Biomimétisme : la nature au chevet de l’Homme et de la société ?

Innover est le préalable pour relever les défis de la médecine de demain. La nature pourrait être une source incroyable d’innovations tant elle nous offre déjà des solutions issues de la sélection naturelle.

L’enjeu du biomimétisme est tel que des stratégies nationales émergent à travers le monde pour mettre en valeur le vivant. Dans cette course internationale, l’espace maritime français – deuxième espace maritime et premier espace sous-marin mondial — pourrait représenter un important théâtre de découvertes au service de la science et de l’indépendance nationale.

Par Louis Tufin

Face aux enjeux de démographie, d’écologie, d’énergie et de sécurité alimentaire, qui attendent nos sociétés, le biomimétisme pourrait renforcer les fondements du développement durable. « Le cahier des charges du vivant repose sur des principes de performance, de sobriété et de durabi- lité. Il constitue un véritable socle d’innovation pour des domaines dapplications multiples dans des secteurs aussi variés que l’énergie, la construction et lhabitat, la mobilité, la cosmétique, la santé, l’automobile… » expliquent les responsables de France Stratégie.

Le vivant au service de la santé

Par le biais du processus de sélection naturelle, des solutions, initialement considérées comme des anomalies se sont progressivement imposées comme une évidence ayant permis à des espèces d’évoluer, de s’adapter, de survivre.

Les espèces animales sont une source d’inspiration pour créer de nouvelles formes de soins. Le mucus d’escargot, contenant des protéines antibactériennes, pourrait devenir une nouvelle pénicilline, un pansement antibactérien ou encore une colle chirurgicale. « Le mucus secrété par les escargots est efficace lorsqu’il est utilisé dans un environnement humide par exemple pour régénérer des tissus, donc plutôt pour suturer des organes ou des muscles. Cette colle pourrait aussi faire office de pansement pour le coeur. » affirme le docteur Janek von Byern de l’institut Ludwig Boltzmann de Vienne1.

De même, l’étude de l’axolotl représente une véritable lueur d’espoir pour les patients atteints de maladies chroniques ou dont les membres sont atrophiés. Les pattes de cet animal de la famille des salamandres ont la capacité de repousser après avoir été sectionnés. C’est l’enzyme « AmbLOXe » qui serait à l’origine de la cicatrisation rapide. « Les cellules entrées en contact avec l’AmbLOXe sont capables de migrer plus rapidement vers la plaie. C’est ce qu’il se passe lorsqu’une lésion cicatrise : les cellules saines se dirigent vers le tissu endommagé pour le fermer. Grâce à l’AmbLOXe ce processus s’opère plus rapidement. La découverte que nous venons de faire est donc très prometteuse car elle pourrait permettre de renforcer le processus de cicatrisation chez l’humain. » indique le docteur en biologie Sarah Strauss de la faculté de médecine d’Hanovre2.

La nature – véritable laboratoire à ciel ouvert – est une profonde source d’inspiration pour les chercheurs en médecine car les millions d’années d’évolution sont une réelle source de dynamisme, les principes actifs et processus ayant déjà été éprouvés par la sélection naturelle. « La nature a sélectionné les solutions les plus robustes, il ne reste plus qu’à les mettre en application au service du patient. Il s’agit de mieux comprendre le processus biologique normal pour mieux l’impliquer dans le domaine de la santé. Le lymphocyte avec antigène chimérique (CAR-T) qui permet de combattre le cancer en est un bel exemple. A partir d’un lymphocyte du patient mis en culture, nous sommes capables de fabriquer à sa surface le harpon qui va permettre de saccrocher à la cellule anormale – la cellule tumoraleainsi que le système de déclenchement de signalisation immunitaire. Ces antigènes chimériques s’inspirent d’une réaction immunitaire normale pour fabriquer une molécule chimère qui associe le harpon et le bouton de déclenchement de la réaction immunitaire en une seule molécule, mise à la surface du lymphocyte. L’ensemble est réinjecté au patient et les résultats sont spectaculaires. » partage Hervé Chneiweiss, président du comité d’éthique de l’INSERM.

