Intelligence artificielle : valorisons le talent de nos régions !

Selon une étude du cabinet PwC, la Chine et les États-Unis capteront, à horizon 2030, 70 % des bénéfices financiers qu’apportera l’IA à l’économie mondiale. La course est-elle perdue d’avance ? Sûrement pas ! Avec son tissu foisonnant de laboratoires et d’entreprises, au premier rang desquelles les start-up, l’Hexagone dispose au sein de l’Europe, de tous les atouts nécessaires pour anticiper et exploiter le potentiel de progrès scientifique, social et économique porté par l’intelligence artificielle.

Par Hugo CHAMPION

L’IA : une opportunité pour la France

Le cabinet américain McKinsey a estimé en 2018 que l’intelligence artificielle pourrait entraîner une croissance du PIB mondial de 1,2 % par an jusqu’en 2030. La course est donc lancée. A la suite de la publication du « rapport Villani » en 2018, le président Emmanuel Macron a annoncé vouloir positionner la France en tant que « leader de l’intelligence artificielle ». L’année suivante, le rapport du ministère de l’Economie, intitulé « Intelligence artificielle : état de l’art et perspectives pour la France », mettait en exergue « sur les 3 645 start-up qui appartiennent au domaine de l’IA dans le monde, 40% viennent des États-Unis, et 11% de Chine ». La France, en accueillant 3,1% d’entre elles, se glisse difficilement au 7e rang du classement mondial, derrière les villes de San Francisco et de New-York, qui en abritent respectivement 17% et 5%. Si ce classement laisse la France encore trop éloignée des leaders mondiaux, l’Hexagone ne manque pas d’atouts pour rattraper son retard. Comptant environ 5300 chercheurs de haut niveau répartis en 250 équipes, et plus de 1000 étudiants formés dans 18 mastères spécialisés, le pays se place en 3e position dans la production d’articles scientifiques. « Quand vous parlez aux très grandes entreprises d’intelligence artificielle, qui sont d’ailleurs les GAFAM, les personnes qui sont en charge au sein de ces entreprises sont très souvent des Français. C’est lié à l’excellence de la recherche française », explique Cédric O, Secrétaire d’Etat chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques, à la convention AI France Summit, organisé en mars dernier. Et d’ajouter : « La bataille pour l’intelligence artificielle, c’est d’abord une bataille pour l’intelligence humaine ».

Un écosystème en effervescence : les instituts 3IA

En 2018, la France annonçait son intention d’investir dans l’intelligence artificielle en finançant des centres de recherche spécialisés sur l’ensemble du territoire. La vocation des projets sélectionnés en avril 2019, qui ont reçu le label « Institut Interdisciplinaire de l’intelligence artificielle » (3IA), valable 4 ans, est de permettre à la France de compter parmi les leaders de l’intelligence artificielle. Les quatre projets qui bénéficieront d’un budget global de 18,5 millions d’euros par an sur cette période de 4 ans, seront situés à Grenoble (MIAI@Grenoble-Alpes), Nice (3IA Côte d’Azur), Paris (Prairie) et Toulouse (Aniti). « Ceci n’est qu’une étape, certes importante, dans la mise en œuvre du plan national IA, avec à présent d’autres actions devant nous pour renforcer l’écosystème français de recherche et d’innovation autour de l’intelligence artificielle », souligne Bruno Sportisse, PDG d’Inria. Chaque institut de ce réseau s’intègre de manière cohérente dans le dispositif national des universités et des organismes de recherche.

Une place sur l’échiquier international de l’innovation avec le 3IA Côte d’Azur 

Parmi ses différents axes de recherche, l’institut 3IA est particulièrement impliqué dans le développement d’applications concernant la biologie numérique et les territoires intelligents.

Nice, 13e smart city au monde pourra conduire ses projets en s’appuyant sur un écosystème de la tech remarquable. C’est sur cette thématique « Smart city » que « nous avons une légitimité », expliquait David Simplot, directeur du centre de recherche Sophia Antipolis – Méditerranée. Parmi les lots de projets en cours, on peut souligner le travail mené en partenariat avec l’Institut Méditerranéen du Risque, de l’Environnement et du Développement Durable (IRMEDD) sur l’intelligence artificielle et le bâtiment. En se basant sur un rapport mené par la Fédération française du bâtiment (FFB) – intitulé « intelligence artificielle et bâtiment : comprendre, anticiper et agir : des opportunités pour la profession » -, l’IMREDD approfondira les pistes d’application des techniques de l’intelligence artificielle (Big Data, Internet des Objets, BIM, Robots, Drones, Blockchain, etc.) au secteur du bâtiment par exemple en matière de conception et de mise en œuvre de chantiers, d’exploitation et de maintenance de bâtiments, de définition des besoins des clients et d’aide à la décision, de gestion des compétences, etc. « Ce rapport constitue une première pierre à la démarche. Le travail démarre et doit se poursuivre au bénéfice de la profession. La révolution impulsée par l’intelligence artificielle apparaît inéluctable. Ce rapport insiste sur la nécessité de s’y préparer et explore de premières pistes. », explique Jacques Chanut, président de la FFB. Les propositions de l’IMREDD ont été rendues à la fin du mois d’août.

