Mise à jour pour les supercalculateurs européens

« Pour l’Europe, le moment est venu d’agir » cette phrase prononcée par la Présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen à l’occasion du discours sur l’état de l’Union du 18 septembre dernier illustre le tournant politique pris par l’Europe en termes de développement du numérique et du calcul à haute performance. Pointée du doigt pour son retard en matière de numérique et de calcul à haute performance, l’Union européenne se dote d’un nouvel outil législatif lui permettant d’investir 8 milliards d’euros dans la prochaine génération de supercalculateurs et ainsi, de renforcer sa souveraineté numérique.

Un budget de 8 milliards d’euros pour le calcul à haute performance européen

Dévoilée conjointement par la Vice-présidente de la Commission européenne, Margrethe Vestager et le commissaire Thierry Breton, la proposition de nouveau règlement vise à mettre à jour le règlement 2018-1488. Pour rappel, ce dernier, adopté le 28 septembre 2018, avait permis l’instauration de l’entreprise commune EuroHPC, unissant 32 pays européens aux deux groupes privés ETP4HCP et BDVA. Initialement prévue pour perdurer jusqu’en 2026, l’entreprise commune EuroHPC, substantiellement financée par le cadre financier pluriannuel (CFP) 2014-2020, doit se renouveler afin de continuer à constituer le bras armé de l’Union au cours de la « décennie numérique ». Le nouveau règlement proposé par la Commission, marqueur de l’évolution de ses priorités stratégiques, vise essentiellement à doter l’entreprise commune EuroHPC d’un financement renouvelé au sein du CFP 2021-2027. C’est alors un budget de 8 milliards d’euros jusqu’en 2033 qui devrait être accordé à l’entreprise commune EuroHPC. Cela constitue une nette augmentation par rapport au règlement 2018-1488 qui allouait à l’Europe un budget d’un milliard d’euros. Une somme qui va permettre de s’équiper d’un service informatique fédéré et sécurisé permettant le développement de technologies, d’applications et de compétences nécessaires à l’atteinte des nouveaux objectifs en matière de supercalcul. Alors que le règlement de 2018 prévoyait le développement de technologies pré-exaflopiques, _ capables de réaliser au minimum cent millions de milliards (1017) opérations par seconde, les nouveaux objectifs européens sont liés au développement de supercalculateurs exaflopiques capables de réaliser un milliard de milliards (1018) calculs par secondes rivalisant ainsi avec le supercalculateur américain Summit.

Le calcul à haute performance comme outil de la relance européenne

Dans cette optique, la proposition de la Commission pour un nouveau règlement introduit une redéfinition des activités de l’entreprise commune EuroHPC. Sans abandonner ses activités initiales, elle se consacrerait au développement d’infrastructures informatiques quantiques et à leur interconnexion avec les infrastructures classiques. Elle serait également garante de la création d’un cloud européen permettant de sécuriser les données des nouvelles infrastructures pour un usage public comme privé. L’élargissement de l’usage des outils de calcul à haute performance, notamment dans l’industrie est l’un des objectifs majeurs de l’Union européenne pour la décennie 2020. La proposition de la Commission pour le développement des supercalculateurs est en accord avec la communication du 10 mars 2020 relative à la nouvelle stratégie industrielle pour une Europe verte et numérique, compétitive à l’échelle mondiale.

L’accélération du développement des outils de calcul hautes performances est un levier de la résilience européenne. Les supercalculateurs ont des applications dans des domaines variés et stratégiques pour l’avenir de l’Union européenne comme la prévision du changement climatique, la recherche médicale ou la réduction des coûts de simulation industrielle. Des enjeux sécuritaires entrent également en jeu lorsque le défaut d’infrastructures européennes oblige les industriels et les chercheurs européens à effectuer le traitement de certaines données stratégiques à l’étranger, en Chine ou aux États-Unis. Selon le classement opéré par le cabinet Top500 en juin 2020, l’Europe ne dispose d’aucun supercalculateur dans le Top 5 mondial et n’en a que trois classés dans le Top 10 en comptant les machines suisses. Cette délocalisation forcée du traitement informatique s’accompagne d’une augmentation des risques pour la confidentialité et l’intégrité des données qui pourraient faire l’objet d’attaques malveillantes et de stratégies d’espionnage industriel. Il est alors nécessaire pour l’Europe de remettre la main sur ses données stratégiques. « Nous avons maintenant l’occasion de façonner le changement plutôt que de le subir suite à une catastrophe ou à un diktat venu d’ailleurs […] ce qui est en jeu, c’est la souveraineté numérique de l’Europe, à petite et à grande échelle » a ainsi déclaré Ursula Von Der Leyen. La poursuite et l’accélération des efforts engagés en 2018 répondent donc en plus des enjeux d’excellence scientifique et de compétitivité économique, à des enjeux géopolitiques.

Alors que le nouveau règlement relatif à l’entreprise commune EuroHPC sera examiné prochainement par le Conseil de l’Union européenne qui tranchera sur son adoption conditionnant ainsi l’avenir de l’Europe numérique, huit nouveaux systèmes de calcul à haute performance seront mis en service début 2021 et permettront une multiplication par huit de la puissance de calcul en Europe. Un grand pas qui ne permet néanmoins pas encore de rivaliser avec les nations disposant des supercalculateurs les plus puissants.