Faire face à l’épidémie

L’épidémie de la covid-19 a révélé au grand jour que notre modèle d’urbanisation et d’organisation sociale n’était pas suffisamment résilient. « La problématique de l’épidémie de la covid-19 ne se résume pas à l’approche biologique. C’est avant tout un défi social et global. Toutes les catégories sociales ne sont pas exposées de la même manière au virus, lors des périodes d’épidémies, les classes populaires sont les plus touchées. » rappelle Hervé Chneiweiss. La crise sanitaire est donc une occasion pour repenser nos espaces de vie, les rendre plus homogènes et par conséquent plus résilients. Le biomimétisme pourrait être une réponse aux crises. « Apprendre de la nature, respecter le vivant, empêcher la déforestation et rendre nos espaces plus verts sont autant de pistes de recherche qui permettront de réorganiser les territoires et augmenter notre résilience. Le préalable serait de mettre en place une stratégie pluridisciplinaire de biomimétisme à l’échelle nationale de ce qui n’est encore qu’un sujet opérationnel porté par des acteurs isolés. » poursuit Chrystelle Roger, présidente-fondatrice du Myceco, cabinet de conseil en innovation biomimétique.

Un enjeu de souveraineté

La biodiversité française, notamment maritime, apparaît comme un potentiel encore inexploité et sous-valorisé. « Aujourd’hui, la filière du biomimétisme fonctionne autour d’une logique opportuniste. Certains ingénieurs et entreprises travaillent conjointement et profitent de cette innovation mais de manière éparse alors qu’une stratégie nationale de long terme pourrait permettre de valoriser les découvertes, soutenir les acteurs afin d’en faire profiter le plus grand nombre. » déclare Chrystelle Roger. C’est toute la difficulté d’un domaine interdisciplinaire tel que le biomimétisme : casser les silos et créer du lien entre les acteurs. « Une stratégie globale de promotiondu biomimétisme portée par l’Etat permettrait de structurer la filière et de faire profiter de ces nouvelles technologies aux domaines de la santé et de la Défense avec des retombées dans beaucoup d’autres domaines. » plaide Chrystelle Roger.


Dans un contexte de forte demande d’énergie, la nature pourrait apporter des solutions à la recherche de nouvelles sources d’énergies propres, dans une perspective d’indépendance. « L’enjeu principal des nouvelles technologies aujourd’hui est bien de trouver des alternatives à l’exploitation des terres rares et à l’importante demande d’énergie. Le biomimétisme pourrait permettre d’apporter des réponses concrètes à ces problématiques. » concède Chrystelle Roger.

Le Centre Européen d’Excellence en Biomimétisme de Senlis (CEEBIOS), association née à l’initiative d’un collège d’acteurs de la ville de Senlis engagée en faveur du déploiement du biomimétisme en France inscrit sa démarche dans cette dynamique. « Nous nous inspirons des concepts de sobriété énergétique et d’efficacité, caractérisant les organismes naturels, pour fonder un cahier des charges du vivant. A partir de ce modèle frugal pourraient être créés un cahier des charges de l’industrie du futur et un cahier des charges du modèle énergétique conformes aux enjeux de transition écologique. » précise Kalina Raskin, directrice générale du CEEBIOS et docteure en neurosciences. A titre d’exemple, l’entreprise Eel Energy réinvente le concept d’hydrolienne en imitant les ondulations des anguilles de mer. « Les hydroliennes ondulantes seraient d’ailleurs plus adaptées au milieu naturel et pourraient être déployées plus largement sur les côtes françaises que les hydroliennes circulaires. » indiquent les responsables de l’entreprise. France Stratégie, organisme de prospective rattaché au Premier ministre, a déjà lancé un appel aux contributions.

Et l’éthique dans tout ça ?

L’un des enjeux est de pouvoir développer des traitements accessibles à tous. « Conformément au principe européen de RRI (Responsible Research Innovation [Recherche & Innovation responsables]), la question éthique repose principalement sur l’accès aux soins : coût et disponibilité. Ce que l’on définit par « ethical by design » doit être une des interrogations qui anime les équipes de recherche dès le début du processus : le traitement sera-t-il accessible au patient ? Le biomimétisme pourrait être une solution bon marché pour développer une génération d’innovations frugales, mais comme l’illustre le coût élevé du traitement CAR-T, ce n’est malheureusement pas toujours le cas. » précise Hervé Chneiweiss.

