mal. « Je ne vois pas comment les Etats-Unis pourraient être les garants d’une négociation car ils ont des intérêts propres dans la région », confirme Dennis Rodgers. Pour tenter de résorber la violence accrue des maras, il sera nécessaire de mettre en œuvre des politiques de fond et sur le court, moyen et long terme : développement de programmes d’inclusion sociale et économique, politique de réinsertion sociale pour les anciens détenus, mise en place un dialogue avec les membres des maras, meilleure collaboration au niveau régional, etc. « De telles mesures ne peuvent venir que de l’Etat, bien que je pense que cela ne pourrait marcher qu’à des niveaux locaux, et elles doivent réunir tous les acteurs sociaux », indique Dennis Rodgers. En particulier des ONG telle la Croix rouge, qui sont bien implantées et jouissent d’une légitimité au niveau local. D’une manière plus générale, les femmes et notamment les mères de membres de gangs, pourraient aussi jouer un rôle clé dans un futur processus de paix dans ces pays où le marianismo – le culte de la mère – est particulièrement fort.

1 « Tue, viole, vole, contrôle ».

2 On parle du programme Cera Tolerancia (« Tolérance zéro) au Honduras, et du Plan Escoba (« Plan de balayage ») au Guatemala.