Numérique et santé : des enjeux pluriels à anticiper

La donnée de santé s’impose comme la donnée personnelle la plus sensible qui soit pour l’humain. La pandémie de la Covid-19 a mis en exergue la nécessité d’accélérer la révolution numérique de la santé. De nombreux défis liés à ce nouvel or noir inépuisable nous attendent. Niveau de sécurité robuste, fiabilité et confiance garanties, acceptabilité… autant d’exigences que la France se doit de prendre en compte pour déployer les outils efficients qui transformeront les soins de demain. Ces questions occupent les échanges des acteurs de cette révolution, réunis lors de la deuxième partie du Jeudi de la Sécurité n°15, intitulée « Numérique et santé : innover, sécuriser, protéger pour mieux prévenir ».

Par Philipine Colle et Hugo Champion

La sécurisation des données : une étape incontournable

« L’actualité nous montre à quel point le domaine de la santé est fragile et doit être davantage protégé », indique Pierre Oger, président et fondateur d’Egerie. Pour la première fois, une patiente est morte le 21 septembre après la cyberattaque de l’hôpital universitaire de Düsseldorf en Allemagne. A l’heure des cyberattaques répétées et des tentatives de vols massifs de données, la sécurisation des données devient un enjeu majeur. Sans maîtrise, le citoyen, ou le patient, perd la confiance et devient réticent à fournir ses données personnelles. Le chemin est encore long mais les idées sont là. « La complexité d’aujourd’hui et surtout de demain des SI de la santé nous invitent à développer une analyse et une cartographie globale des risques », explique Pierre Oger. Et d’ajouter : « Ce que l’on propose chez Egerie, c’est la mise en place d’une plateforme qui permet de maîtriser les risques au travers de la collaboration pour glaner un maximum d’information et également de rendre dynamique la cartographie du risque ». Connaître le risque est synonyme d’anticipation. Le CHU de Rouen travaille à la création d’un entrepôt données qui devra rassembler toutes les données cliniques des patients. Sur la question d’un futur partage de données avec le Health Data Hub, le Docteur Julien Grosjean, Responsable opérationnel de l’Entrepôt de Données de Santé du CHU de Rouen prévient : « On ne mettra de données dans le Health Data Hub que si la qualité et la sécurité des données sont assurées ». Le risque est ici de voir les données hébergées par Microsoft sauvegardées à l’étranger, ce qui aura comme conséquence de miner davantage la confiance des citoyens. Pour minimiser les risques et assurer la meilleure sécurisation possible, il faudra jouer collectif ! « Face à l’enjeu, l’approche collective est indispensable. Il faut transformer le modèle en basculant dans un monde de partage d’informations. A Egerie, on est capable de partager l’information à travers notre plateforme », ajoute Pierre Oger. En accord avec ce nouveau modèle à mettre en place, Marine Cotty-Eslous, Présidente-fondatrice de Lucine et membre du Conseil national du numérique, souligne « qu’il est indispensable de former l’ensemble des collaborateurs à la sécurité de la donnée ». Et de rappeler : « Sur ces problématiques, il faut faire appel à davantage d’humilité. Tous ces métiers sont très nouveaux et nous montrent que la cybersécurité n’est pas un acquis pour tous. Il est donc nécessaire de s’entraider ».

Un appel à la coopération et à l’intelligence collective

« Le développement du numérique en santé fait l’objet de fantasmes qui se heurtent rapidement à la réalité du terrain ». Cette oscillation permanente entre grands espoirs et frustrations que nous rappelle Laura Létourneau, déléguée ministérielle au numérique en santé, illustre l’importance de repenser la construction des systèmes numériques en allant vers plus de coopération. Le développement du numérique dans le domaine médical répond à des objectifs clairs et communs à tous les acteurs de l’écosystème ; l’amélioration des performances médicales et de l’accessibilité aux soins ainsi que le développement de filières économiques pérennes et porteuses d’emplois. Un cap ambitieux pour un numérique éthique et humaniste qui ne sera pas réalisable sans concertation entre les acteurs. La co-construction est en effet au cœur de la vision de la déléguée ministérielle qui souhaite voir une évolution du rôle du secteur public vers la création d’un « État plateforme qui met en place des règles et des infrastructures pour réunir les différentes filières et casser les silos public-privé ». Le succès de la création, en mai dernier, du SIDEP – système d’information nationale de dépistage du Covid-19- est un bel exemple de la force conjointe que les pouvoirs publics et les acteurs privés peuvent déployer. C’est fort de cette expérience que l’État poursuivra cette politique de valorisation de l’intelligence collective et lancera début octobre le fichier GENIUS afin de permettre la rencontre avec les industriels créateurs de valeur ajoutée dans le domaine de la e-santé. Preuve de l’engagement des industriels dans ce domaine, « Atos a actuellement la charge de la mise en place d’une infrastructure capable de séquencer le génome au sein de l’un des groupement CHU d’Auvergne Rhône Alpes » confie Gérard Crémier, Digital ID Business & Solution – Marchés santé et finance, ATOS. Encore nouvelle en France, cette approche intersectorielle a également été adoptée dans d’autres régions francophones « comme au Québec où les data scientist travaillent main dans la main avec des chercheurs en sciences sociales », explique Marine Cotty-Eslous.

Des obstacles au partage et au développement de l’intelligence collective existent cependant encore. « Nous sommes en 2020 et nous avons toujours du mal à standardiser les données pour créer une interopérabilité sémantique et informatique. Ce sont des sujets qui ne sont pas assez développés et qui nécessiteraient une réflexion plus globale » alerte le docteur Julien Grosjean. Le développement réussi du Health Data Hub est conditionné à l’homogénéisation des données et des systèmes d’analyses. Aujourd’hui, chaque hôpital dispose d’un langage propre et il est nécessaire de « veiller à ne pas créer de millefeuille incompréhensible de données au niveau régional et interrégional » avant de se lancer dans un projet de partage aussi ambitieux que celui-ci.

Les indicateurs semblent passer au vert. La santé de demain devra replacer le patient au cœur du système, tel que le prévoit le Ségur de la Santé. Pour les praticiens, « il faudra mettre en place des solutions proches des métiers et qui ne les pénalisent pas », indique Gérard Crémier. Le succès de la e-santé passera alors par un lien de confiance qu’il reste à tisser entre le patient et les opérateurs de santé. Chacun aura un rôle à jouer pour assurer notre succès collectif !