Le numérique, levier pour la souveraineté européenne

Le plan de relance européen « Next Generation EU » adopté en juillet dernier fera la part belle à une double transition ; écologique et numérique. C’est ce que la Présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, a réaffirmé en annonçant la semaine dernière que 20% du budget de la relance européenne serait alloué au numérique. Alors que la crise de la Covid-19 à mis en exergue les dangers de la dépendance européenne à l’égard de pays étrangers dans des secteurs déterminants, le numérique est vu comme un outil de reconquête et d’indépendance stratégique. Tour d’horizon des chantiers numériques en cours et de leurs enjeux avec Thierry Breton, Commissaire Européen au marché intérieur.

Par Philipine Colle

L’Europe, premier continent industriel

L’Europe est le premier continent industriel et le rôle d’un commissaire est de faire en sorte que cela continu. Si l’Asie est considérée comme l’atelier du monde, l’Europe reste championne des technologies à forte valeur ajoutée telles que celles basées sur la robotique et l’intelligence artificielle. L’utilisation du numérique dans le secteur industriel permettra à l’Europe de conserver son positionnement dans l’échelle de valeur et cela aboutira à des relocalisations si les bonnes technologies sont utilisées.

Dans le cadre d’un travail de projection sur les décennies à venir, l’Union européenne a opéré une réorganisation du marché intérieur en prenant en compte sa structuration en écosystèmes disposants de leurs dynamiques propres. Cela a permis l’identification des écosystèmes ayant besoin de renforcer leur autonomie stratégique en réduisant leur dépendance à des facteurs extérieurs. Les termes d’autonomie et de souveraineté renvoient à la maîtrise, pour l’Europe, de son propre destin. Le monde est interconnecté. L’Europe ne pourra pas être un continent fermé et autosuffisant. L’enjeu est de la rendre plus forte pour sortir de la dépendance et rentrer dans une interconnexion vertueuse. Le lancement, le 29 septembre dernier de l’Alliance européenne pour les matières premières critiques en est un exemple. Bien qu’ils soient indispensables à la fabrication de composants électroniques, l’Europe n’exploitait pas ses ressources en matériaux critiques et dépendait de pays tiers comme la Chine. La nouvelle Alliance européenne devrait pouvoir permettre la mise à jour de l’état des ressources territoriales ainsi que l’ouverture de petites mines équipées des nouvelles technologies d’extraction conformes aux engagements européens pour le respect de l’environnement et de la biodiversité.

Le Digital Service Act, la supervision étatique des GAFAM

Le 2 juin dernier, la Commission a lancé une consultation citoyenne sur le Digital Service Act (DSA). L’objectif est de mettre en place une régulation des plateformes numériques. Le cadre législatif des services numériques est inchangé depuis vingt ans et l’adoption de la directive sur le commerce électronique en 2000. Il était alors impossible d’anticiper le poids que des acteurs devenus systémiques allaient prendre et l’extrême dépendance à ces plateformes que nos sociétés allaient développer. Ces acteurs sont devenus des « gates keeper », certains services ne sont accessibles que par leur intermédiaire. Un parallèle peut être fait entre la situation actuelle et la situation des grandes banques américaines en 2008. Ces banques étaient considérées comme « too big to fail », aujourd’hui les fournisseurs de services numériques se considèrent comme « too big to care ». C’est une erreur de leur part de croire que leur taille les dispensera d’adaptation. Alors qu’un superviseur avait été désigné lors de la régulation du système bancaire, l’Europe n’a pas l’intention de créer une agence spéciale pour superviser le respect des futures normes européennes. Les entités étatiques déjà existantes -comme le CSA en France- seront en charge de la surveillance des acteurs et de la mise en place des sanctions proportionnelles allant de l’interdiction d’accès au marché au démantèlement. Au niveau de l’Union, c’est la coordination de ces agences nationales qui sera mise en œuvre.

Un acte parallèle et séparé du DSA sera entériné d’ici le début de l’année 2021 concernant l’utilisation et le stockage des données de santé ; le Data Act. L’Europe sera très stricte en matière d’anonymisation et de confidentialité de ces données.

La sécurisation de la 5G comme enjeu de souveraineté

Actuellement, tous les États membres lancent leurs enchères concernant la fourniture du réseau 5G. Alors que des débats importants et nécessaires ont lieux en leur sein, l’Europe s’engage à prendre des mesures afin de garantir la santé et la sécurité de ses citoyens. Concernant l’impact des ondes électromagnétiques sur leur environnement, des études sont menées afin de déterminer un seuil d’émissions au-delà duquel un danger pourrait se présenter. L’Europe appliquera ensuite un calibrage des émissions ne pouvant dépasser 1/50e du seuil. La Commission réaffirme parallèlement son attachement au déploiement de ces technologies pour le monde de l’industrie. La 5G, contrairement aux générations précédentes, n’est pas développée dans l’optique de permettre l’échange de données personnelles en BtoC ou CtoC. Elle permettra la gestion de processus de sécurité publique, de santé et de gestion d’entreprises. Les données échangées seront sensibles. Cette particularité de la 5G par rapport aux autres générations de réseaux hertziens en fait un élément important dans la quête d’une plus grande souveraineté européenne mais également un facteur d’accroissement du risque. Les opérations de maintenance essentielles concernant le cœur qui contrôle le réseau 5G sont gérées par les opérateurs de télécommunication. Or, certains pays, notamment les États-Unis et la Chine, ont des législations qui peuvent autoriser des équipementiers à donner accès aux données à leurs États. Ceci n’est évidemment pas compatible avec l’intérêt des acteurs politiques et économiques Européens. Par ailleurs, le grand nombre d’antennes nécessaires au fonctionnement du réseau 5G opère comme une multitude de points de pénétration, faisant ainsi augmenter la surface de vulnérabilités aux attaques venant de groupes criminels organisés ou d’États malveillants.

L’avancée des chantiers numériques est maintenant entre les mains des États membres qui auront jusqu’au printemps prochain pour proposer leur plan de relance national à la Commission européenne. L’attribution des fonds nécessaires à l’accélération de la transition numérique sera conditionnée à leur approbation. Le Commissaire Breton le rappelle : il faut aller vite. L’objectif est ambitieux. Il s’agit de faire de l’Europe le continent le plus connecté du monde d’ici à 2030.

PHOTO : © European Union 2019 – Source: EP