L’écosystème de l’innovation IA, en pleine émulation a vu naître l’Observatoire des Impacts technologiques économiques et sociétaux de l’Intelligence Artificielle (OTESIA) en novembre dernier. Parmi ses différents projets, l’OTESIA développe actuellement un traitement automatique de la langue pour détecter les messages haineux échangés sur les réseaux sociaux et générer automatiquement des contre-arguments pour s’opposer à ce type de contenus. Le projet entend s’appuyer sur des interventions dans 6 établissements du secondaire pour des jeux de rôle qui serviront de base à une collecte de données. Celles-ci, une fois analysées, étayeront le développement d’un logiciel de détection des discours haineux et violents en ligne. La recherche se déroulera sur une période d’une année avec une collecte des données prévue entre septembre 2020 et janvier 2021, en fonction du contexte sanitaire. Une présentation des résultats de la recherche est prévue pour juin 2021. Un autre projet, concernant l’évaluation des besoins numériques dans les établissements médico-sociaux est tout aussi attendu. Ce projet, intitulé Enquête « IA & Santé » porté entre autres par Jean-Marc Bereder (CHU Nice) et Frédéric Prate (Université Côte d’Azur / CHU Nice), aura pour vocation de décrypter les niveaux d’acculturation et de formation des professionnels, les freins et leviers à l’adoption des outils numériques dont l’IA, la coopération et la coordination avec les autres acteurs du système de santé, l’identification des situations à risque et l’anticipation des besoins. L’objectif sera de réorganiser l’offre de soins des patients et d’augmenter la qualité de vie des résidents et la gestion des ressources humaines et matérielles.

L’IA du futur au cœur de la réflexion grenobloise

Grenoble fait partie des quatre villes qui ont obtenu le label 3IA. Pas moins de 60 entreprises (Atos, STMicroelectronics, Schneider Electric, Thales…), 50 start-up (dont Neovision, Skopai, Pixy) se trouvent réunies, aux côtés des acteurs académiques comme l’Université Grenoble Alpes, l’Inria, ou encore l’INSERM, pour conduire sept grands axes de recherche, autour de deux grands thèmes : IA du futur (apprentissage automatique, vision par ordinateur, communication vocale, conception matérielle, informatique distribuée…), et IA pour l’humain et l’environnement (IA et société, médecine, sciences de la terre et du climat, énergie, industrie 4.0). « Un focus est aussi mis sur la formation. Près de 700 étudiants suivent des enseignements liés aux technologies et applications de l’IA. Nous avons l’ambition de doubler ce nombre, en créant le label « Qualification professionnelle en intelligence artificielle » pour reconnaître des compétences sur des thèmes centraux de l’IA », explique Éric Gaussier, directeur du laboratoire d’informatique de Grenoble et du Multidisciplinary Institute in Artificial Intelligence Grenoble Alpes (MIAI). Accueillant depuis peu le centre R&D d’ATOS, basé à Echirolles, l’agglomération grenobloise connaît un essaimage significatif de start-up spécialisées dans les technologies disruptives. « L’intelligence artificielle s’impose comme une deep tech forte à Grenoble, en occupant 10 % des projets de création soutenus par Linksium. Cette part devrait encore croître à l’avenir, car l’excellence grenobloise et les nouvelles vocations de chercheurs se verront renforcées par l’Institut », explique Véronique Souverain, responsable communication des Sociétés d’Accélération du Transfert de Technologies (SATT). De nombreux projets devraient prochainement voir le jour, à l’instar du MIAI days, un événement présentant, une fois par an, aux acteurs du territoire sur une journée les avancées et réalisations de l’institut. « Nous réfléchissons à la mise en place d’une autre manifestation qui prendra la forme d’un débat avec nos concitoyens », souligne son Éric Gaussier. Grenoble a accueilli à la fin du mois dernier, l’European Synchrotron Radiation Facility (ESRF), un accélérateur de particules qui permettra entre autres, de mieux comprendre les mécanismes des maladies neurodégénératives et progresser en intelligence artificielle.

Toulouse : futur leader mondial de l’intelligence artificielle en recherche, formation, innovation et développement économique ?

La France et ses territoires connaissent une effervescence particulière en matière de recherche sur l’IA. « Toulouse et plus largement l’Occitanie ont, avec ANITI, beaucoup à apporter à notre pays dans cette compétition internationale de l’intelligence artificielle où les États-Unis et la Chine feront la course en tête mais où des pays comme la France, la Suède ou la Corée du sud sont régulièrement cités comme challenger », s’enthousiasme Alain Di Crescenzo, Président de la CCI Occitanie et 1er Vice-Président de CCI France. Le projet ANITI s’attellera à développer des secteurs d’application stratégiques que sont la mobilité et les transports et la robotique/cobotique. ANITI comprend un projet formation dont l’ambition est de doubler le nombre d’étudiants formés en IA à l’horizon 2023. Les axes de travail consistent à compléter l’offre de formation en Master, en proposant notamment des modules dédiés à l’IA hybride, d’intégrer l’IA à tous les niveaux de formation depuis le baccalauréat avec la volonté de développer fortement l’alternance. Le projet entend particulièrement développer un programme doctoral 3IA « Graduate School » qui sera mis en place avec la contribution des titulaires de chaires, des séjours à l’étranger et des échanges avec le monde industriel. Parmi les objectifs recherchés : le développement de la parité dans les formations en IA.

Les indicateurs sont en train de passer au vert, ce qui donne à la France l’occasion de tracer son chemin pour devenir leader européen dans l’IA, tout en créant sa propre voie !