Les Jeux de Paris 2024 : être ou ne plus être

Le modèle des jeux Olympiques et Paralympiques, événement international à la résonance unique dont la légitimité est contestée par une partie de l’opinion publique occidentale, doit achever sa mue : il est désormais indispensable que l’organisation de cet événement bénéficie pleinement au territoire qui l’accueille. C’est ce qui a conduit la France à présenter, dès la phase de candidature, un projet dont la logique d’héritage est la principale force.

Par Nathanaël Bruschi, Conseiller en charge de l’héritage et de la mobilisation des territoires auprès du Délégué Interministériel aux Jeux Olympiques et Paralympiques 2024

La crise sanitaire que nous traversons actuellement, du fait de son caractère international, produit des effets très concrets sur les jeux Olympiques et Paralympiques : elle a d’ores et déjà entraîné le report d’un an de l’édition 2020, prévue à Tokyo, et a eu pour conséquence de conduire à l’arrêt temporaire des quelques travaux déjà engagés sur les chantiers olympiques en France, dans la perspective de Paris 2024.

Dans ce contexte incertain, le modèle des Jeux, interrogé depuis plusieurs années, doit plus que jamais achever sa transformation pour répondre aux attentes légitimes des territoires et des habitants qui les accueillent. Il est désormais indispensable, pour assurer l’acceptabilité de l’événement, d’ajouter un héritage urbain, social et sportif aux quelques jours de compétitions diffusés à travers le monde durant lesquels s’écrit la grande histoire de l’olympisme.

L’héritage : pour améliorer l’acceptabilité des Jeux

Au vingtième siècle, le comité international olympique (CIO) désignait un pays hôte et une ville organisatrice, en leur déléguant la responsabilité de livrer les Jeux en temps et en heure, sans prendre garde, trop souvent, aux conséquences budgétaires que l’organisation d’un tel événement faisait peser sur la ville hôte.

Cela a pu conduire, lors de certaines éditions, à la construction d’infrastructures pérennes nécessaires pour leur bonne tenue, mais qui se sont révélées inutiles dans la vie quotidienne des territoires qui les accueillaient. Généralement financées par des fonds publics, ces réalisations d’envergure, qui s’avérèrent plus coûteuses que bénéfiques, et dont l’exploitation ou l’entretien devint un fardeau financier, sont connues sous le nom « d’éléphants blancs », en référence aux pachydermes que les princes de l’Inde s’offraient mutuellement dès le moyen-âge et dont l’entretien se révélait dispendieux.

Plusieurs exemples marquants jalonnent l’histoire des Jeux : le stade Olympique de Montréal, construit pour l’édition de 1974, a été livré pour un coût de 650 millions de dollars, et ne doit sa survie actuelle qu’à sa beauté architecturale ; le stade Olympique du centenaire, à Atlanta, rénové pour les Jeux de 1996, a été détruit en 1997. La France n’a pas été épargnée par ce phénomène. A Grenoble, le tremplin du Dauphiné, construit pour les Jeux de 1968, a été abandonné en 1989, avant d’être reconverti en piste de roller et de skate.

Ce sentiment de gaspillage d’argent public, adossé à l’absence de conduite de politique d’aménagement du territoire liée à l’organisation de l’événement, a largement contribué à altérer la popularité des Jeux auprès des opinions publiques, notamment dans les démocraties occidentales. Plus récemment, la montée des préoccupations environnementales a conduit une partie de l’opinion publique à jeter un regard critique sur des projets de construction peu respectueux des équilibres écologiques.

A terme, le maintien de ce modèle aurait pour conséquence de dévaloriser le produit olympique auprès des potentielles villes d’accueil, et condamnerait le CIO à n’organiser les Jeux que dans des pays très riches et dans des Etats moins respectueux de principes démocratiques fondamentaux.

Paris 2024, une candidature qui puise sa légitimité dans la logique d’héritage et qui contribue à dynamiser la Seine-Saint-Denis

Il était donc impératif d’inverser ce processus afin de prouver que les Jeux pouvaient constituer une opportunité bénéfique pour un territoire. C’est le choix opéré par le CIO en septembre 2017 à Lima, puisque les principaux atouts de la candidature de Paris résident dans la volonté clairement exprimée par l’ensemble des acteurs de laisser un héritage urbain et social au territoire francilien ainsi que dans la sobriété de son dossier : 95% des sites olympiques et paralympiques sont existants ou temporaires.

L’héritage des Jeux de Paris 2024 sera concret

Il comprend des infrastructures pérennes principalement réalisées, en vue des Jeux, dans un territoire qui connait d’incontestables difficultés : la Seine-Saint-Denis. Dans ce département, où de nouvelles lignes de métro seront construites dans les prochaines années, plusieurs opérations d’aménagement seront ainsi conduites par la Société de livraison des ouvrages olympiques (SOLIDEO), l’établissement public chargé de financer, superviser et livrer les ouvrages nécessaires aux Jeux de Paris 2024.