Encadrer la pratique nécessite une définition claire et précise. «  A la croisée de la philosophie, de l’économie et des sciences, il reste difficile de définir et donc par conséquent d’encadrer l’usage du biomimétisme. » explique Chrystelle Roger. « Dans la mise en œuvre pratique du biomimétisme appliqué au corps humain, à quel endroit poser la limite entre soin apporté au patient et ce que lon appelle humain augmenté ? Cest une des questions éthiques que pose le biomimétisme. Par exemple, un exosquelette peut être un formidable outil pour protéger l’Homme ou bien l’aider dans ses tâches les plus difficiles, mais on imagine aisément les dérives qui pourraient y être associées.C’est un débat qui dépasse largement le biomimétisme. » prévient Kalina Raskin.

« La crise sanitaire nous a montré un besoin de retrouver des fondements plus naturels pour notre société et le biomimétisme est une réponse synchrétique aux enjeux du développement durable : respecter l’environnement, créer des emplois durablement et favoriser un dynamisme économique autour d’une logique souveraine. » conclut Chrystelle Roger. Le biomimétisme pourrait ainsi être une façon de réconcilier deux enjeux de notre temps : écologie et souveraineté.

De la théorie à l’applicatif

Intelligence artificielle, architecture, santé. L’espoir soulevé par les technologies de biomimétisme est immense.

La toile d’araignée revêt de nombreuses caractéristiques qui retiennent l’attention des chercheurs. La toile d’araignée constitue un potentiel en termes de « métamatériau » pour le camouflage, pour élaborer des filets à brouillards auto-réfrigérants des centrales nucléaires, des filets de récupération des débris spatiaux ou bien encore des structures de ventilation (ex. stade de Munich). Plusieurs équipes françaises, italiennes et britanniques travaillent sur les capacités des toiles d’araignées en termes d’interaction avec les ondes sonores et lumineuses ou bien encore sur leurs propriétés antibactériennes pour mettre au point en ingénierie tissulaire des pansements antibiotiques. La société allemande Amsilk a par ailleurs réussi à synthétiser la soie d’araignée par une bactérie pour des applications diverses (renfort de structure ultra résistantes et très souples pour le secteur aéronautique, le textile et le sport automobile). Les araignées plongeuses qui vivent sous l’eau ont quant à elles inspiré les chercheurs de l’université de Rochester (États-Unis) pour concevoir des structures métalliques hydrofuges et insubmersibles.3

Le biomimétisme est également un moyen de retisser le lien entre l’Homme et la nature. Devant le constat de ces destructions engendrées par l’humanité, de nombreux designers et architectes se sont engagés dans la restauration des milieux et de la biodiversité. « C’est dans ce contexte qu’émergel’architecture biomimétiqueauto-suffisante en ressources et directement inspirée de la nature quelle espère guérir. Parmi eux, le britannique Michael Pawlyn sest lancé dans le projet de reboiser le Sahara au moyen de serres inspirées des onymacris unguicularis.Cette espèce de coléoptères du désert est réputée pour sa capacité à récolter lhumidité de lair. En effet, les élytres de ces insectes – protections chitineuses recouvrant leurs ailes – sont ponctuées de protubérances hydrophiles. Celles-ci récoltent lhumidité du brouillard pendant que des creux hydrophobes assurent l’évacuation, vers la tête, des gouttelettes formées. » expliquent les responsables de l’entreprise Bioxegy4.

L’observation de la nature inclut l’observation de l’humain et de ses incroyables capacités encore parfois inconnues. Le cerveau humain, reconnu pour son incroyable rapport énergie/puissance, retient par exemple l’attention des chercheurs en neurosciences. « Pour une consommation d’environ 2 watt par jour, le cerveau est une source d’inspiration majeure et très prometteuse comme en témoigne le projet Human Brain Project qui vise à recréer les capacités du cerveau par un superordinateur à l’horizon 2024. Aucune technologie artificielle n’est encore capable d’obtenir de tels résultats. » déclare Hervé Chneiweiss.

1 Xenius – Le biomimétisme appliqué à la santé

2 Xenius – Le biomimétisme appliqué à la santé

3 Biomimétisme : Quels leviers pour le développement & quelles perspectives pour la France – Rapport de France Stratégie

4 Bioxegy