Trois infrastructures majeures vont contribuer à dynamiser ce territoire et seront construites dans les prochaines années, dans le respect d’une stratégie d’excellence environnementale exigeante comprenant, notamment, l’emploi massif de matériaux biosourcés.

Le village des athlètes sera situé sur le territoire actuel des communes de Saint-Ouen, Saint-Denis et L’Île-Saint-Denis. Il accueillera 15 000 athlètes pendant l’événement et sera reconverti, dès l’été 2025, en éco-quartier accessible capable d’accueillir 6 000 habitants et 6 000 salariés du tertiaire.

Le village des médias sera localisé sur la commune de Dugny. Pendant les Jeux, plus de 20 000 journalistes seront présents pour couvrir l’événement. Ce site sera le lieu de vie et de travail de milliers de reporters et de techniciens. Il accueillera également deux sites de compétition et pourra héberger, à l’issue, 4 000 habitants.

Enfin, les Jeux créent l’opportunité de construire un centre aquatique, composé de plusieurs bassins, qui sera situé en face du Stade de France auquel il sera relié par une passerelle piétonne au-dessus de l’autoroute A1. La Seine-Saint-Denis est, en effet, un département sous-équipé dans ce domaine. Il s’agit, par rapport au nombre d’habitants, du département métropolitain comptant le moins de piscines, et dans lequel 50% des élèves entrant au collège n’ont pas appris à nager. En laissant un héritage tangible en la matière, les Jeux permettent de combler en partie ce manque.

Déployer des politiques publiques sur tout le territoire

Mais au-delà de cet héritage urbain, utile au territoire et à la population bien après la fin de l’événement, les Jeux doivent servir de levier pour marquer les esprits : l’héritage immatériel, moins perceptible de prime abord que l’héritage matériel, est ainsi au cœur de la démarche engagée par les acteurs du dossier olympique.

L’objectif consiste à saisir l’opportunité que constituent les Jeux pour déployer des politiques publiques sur l’ensemble du territoire, dans des secteurs qui dépassent largement le champ du sport.

Lors d’un comité interministériel réuni le 4 novembre 2019 sous la présidence du premier ministre, l’Etat a ainsi adopté, sur la proposition de la délégation interministérielle aux jeux Olympiques et Paralympiques, un plan héritage composé de 170 mesures relevant de trois axes stratégiques majeurs.

Au service du développement de la pratique sportive

Le premier axe a pour objectif de favoriser et d’accroître la place du sport dans le pays. Cette ambition répond à un impératif. L’activité physique, dont les bienfaits sont reconnus par la communauté scientifique, est un vecteur majeur de santé. Or, aujourd’hui, un tiers des Français ne pratique aucun sport. En 40 ans, les enfants de moins de 11 ans ont perdu un quart de leurs capacités cardio-respiratoires.

L’État sera ainsi particulièrement attentif au développement de l’activité physique et sportive de la jeunesse, notamment au sein des établissements scolaires.

L’opportunité olympique conduit également l’État à améliorer l’offre sportive pour certains publics spécifiques, notamment à destination des personnes en situation de handicap. Dans ce secteur, la réussite des jeux Paralympiques, véritable enjeu de l’olympiade parisienne, pourrait permettre, à la société française de changer de regard sur le handicap grâce au rayonnement de ces championnes et champions habituellement peu médiatisés.

Cohésion sociale et inclusion

Au-delà du sport, les Jeux vont mobiliser, au moins pendant quelques mois, 150 000 emplois dans trois secteurs : l’organisation, avec 78 000 emplois, le tourisme, avec 60 000 emplois et la construction, avec 11 000 emplois.

L’ensemble des acteurs, le ministère du travail, les collectivités territoriales, les partenaires sociaux et le service public de l’emploi partagent le même objectif : les Jeux, par leur attractivité, peuvent contribuer à remettre des publics éloignés de l’emploi sur le chemin de l’insertion professionnelle.

Une vitrine du savoir-faire français

Enfin, avec 13 millions de billets vendus et près de 4 milliards de téléspectateurs, sans compter les nouveaux modes de diffusion qui se déploieront d’ici là, les jeux Olympiques et Paralympiques porteront les regards du monde sur la France.

C’est une opportunité majeure pour valoriser, promouvoir et développer le savoir-faire de notre pays dans les domaines culturel, économique, touristique et de l’innovation.

Les Jeux ne peuvent être résumés à quelques jours de compétition sportive. C’est un événement sans équivalent que la France doit préparer dès à présent. En organisant les Jeux de Paris 2024, la France porte une immense responsabilité : celle de prouver aux yeux du monde entier qu’un autre modèle est possible, en laissant définitivement les « éléphants blancs » aux livres d’histoire.